« Quelle serait la réaction des États-Unis si le groupe État islamique (EI) annonçait son intention de planter son drapeau sur le toit de la Maison-Blanche ? » Des sources diplomatiques affirment que c'est la réponse donnée par le ministre russe des Affaires étrangères Serguei Lavrov à son homologue américain John Kerry lorsque ce dernier lui a demandé des éclaircissements sur l'offensive russe en Syrie. La réponse de Lavrov serait venue après avoir fait écouter à son interlocuteur l'enregistrement d'un des chefs de l'EI qui promettait d'installer le drapeau de cette organisation sur le toit du Kremlin. Selon les sources diplomatiques précitées, le secrétaire d'État américain aurait alors cessé de critiquer l'opération militaire russe.
Cette petite histoire montre en réalité que les Russes ne se sont pas lancés dans cette opération militaire en Syrie pour des questions uniquement stratégiques. Ils considèrent en effet que la menace terroriste vise Moscou et l'ensemble de leur pays. Par conséquent, il s'agit d'une bataille essentielle, voire existentielle, pour la Russie. Le président russe avait même déclaré il y a près d'un mois qu'en participant aux combats en Syrie, les Russes défendent les remparts de Moscou.
Ce même argument aurait été développé devant le vice-héritier du trône saoudien, le prince Mohammad ben Salmane, au cours de sa dernière visite en Russie, où il a été reçu par le président Vladimir Poutine à Sotchi, la station balnéaire sur la mer Noire réservée aux invités personnels du chef du Kremlin. Cette visite est intervenue après la publication à Moscou d'un rapport des renseignements russes sur les États et les parties qui seraient en train de fournir de l'aide à l'EI en Irak et en Syrie.
La section de la lutte antiterroriste au sein des renseignements russes aurait ainsi établi un rapport exhaustif sur les moyens utilisés par l'organisation islamiste pour recevoir des aides financières. Selon le rapport qui a été rendu public récemment, les fonds en provenance d'Arabie saoudite passaient par le pouvoir irakien via l'ancien vice-président Tarek el-Hachémi (actuellement en fuite). Les fonds étaient donc transférés au compte d'une société établie à Londres et appartenant à M. Hachémi. Ce dernier se chargeait ensuite de les transférer par petits montants à un compte appartenant à Izzat el-Douri dans une banque installée dans le Kurdistan irakien. C'est ce dernier qui les remettait aux chefs de l'EI...
Selon le rapport russe, des ulémas wahhabites auraient même proposé de redistribuer cette année une partie des recettes de la saison de pèlerinage aux commandements de l'EI, dans une volonté de contribuer à la « lutte sainte »... Toujours selon le rapport, d'autres fonds en provenance des États-Unis passeraient par le gouvernement de Massoud Barzani, toujours dans le Kurdistan irakien. Ce gouvernement les remettait à l'EI en prétendant qu'il s'agissait des recettes provenant de la vente du pétrole dans les régions contrôlées par le groupe jihadiste.
Le rapport russe précise aussi qu'une grande partie des armes possédées par l'organisation proviendrait des zones contrôlées par l'EI en Syrie, après des combats contre les factions de l'opposition syrienne, ainsi que de l'armée irakienne après la prise de la province de Ninive et de Mossoul. Selon ce rapport, le rôle de la Turquie dans l'aide aux combattants de Daech serait déterminant, la Turquie ayant acheté pour le compte de l'organisation 300 pick-up Toyota qui ont été par la suite équipés de canons et de dispositifs de communication. Le rôle de la Turquie ne se serait pas limité à une aide logistique, mais elle avait aussi la responsabilité de veiller à la formation des combattants de l'EI, et à l'entretien de leurs équipements militaires et logistiques. En même temps, la Turquie aurait autorisé sur son territoire la collecte de dons en faveur de l'EI dans les milieux islamistes.
Le rôle de la Jordanie se limitait par contre à l'entraînement et à la formation des combattants de cette organisation, tout en collectant des informations sur les moyens et les capacités de l'armée irakienne.
Depuis la publication de ce rapport, les commentaires des experts militaires se multiplient. Certains en contestent le contenu et mettent en doute son authenticité. D'autres, au contraire, estiment que l'unité de la lutte antiterroriste au sein des renseignements russes est sérieuse dans son travail qui est basé sur des éléments concrets, virements bancaires, photos aériennes et enregistrements précis. De plus, la décision russe de publier le rapport vise à placer les différents pays impliqués dans l'appui direct ou non à Daech face à leurs responsabilités. Soit ils continuent dans cette voie et ne peuvent plus prétendre lutter contre le terrorisme, soit ils cessent d'aider l'EI et se rallient indirectement ou non à la campagne contre le terrorisme. Les experts considèrent aussi que la publication de ce rapport au moment où le ministre de la Défense saoudien et homme fort du régime effectue une visite en Russie n'est pas anodine. Ce serait d'ailleurs la raison pour laquelle, à l'issue de cette visite, les deux pays ont déclaré qu'ils refusaient l'installation d'un califat islamique en Syrie. Mais de là à s'entendre sur le règlement de la crise syrienne, il y a encore beaucoup de chemin à faire...
Dans ce contexte compliqué, il est clair que le Liban est voué à attendre, d'autant que certaines parties libanaises misent sur un enlisement russe dans les sables mouvants syriens alors que d'autres au contraire croient que l'intervention russe est de nature à renverser les rapports de force et à inverser la tendance en faveur du régime syrien. Face à ces approches contradictoires, il est plus que jamais difficile pour les protagonistes libanais de trouver un terrain d'entente.
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commentaires (10)
"Sacrée" Scarlett ! Plus "géostratégique" encore, qu'une James Bond Girl avec ses "bons Baisers de Damas ou de Russie" !
ANTOINE-SERGE KARAMAOUN
10 h 43, le 16 octobre 2015