Lorsqu'un responsable politique qui aspire à de hautes charges officielles avance des affirmations qui sont en totale contradiction avec la réalité, cela signifie que nous sommes face à un cas de mauvaise foi cynique ou, tout simplement, d'ignorance caractérisée. Ce cas de figure s'applique, entre autres, à la présidente du Front national, Marine Le Pen, et à l'eurodéputée du parti Les Républicains (ex-UMP), Nadine Morano, qui ont tenu récemment des propos déconcertants au sujet du régime syrien.
Dans une interview à Europe 1, Mme Le Pen déclarait ainsi que « Bachar el-Assad dirige aujourd'hui la Syrie (sic !), il dirige une armée, et il n'y a pas d'autre moyen, si on veut éradiquer l'État islamique, que de s'associer à Bachar el-Assad ». Abondant dans le même sens, Mme Morano soulignait de son côté sans ambages, toujours sur les ondes d'Europe 1, que « nous ne pourrons pas combattre Daëch sans Bachar el-Assad ».
La dirigeante du Front national ignore-t-elle à ce propos que le président syrien ne contrôle, au stade actuel, qu'à peine 20 pour cent de son territoire ? N'a-t-elle pas été informée que celui qu'elle défend avec enthousiasme ne doit sa survie qu'à l'intervention massive du Hezbollah et des milices chiites irakiennes pro-iraniennes à ses côtés ? Peut-elle ignorer que même cette implication du Hezbollah et de l'Iran n'a pu éviter la déroute, sur plusieurs fronts, de ce qui reste de l'armée syrienne, et qu'il aura fallu mettre en marche le rouleau compresseur russe pour empêcher la chute rapide du Tyran de Damas ? Sur base de quelle perception politique Mme Le Pen a-t-elle pu concilier ces réalités tangibles avec son propos selon lequel Bachar el-Assad « dirige » la Syrie et pourrait être d'une quelconque utilité dans la lutte contre l'État islamique ?
Quant à Mme Morano, ignore-t-elle, aussi, que les jihadistes sont les « ennemis » préférés du régime syrien du fait que leur existence même permet à ce dernier de se poser devant certains responsables occidentaux en alternative à Daëch ? Il n'est pas superflu de répéter une fois de plus qu'au début du soulèvement syrien, le pouvoir baassiste avait libéré de ses prisons tous les responsables et cadres fondamentalistes radicaux. Manœuvre diabolique, car il savait qu'entre des opposants libéraux et des jihadistes comme adversaires, il se devait d'écraser dans le sang les premiers et de favoriser l'émergence des seconds pour, précisément, être en mesure de soulever l'équation « c'est ou moi ou les jihadistes ». Cette évidente supercherie a été dénoncée à plus d'une reprise par le président François Hollande, le Premier ministre Manuel Valls et le chef du Quai d'Orsay Laurent Fabius qui ne manquent aucune occasion de relever que ce serait faire fausse route que de percevoir le conflit syrien sous l'angle d'un choix entre Bachar el-Assad et Daëch car ils représentent les deux faces d'une même médaille et le combat contre l'État islamique passe inéluctablement par l'élimination du catalyseur des courants jihadistes, Bachar el-Assad.
Il serait sans doute utile de rappeler dans ce contexte à Mmes Le Pen et Morano l'expérience des Libanais, et plus particulièrement des chrétiens (puisque Madame l'eurodéputée est soucieuse des valeurs chrétiennes de la France) avec le régime Assad (père et fils). Lors de la funeste époque de l'occupation syrienne, les services de renseignements du pouvoir baassiste s'employaient ainsi à créer ou à renforcer des courants fondamentalistes sunnites à Beyrouth pour juguler la montée en puissance de l'opposition chrétienne libanaise. Ceux qui ont vécu cette période se souviennent, à n'en point douter, du déferlement dans les rues, à l'instigation des SR syriens, de miliciens fondamentalistes, machettes à la main, afin d'empêcher les opposants chrétiens d'organiser des manifestations contre la tutelle syrienne. Le régime Assad (du temps, déjà, du père) était d'ailleurs passé maître – et il l'est toujours avec Bachar – dans la manipulation des courants jihadistes pour renforcer sa position sur l'échiquier régional, tout en prétendant ensuite, en temps opportun, pouvoir mettre au pas ceux qu'il avait lui-même soutenus ponctuellement. C'est le principe, bien connu, du pyromane-pompier. Affirmer, par conséquent, qu'il faut s'associer à Bachar el-Assad pour combattre Daëch reviendrait à dire qu'il est nécessaire de s'allier au pyromane pour lutter contre l'incendie !
Michel TOUMA
commentaires (10)
Quel dommage que Mmes Lepen et Morano soient complètement déconnectées de notre réalité! Soit elles ignorent le machiavélisme de Bachar El Assad libérateur des jihadistes des geôles syriennes soit entre deux maux elles croient choisir le moindre et elles se trompent grandement.
Dounia Mansour Abdelnour
01 h 12, le 07 octobre 2015