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Cibles furtives

Afghans, Tchétchènes, Ouzbeks, Tadjiks, Somaliens, Tunisiens, Français, Britanniques, et on en oublie, sans évidemment parler des autochtones : dans la sanglante tambouille cuisant à feu vif dans le chaudron syrien, il y avait déjà de tout, avant même l'intervention massive de Moscou. Celle-ci ne manquera sans doute pas de redonner du tonus à un Bachar el-Assad aux abois, malgré la participation aux combats de ses alliés iraniens et affiliés ; mais l'authentique salade russe qui vient d'être affichée au sinistre menu ne contribue certes pas à clarifier le devenir de la Syrie, et même de la région tout entière.


Sauver un régime baassiste qui lui concède une inestimable base navale en Méditerranée et enrayer une vague islamiste susceptible de s'étendre à son environnement caucasien : d'une désarmante simplicité, si l'on peut dire, paraissent les motivations généralement attribuées au Kremlin. En revanche, et si Moscou peut se vanter d'avoir incontestablement (et fort acrobatiquement) marqué des points, c'est son mode opératoire qui laisse perplexe.


L'Amérique par lamentable irrésolution et la Russie à dessein n'ont jamais soutenu le projet turc d'une zone d'exclusion aérienne qui eut, pour le moins, mis la population syrienne à l'abri des barils d'explosifs que lance, à criminelle profusion, l'armée de Damas. Or dans les faits, c'est aujourd'hui l'aviation russe qui, par son intense activité, contraint la coalition internationale à la plus grande prudence en matière de survols. Qui, pour la première fois depuis des décennies, porte les généraux de Netanyahu à respecter scrupuleusement les règles du trafic dans un ciel syrien où Israël se croyait tout permis. Qui donne même dans la provocation en violant par deux fois l'espace aérien turc, en mettant à rude épreuve les nerfs d'Ankara et de l'Otan.


Mais c'est surtout le choix des cibles russes qui en dit long sur les objectifs plus ou moins furtifs et les tortueux calculs des uns et des autres. Ainsi, ce n'est que sur le tard qu'ont été bombardées des positions de l'État islamique, tous les autres groupes de rebelles ayant eu la primeur des premières attaques : et parmi ceux-ci, ceux jugés propres par Washington qui les entraîne et les arme, encore que fort chichement. Or cette fleur faite aux hommes d'Abou Bakr al-Baghdadi, ce n'est pas le dictateur de Syrie qui s'en plaindra. Car après tout, quel meilleur épouvantail agité à la face de l'Occident, quel faire-valoir plus précieux pour Bachar que Daech ? Quel ennemi plus précieux que celui-là, qui combat davantage la concurrence islamiste que les forces régulières syriennes : tout se passant comme si, au terme des éliminatoires, ne devaient plus rester en présence que le réduit alaouite et le médiéval magma du prétendu califat ?


Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

P-S. : Un milliard d'euros, et peut-être un peu plus : c'est le montant de l'aide que l'UE s'engageait une nouvelle fois, hier, à accorder à la Turquie pour l'aider à contenir l'afflux de réfugiés en Europe. La Turquie accueille actuellement 2,2 millions de ces malheureux, chiffre évidemment substantiel mais guère catastrophique au fond pour un pays de 77 millions d'habitants. Le Liban, assisté au compte-gouttes, en héberge plus de la moitié, soit plus du quart de sa population. Mais avec l'Europe, il n'a d'autre frontière en partage que la culturelle. C'est juste, ça ?

Afghans, Tchétchènes, Ouzbeks, Tadjiks, Somaliens, Tunisiens, Français, Britanniques, et on en oublie, sans évidemment parler des autochtones : dans la sanglante tambouille cuisant à feu vif dans le chaudron syrien, il y avait déjà de tout, avant même l'intervention massive de Moscou. Celle-ci ne manquera sans doute pas de redonner du tonus à un Bachar el-Assad aux abois, malgré la...