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Culture - Dans le studio de...

Karim Khneisser, jeune sage indocile

Le producteur-compositeur a ouvert les portes de son studio le temps d'une journée. Rencontre avec un homme « multitâche », paradoxalement aussi zen que nerveux.

Karim Khneisser a appris le handpan de manière autodidacte. Photos Anne Ilcinkas

Dès l'entrée, deux « dreamcatchers » (attrape-rêves) surdimensionnés ornent la porte du studio de Karim Khneisser afin d'écarter les mauvaises ondes. « Un noir d'un côté et un blanc de l'autre, comme le yin et le yang », commente le musicien en riant. La couleur orange qui recouvre les murs rend les lieux chaleureux. Le musicien dit ne jamais perdre son calme, quoi qu'il arrive. Encore moins dans son antre qu'il considère comme son « centre d'énergie », qu'il ne veut pas contaminer avec « de la négativité ». C'est notamment ici qu'il a enregistré et produit, en l'espace de 48 heures, la chanson Calling de l'artiste reggae Naâman. « Nous l'avons enregistrée d'une seule traite, il y avait une certaine harmonie qui me plaisait », note le producteur.
Une quarantaine d'instruments, de toutes tailles et formes, remplissent le lieu. Tous très bien rangés, chacun à sa place. Les classiques (batterie, guitares) mais aussi d'autres, plus surprenants, ont la faveur de l'artiste. Le dilruba (vièle indienne), le Guzheng (cithare chinoise), les bols tibétains, un tour du monde musical rien qu'en tournant la tête à 360 degrés. Le musicien concède l'aspect presque maladif d'une telle accumulation. Il avoue dépenser quasiment tout ce qu'il gagne dans cette obsession à rechercher de nouvelles sonorités. Son instrument fétiche, depuis quelques mois, est un handpan, percussion suisse en forme de soucoupe volante, qu'il a fait venir des États-Unis. Obsession ? Il déclare, pourtant, pouvoir se passer de la musique lorsqu'il le souhaite. « Parfois, je peux rester deux mois sans toucher un instrument. Cela me permet de prendre du recul, que mon cerveau fasse d'autres connexions », explique l'artiste.
Le producteur-compositeur déborde d'énergie, il ne tient pas en place dans la pièce qui lui sert de studio. Le calme de sa voix et son sourire sincère semblent en décalage total avec son attitude corporelle. Le musicien se balance de droite à gauche sur la chaise, tel un petit garçon impatient de faire les 400 coups...
S'il n'a rien contre le fait de jouer à plusieurs sur scène, le compositeur fonctionne plutôt de manière solitaire. « J'enregistre seul, ici. Je fais rarement appel à des musiciens. » Des exceptions ? « Lorsque je ne suis pas très à l'aise avec l'instrument en question, par exemple. »
Ses longs cheveux frisés poivre et sel pourraient tromper ceux qui ne le connaissent pas. Karim Khneisser est bel et bien un jeune homme de 29 ans, qui ne fait qu'écouter ses envies. Cela lui a bien réussi, jusque-là. Son nom n'est pas (encore) des plus renommés, mais son visage fin est familier des amateurs des Beirut Jam Sessions. Ces courtes vidéos tournées par Anthony Semaan montrent à l'exercice de jeunes talents, d'autres plus confirmés, mais toujours sans artifices, toujours en acoustique. C'est dans ce cadre que Karim Khneisser a acquis une certaine notoriété depuis son duo inattendu avec la chanteuse soul anglaise Joss Stone (Walahi) en juillet 2014.

 

 

Départ précipité
Spécialisé dans la postproduction (musique et sound-design), il compose aussi, enregistre et produit parfois certains groupes dans son studio d'Achrafieh. Le quartier est pratique, dit-il, car les agences de publicité pour lesquelles il travaille ou ses amis musiciens vivent tout près. Après avoir envisagé, il y a quelques années, d'investir dans une petite maison à la montagne pour y fonder son studio, son idée est tombée à l'eau à cause d'un départ précipité en 2007, pour faire une partie de ses études en France. Il se résigne alors à ramener ses instruments chez ses parents.
La pièce transformée en studio n'est pas parfaite, concède-t-il, mais il n'a pas le courage de chercher un autre lieu à cause de ses voyages incessants entre le Liban et la France. Le musicien vit la moitié de l'année à Paris, l'autre à Beyrouth. Cela fait maintenant 8 ans qu'il partage sa vie entre la France et le Liban. Mais le jeune homme veut désormais construire son futur dans la capitale de l'Hexagone, fatigué par la pollution et le climat politique libanais. En attendant de s'exiler, il a installé les unités centrales de ses ordinateurs dans le couloir qui précède l'entrée de son studio afin de ne pas être gêné par leur bruit. Consciencieux, le musicien a ses heures favorites pour enregistrer, vers 21 ou 22 heures. « Le soir les molécules d'air sont plus calmes, le son est donc meilleur », tente de justifier le producteur compositeur.

Du tac au tac
Sous ses airs désinvoltes se cache un bosseur autodidacte. Après avoir étudié à l'Alba, à l'Iesav, à l'école d'audiovisuel SAE à Paris, il a abandonné Sup de pub en route, lassé par ses études. « Tout le système académique me fatigue. C'est pour cela que je ne me suis jamais vraiment investi. J'ai appris les choses par moi-même. » Quand l'agence de publicité pour laquelle il travaille parfois a une idée précise en tête, Karim Khneisser ne perd pas de temps à essayer de convaincre d'aller vers une autre direction. Il vise l'efficacité. « En tant que designer sonore, je peux travailler et terminer plusieurs spots de publicité en l'espace d'un après-midi. En tant que compositeur, je prends tellement mon temps que je ne sors jamais rien », dit-il modestement en forçant le trait.
Même s'il est l'auteur de plusieurs compositions originales, le jeune homme n'a pas encore d'album solo à son actif mais a déjà réalisé la bande originale de la minisérie web The Little Drop pour laquelle il avait carte blanche. Actuellement, il écrit le second épisode de sa propre minisérie caustique Halib el-Nawar, dans laquelle il se grime en libanaise à la conquête d'Hollywood. Sortir son propre album n'est pas une obsession pour l'instant. « Je change de style de musique tous les six mois, je ne me lasse pas, c'est simplement que mon oreille change. Je peux écrire un morceau et le détester deux mois plus tard. » Une versatilité due à sa jeunesse ? « En vieillissant, nos regards changent aussi », répond l'artiste du tac au tac. Ses quelques racines capillaires blanchies annonçaient la couleur : Karim Khneisser est un apprenti-sage avant l'heure.

 

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