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Culture - Photographie

La « ligne verte » n’a pas (vraiment) disparu

De jeunes regards pétillants portés sur la démarcation beyrouthine, jusqu'au 30 octobre, à l'Institut français de Beyrouth. Rencontre et visite guidée.

Photo Melissa Howayek

Ils ont la vingtaine et n'ont pas connu la guerre, ni les lignes de démarcation ni le no man's land qui a fracturé Beyrouth pendant plus de 25 ans. Accompagnés par Maurice Weiss, photographe qui a immortalisé la chute du mur de Berlin en novembre 1989, une dizaine d'étudiants de l'Académie libanaise des beaux-arts (Alba) ont pourtant tenté de mettre des mots – et prendre des clichés – de cette ancienne balafre géante laissée par la guerre civile, qu'ils n'ont pas connue.
Chaque étudiant s'est approprié la « ligne verte» et l'a (re)découverte à sa manière. « Nous avions une vision globale, mais pas précise, personne ne rentre dans les détails historiques et personnels, au Liban, estime Mélissa Howayek, 22 ans. C'est en réalisant ce projet que nous avons pris conscience de la charge émotionnelle de cette « ligne verte ». Depuis, notre vision de la ville a évolué. »
« Le projet nous a permis d'avoir en tête la réalité du Beyrouth qu'ont connu nos parents et grands-parents. Avant, nous traversions la ville sans vraiment faire attention, maintenant ce n'est plus le cas » , ajoute Maria Serena Aramouni.


« Se mettre à la place de ceux qui ont fuit à cause de la guerre », c'est ce qui a séduit Mazen Chéhab, âgé de 29 ans. En parcourant un bâtiment vide à Tayyouneh, les étudiants sont tombés sur des objets que les habitants – puis les soldats – ont laissé derrière eux. « Différentes milices sont venues s'installer après le départ des habitants. Ils ont laissé des messages sur les murs, un canapé est resté là, des magazines artistiques, d'autres érotiques, sont toujours par terre », s'étonne Mazen en montrant une photo de la danseuse égyptienne Samia Gamal sur le sol, pleine de poussière.

Rappels du passé/fenêtre vers le futur
Avec Trou de mémoire, l'étudiant questionne la volonté d'oublier cette période sombre de l'histoire libanaise par ceux qui l'ont vécue. Pour sa série de photos, il montre néanmoins les stigmates physiques de la guerre (trous d'obus qui marquent les bâtiments), qui sont pour lui autant de « rappels du passé que de fenêtres vers le futur ».
Travailler autour de la « ligne verte » aura aussi permis de délier les langues de leur entourage. C'est le cas de Mélissa Howayek qui dit « avoir découvert un autre aspect » de son père en discutant avec lui de la guerre civile. « Il avait treize ans et défendait son village. Cela n'a pourtant pas été difficile de lui faire raconter ses souvenirs. Il m'a parlé de chaque photo en détail, comme si c'était la veille. » Avec sa série Mon père, la jeune étudiante met, face à face, le vécu passé et présent de son paternel. Ainsi, un de ses diptyques est constitué d'une photo de famille actuelle et à un cliché, datant de 1975, de son père et de ses
amis combattants.

 

Démarcation psychologique
Plusieurs étudiants ont choisi de comparer la ville d'hier et d'aujourd'hui en superposant ou mettant côte à côte des photos du même lieu, mais à 40 ans d'écart. Le jeune Anthony Asmar a pris le contrepied, il s'est attaché à photographier le ciel (avec quelques repères, comme la place des Martyrs) qui unit les Libanais.
La ligne de démarcation n'a plus de réalité physique depuis 25 ans, mais existe toujours dans les têtes. Nombreux sont ceux qui traversent la ville sans même s'en apercevoir, mais d'autres mettent du temps à surpasser ce mur psychologique. « Il y a tout juste un mois, j'ai emmené à Hamra des amis qui n'étaient jamais allés à l'" Ouest". Comme si cette rue faisait partie d'un autre pays », s'exclame Mazen Chéhab. Perdre les anciennes habitudes ne se fait pas du jour au lendemain, Ligne verte 1975 -2015 y contribue sans clichés.

* « Ligne verte 1975-2015 », à l'Institut français de Beyrouth jusqu'au 30 octobre.

 

« La photo, une sorte de thérapie »


Le photographe français Maurice Weiss a immortalisé la chute du mur de Berlin le 9 novembre 1989. Des deux côtés du mur, il a saisi à travers son objectif la fin d'une époque et le commencement de la nouvelle histoire européenne. Il a assisté les étudiants en graphisme de l'Alba dans leur projet Ligne verte 1975-2015. Et a répondu aux questions de L'Orient-Le Jour.

Comment avez-vous travaillé avec les étudiants sur ce projet ?
La photographie doit montrer la vie telle qu'elle est. Pour aborder ce sujet de la Ligne verte, l'exposition doit exprimer ce qu'est la vie des photographes autour de cette démarcation. De quelle manière la voient-ils ? Comment elle les concerne ? Je suis un étranger qui vient de loin, alors j'avais besoin qu'ils s'expriment et qu'on échange à propos de leurs perceptions. J'ai beaucoup appris d'eux.


De quelle manière votre expérience du mur de Berlin et la leur de la « Ligne verte » sont-elles comparables ?
Je me suis installé à Berlin en 1989, j'y ai travaillé et me suis fait de nombreux amis là-bas, donc j'ai en tête ce que représente une ville coupée en deux. Mais ma famille n'habitait pas en Allemagne, je n'étais pas touché personnellement avant d'y arriver.

 

Ici, la barrière mentale n'a pas encore complètement disparu. Avez-vous une idée de ce qu'il faudrait pour recréer l'unicité de la ville ?
Le plus important est de lancer les conversations, de partager les souvenirs et les photographies. Que chacun pense au vécu de l'autre, à travers la photo, peut constituer une sorte de thérapie. C'est idéaliste, mais je suis toujours un photographe un peu naïf qui croit encore que nos instantanés peuvent apporter de l'espoir.

 

Ils ont la vingtaine et n'ont pas connu la guerre, ni les lignes de démarcation ni le no man's land qui a fracturé Beyrouth pendant plus de 25 ans. Accompagnés par Maurice Weiss, photographe qui a immortalisé la chute du mur de Berlin en novembre 1989, une dizaine d'étudiants de l'Académie libanaise des beaux-arts (Alba) ont pourtant tenté de mettre des mots – et prendre des clichés –...

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