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Lifestyle - Coulisses

Rabih Kayrouz, homme sweet homme

Jouer les spéléos en plongeant dans l'intimité du processus de création d'une collection, le soir précédant le défilé printemps-été 2016 de la Maison Rabih Kayrouz... Le soir d'avant les acclamations où tout est à revoir et à parfaire, alors que l'heure tourne.

Rabih Kayrouz réinvente une pièce. Photos G.K.

Parfois, on a tout faux. Avant la rencontre avec Rabih Kayrouz, le 3 octobre, veille de son défilé printemps-été 2016, on s'était bâti une jolie petite théorie à la noix : le créateur de mode, cet être sous haute tension, excessif, forcément à cet instant crucial, super-« high » ou super-« down », est à ménager. Entouré d'une équipe qui parle d'« univers » d'un air pénétré, le démiurge de l'étoffe va jusqu'à se parer d'une armure d'assistants hystériques et à la ramasse, il mute de créateur à créature. Des spéculations qui s'effondrent dès le portail du 38, boulevard Raspail, où siègent l'atelier et la boutique de l'artiste libanais. Le rencontrer est facile, y compris à J-1 lorsqu'il est censé monter dans les tours, prière de dégager. Avec lui, qui tutoie très vite, tout l'inverse : « Mais oui, viens, je t'attends. » D'abord, il y a le silence monacal de cette cour de la rive gauche. Surprenant. Ensuite, des tendres notes de blues nous accompagnent le long de l'escalier de bois qui mène vers la salle principale où il nous attend, affichant un sourire mêlant la souplesse et l'impassibilité d'un félin. Chemise blanche et jeans clair à revers sur Air Max de garçon gourmand : Rabih Kayrouz pratique une élégance à la fois minimaliste et recherchée.

« Donnez-moi de la mousseline »
On assiste alors à deux heures d'essayage où le créateur va et vient, ultraconcentré mais sans le masque qui va avec. Il scrute les mannequins dans une sérénité inentamée, une sorte d'examen destiné à vérifier si les silhouettes font leur effet, si l'association des couleurs, celle des habits fonctionne. Parfois, il demande aux filles de défiler à nouveau, histoire d'analyser à sa loupe un détail que seul lui aurait percuté. Et là, même s'il lui arrive d'être coupant, aiguisé, de froncer les sourcils en accent circonflexe ou de renvoyer un look, il reste d'un contact doux comme ses matières de prédilection, soie, coton. « Ce qui me saisit le plus chez lui, c'est le respect et la considération qu'il a systématiquement pour tout être humain », nous confie Constance Rebohlz, associée et muse de Rabih Kayrouz. « Donnez-moi de la mousseline », demande-t-il poliment, en faisant appel à sa première d'atelier. Et là, devant nous, il installe un vide qui n'est ni sidéral ni sidérant. Il ne parle plus, et cela crée un interlude où se promènent des fantaisies colorées, toutes prêtes à plumer les gouffres de la banalité. Il s'empare de ciseaux, d'épingles, enveloppe la taille d'une bande d'organza tissée, élimine une manche, creuse un décolleté. « J'aime », dit-il ensuite. Une robe voit le jour, à quelques heures du défilé. Ce qui impressionne, c'est sa lucidité, cette manière intuitive d'assembler en une fraction de seconde des éléments épars, comme s'il avait le hasard dans sa poche. Le créateur répétera l'exercice trois fois, inventera ou réinventera des pièces et les intégrera à sa collection.

Calmes fourmillements
Pendant que les mannequins poursuivent leur défilé en véritables tanagras drapés de pièces teintées d'influences orientales (abayas) mais silencieusement redessinées par un crayon contemporain, l'atelier fourmille. Sous les combles s'active une quinzaine de couturiers penchés sur leurs modèles, achevant telle pièce ou ajustant des détails qui paraîtraient, pour le commun des mortels, insignifiants. Rabih Kayrouz, lui, pose un regard particulièrement attentif et affectueux sur les « ouvriers » de son atelier, « ces mains de génie » qui, dans l'effervescence, cousent les grandes collections avec leurs petits gestes précis. Il les encourage, « vous êtes les meilleurs ! » plaisante avec eux, les remercie avant d'aller faire le point avec le styliste du défilé, puis la directrice de casting qui sont surpris par sa tranquillité presque agaçante. Pourtant, chez Kayrouz, le calme n'est qu'une apparence de sage, peut-être une élégance de la maturité. À 40 ans pétants, la jubilation revient vite le titiller, l'œil s'ouvre et c'est un enthousiaste qui s'agite lorsque l'enchaînement des looks, collé en post-its sur le grand miroir de la salle, lui plaît enfin : « Ça a marché ! » sourit-il.

À table !
Soudain, il disparaît. Et c'est toute l'équipe qui se met à chercher le créateur. « Je suis là », répond-il d'une voix rassurante. Là, au creux d'un portant chargé de robes qui patient. Là, redessinant ses croquis pour le look book de la collection, « parce que c'est plus mignon que des photos ». Il est là certes, mais il est parti où il a envie. Et pourtant, nous le suivons facilement, le laissant aller et venir, balançant l'anse de ses flâneries au bras de son crayon qui trace les contours d'une femme « à la croisée de la abaya et du tailleur, dans un duel couvert-découvert, vicieuse et intrigante », explique-t-il. Après un moment, lassitude ou impatience, il se lève et déclame : « À table ! Il faut bien qu'on se nourrisse. » Soit. Autour d'un banquet en bonne et due forme, toute la famille se retrouve autour de Rabih Kayrouz. On trinque, on rit, l'émotion est à fleur de peau, le trac s'invite aussi, mais c'est l'énergie qui portera tout ce petit monde jusqu'au défilé du lendemain. Une collection est née.

 

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Parfois, on a tout faux. Avant la rencontre avec Rabih Kayrouz, le 3 octobre, veille de son défilé printemps-été 2016, on s'était bâti une jolie petite théorie à la noix : le créateur de mode, cet être sous haute tension, excessif, forcément à cet instant crucial, super-« high » ou super-« down », est à ménager. Entouré d'une équipe qui parle d'« univers » d'un air...

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