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Liban - Tribune

De l’urgence d’un sommet mondial des consciences pour arrêter l’escalade vers l’abîme en Orient

« Vers l'Orient compliqué, je m'envole avec des idées simples. » À comparer avec celle d'aujourd'hui, heureuse était encore l'époque où, malgré les atrocités sans nom de la Seconde Guerre mondiale, on entendait le général de Gaulle faire cette déclaration emblématique en s'envolant en 1941 à Beyrouth. L'Orient embrasé et embrasant d'aujourd'hui ne manque pas de complications qui, bien au contraire, se sont développées et démultipliées avec un paroxysme sans précédent menaçant le monde d'une déflagration globale.
Je reviens de Beyrouth, de cet Orient simple et compliqué, où j'ai pris part début octobre au monastère Notre-Dame à Balamand aux travaux du saint synode du patriarcat grec-orthodoxe d'Antioche et de tout l'Orient. Les chrétiens, tous les chrétiens, mais aussi les musulmans, tous les musulmans, vivent cette période avec inquiétude, angoisse et incertitude.
La tension est palpable à tous les niveaux en raison de l'instabilité régnante et des logiques de chaos qui s'installent partout en Orient. Les bruits des bottes militaires et les tambours de guerre rythment le quotidien des Moyen-Orientaux qui continuent pourtant, avec fatalité, à goûter au « carpe diem » de la vie, entre deux cycles de violence. Les scénarios les plus apocalyptiques se dessinent par les commentateurs et se conjuguent avec les prophéties de guerre et de paix que les uns et les autres revisitent.
La guerre en Syrie fait rage. Les déploiements militaires des armadas qui s'y pressent des quatre coins de la planète ajoutent au conflit une dimension planétaire critique. Le Liban vit une instabilité chronique. Caisse de résonance de la région, incapable de tomber ou de se relever, il goûte à la sonate du chaos politique et institutionnel. Le conflit israélo-palestinien s'embrase de nouveau. L'intifada palestinienne « des couteaux » révèle non seulement le désespoir de la jeunesse palestinienne, mais aussi, et surtout, la faillite politique et morale des deux establishments, israélien et palestinien, incapables de faire la guerre ou de faire la paix, et qui continuent de camper sur les logiques d'impasse et de suicide collectif. La Turquie qui pensait s'isoler des ondes de choc de ses interventions dans les conflits du Moyen-Orient est rattrapée par la violence et frappée au cœur de sa capitale, Ankara, de plein fouet par un attentant faisant 97 morts et plus de 200 blessés, et annonçant un gouffre politique. La guerre au Yémen continue à s'embraser et à déborder ici et là. L'Égypte du général Sissi, malgré l'achat des Mistral français, reste instable et incapable de recouvrer son rôle de leadership du monde arabe capable de redonner du « sens » politique dans un Moyen-Orient désorienté. L'ensemble de la région du golfe Arabo-Persique est en ébullition et est exposée aux risques du champ de mines de la guerre larvée saoudo-iranienne. Et j'en passe.
« La guerre est une chose très grave pour être confiée à des militaires », disait Clemenceau. Certains osent le paraphraser non sans raison pour dire que « la démocratie est une chose très précieuse pour être confiée à des politiciens ». Clemenceau avait raison de défendre la primauté du « politique » sur les logiques « politiciennes » et des « va-t-en-guerre ». Malheureusement, dans le Moyen-Orient d'aujourd'hui, ce sont ces logiques qui prédominent en l'absence de solutions politiques réelles que les nations se doivent d'imposer pour arrêter la descente aux enfers.
Se trompent ceux qui pensent en Occident et dans le reste du monde que le conflit au Moyen-Orient est local. À l'ère de la globalisation, l'étanchéisation des conflits – qui nous permettait de regarder de loin les atrocités sur nos postes de télévision – ne fonctionne plus. La concentration sans précédent des armadas en Méditerranée orientale démontre que le conflit a une dimension autre que locale et régionale.
Se trompent aussi ceux qui pensent que le conflit est mondial sans racines locales. À l'évidence, ce sont les frustrations, les contradictions et les injustices qui ont été accumulées et alimentées dans cette région tout au long du XXe siècle avec les conflits que nous avons laissé perdurer sans solution juste, qui agissent aujourd'hui comme les détonateurs d'une déflagration qui menace l'ensemble du monde. Les puissances ont fait du Moyen-Orient (comme ce fut le cas au XIXe siècle) un « théâtre du monde » où se déploient et se combattent les intérêts géostratégiques des nations au détriment de l'épanouissement démocratique des peuples et des nations de cette région qui, en se radicalisant, se sont faits complices de ces politiques intéressées.
Oui, le conflit au Moyen-Orient est aujourd'hui à la fois global et local. Un brasier « glocal », selon ce mot-valise en vogue de nos jours associant les termes global et local dans une seule contraction. Il est toujours plus facile de commencer une guerre que de savoir comment l'arrêter. Il est indispensable de faire cesser aussi bien la machine de la terreur qui frappe sans scrupule tout le monde que celle des autocraties arabes qui détruisent l'avenir de la diversité au Moyen-Orient. Il n'en demeure pas moins indispensable, aujourd'hui plus que jamais, de régler avec justice et à leurs racines les conflits qui ont fait naître ce terrorisme et ces dictatures, et ont contribué à leur épanouissement et prolifération.
À ce jour, nous n'avons pas pris conscience encore, ni pris toute la mesure de tous les dangers qui déboulent aujourd'hui au Moyen-Orient et qui se roulent vers le reste du monde. N'est-il pas temps de s'alarmer un peu et de remettre les choses à l'endroit ? Dans ce monde exposé à tous les dangers, les orthodoxes continuent, imperturbables, encore cette semaine à Genève, au Centre du patriarcat œcuménique à Chambésy, à revoir les textes élaborés dans les années 60-70 et 80 du siècle passé et à préparer le saint et grand concile panorthodoxe devant se tenir à Istanbul en 2016. Mais ne doivent-ils pas, tous ensemble, d'une seule voix, modifier l'échelle des priorités en convoquant plutôt un sommet mondial des consciences aux Nations unies pour faire cesser cette escalade du monde vers l'abîme ? Il me semble que c'est là l'urgence du moment critique que nous dicte la situation au Moyen-Orient.
Plus généralement, il y a un proverbe anglais qui dit : « If you are in a hole, stop digging », ce qui signifie : « Si vous êtes dans un trou, arrêtez de creuser » parce que vous creusez votre enfoncement. Le monde creuse son enfoncement au Moyen-Orient s'il n'œuvre pas d'urgence pour une perspective politique pour le règlement des conflits au Moyen-Orient. N'est-ce pas là le sens du message que vient de lancer le Conseil œcuménique des Églises à Genève appelant à la fin de toutes les interventions militaires en Syrie ? En l'absence d'une véritable action politique d'envergure qui combat le pire et le moins pire à la fois, et ouvre une fenêtre démocratique dans la région du Moyen Orient, la guerre ne va pas tarder à détruire le temple, tout le temple, sur la tête des acteurs, tous les acteurs !

*Avocate au barreau de Paris Responsable de la communication à l'Assemblée des évêques orthodoxes de France

« Vers l'Orient compliqué, je m'envole avec des idées simples. » À comparer avec celle d'aujourd'hui, heureuse était encore l'époque où, malgré les atrocités sans nom de la Seconde Guerre mondiale, on entendait le général de Gaulle faire cette déclaration emblématique en s'envolant en 1941 à Beyrouth. L'Orient embrasé et embrasant d'aujourd'hui ne manque pas de complications...

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