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Santé

Les OGM et la science au rabais

Kavin Senapathy est une auteure indépendante en sciences à Madison, dans le Wisconsin.

Dans le paysage médiatique actuel, où les opinions infondées, le matraquage et les rumeurs vont bon train, la méthode scientifique (c'est-à-dire les moyens par lesquels nous déterminons, en fonction de preuves empiriques et mesurables, ce qui est vrai) doit servir d'un repère de la réalité. La science nous permet de mesurer l'étendue de nos connaissances et d'identifier ce que nous ignorons. Plus important encore, elle discrédite les fausses affirmations avancées pour des raisons personnelles ou politiques, ou du moins elle se doit de le faire.
Mais parfois quelques scientifiques « passent de l'autre côté », délaissant la méthode scientifique – souvent pour des questions de notoriété ou de profit économique – pour produire de la propagande et semer la peur au sein d'une population qui manque d'expertise, mais qui est avide d'informations. Cet abus de l'autorité scientifique est particulièrement répandu dans l'industrie agroalimentaire « biologique » et « naturelle », qui tire profit de la peur des gens des produits synthétiques ou « non naturels ».
Un exemple récent est celui du scientifique américain d'origine hindoue V.A. Shiva Ayyadurai qui, avec Prabhakar Deonikar, a publié un article tourné en dérision : « Les OGM accumulent-ils le formaldéhyde et perturbent-ils les équilibres des systèmes moléculaires ? La biologie des systèmes pourrait avancer des réponses » (Les OGM sont des organismes génétiquement modifiés, une catégorie en elle-même trompeuse et souvent injustement stigmatisée, qui englobe un univers d'organismes modifiés par les techniques plus modernes et les plus précises du génie génétique).
Bien que l'article soit apparemment passé par le processus d'examen par les pairs, un élément clé de la science légitime, il est paru dans un journal à articles payants à faible impact, Agricultural Sciences, produit par un éditeur « agressif ». Dans les jours qui ont suivi sa publication, des organisations antibiotechnologies comme Organic Consumers Association et OGM Inside ont publié des articles à partir des « découvertes » d'Ayyadurai, assortis de titres effrayants : « Du formaldéhyde dans le soja OGM ? » et « Une nouvelle étude montre que le soja OGM accumule le formaldéhyde qui cause le cancer », accompagnés d'illustrations effrayantes.
Mais les problèmes avec l'article d'Ayyadurai sont légion. Le titre à lui seul suffit pour montrer que quelque chose ne tourne pas rond. Si l'on estime que les OGM pourraient bien « accumuler du formaldéhyde » – un produit chimique qui serait probablement cancérigène à des niveaux élevés, mais qui est présent dans la majorité des cellules vivantes et trouvé en abondance dans notre environnement –, la réponse évidente consisterait alors à mesurer ses niveaux dans les organismes. En revanche, Ayyadurai a choisi de faire des estimations fondées sur la modélisation à partir de la « biologie des systèmes ».
La « biologie des systèmes » permet seulement de faire une prévision et non de tirer une conclusion expérimentale. Plutôt que de réellement examiner les niveaux de tous les produits chimiques dans les usines, Ayyadurai a introduit les données dans un algorithme d'ordinateur pour prévoir les niveaux de deux produits chimiques : le formaldéhyde et le glutathion. On peut comparer cela à un météorologue qui prédirait en fonction de ses modèles qu'il fera beau toute la journée, au lieu de regarder par la fenêtre et de voir que la pluie tombe.
Comme l'a expliqué Kevin Folta, directeur du département des sciences horticoles à l'Université de la Floride, la biologie des systèmes peut être une approche utile, quand on l'utilise correctement. Selon ses termes, la biologie des systèmes « est une manière de faire des prévisions en intégrant des données existantes, puis en en dérivant une probabilité statistique que les prévisions peuvent être correctes ». Mais il insiste sur le fait que les prévisions doivent alors être examinées « et que l'approche par les systèmes doit être validée ».
Comme toutes les études prédictives basées sur la modélisation informatique, la validité des résultats dépend de l'intégrité des données et de l'algorithme. Si les données sont sélectionnées en vue d'étayer les conclusions désirées par celui qui opère la modélisation, ou si l'algorithme est défectueux, les résultats seront alors imprécis. Mais l'article d'Ayyadurai ne cite pas précisément les données qu'il a utilisées et il n'y a pas eu de validation du modèle.
Folta tourne brillamment en ridicule le travail d'Ayyadurai : « Si vous développez un programme informatique qui intègre des données Internet afin de prévoir l'emplacement de Munich et que le programme vous répond carrément que cette ville se trouve dans le golfe du Mexique, à côté de la Floride, cela ne signifie pas que Munich se trouve dans le golfe du Mexique, à côté de la Floride. » Cela signifie plutôt que vous avez fait une erreur dans votre programme, dans vos hypothèses ou dans la saisie des données, autant de choses qui sont vérifiables.
Folta explique ensuite, que décider de ne pas contester ces données et de « publier » plutôt « une carte qui montre que Munich est carrément dans le golfe du Mexique, en s'opposant à toutes autres données et aux déclarations quelque peu ironiques de millions d'Allemands, ne signifie pas que vous êtes brillant ». « Cela signifie que vous n'avez absolument aucune idée sur la question, ou plutôt que vous devez avoir une bonne raison de vouloir qu'une grande métropole allemande se trouve à deux heures de bateau de Tampa », a-t-il ajouté.
Folta a aussi quelque chose à dire au sujet de l'éditeur d'Ayyadurai. Si vous imprimez la carte mensongère indiquant l'emplacement de Munich, « que révèle-t-il concernant votre intégrité en tant que source d'information fiable ? »
Dans un esprit de coopération scientifique, Folta a proposé de collaborer avec Ayyadurai sur les tests universitaires portant sur les échantillons de maïs et de soja génétiquement modifiés (et de fournir des contrôles appropriés), grâce aux analyses d'un laboratoire indépendant. Ayyadurai ayant décliné cette proposition, Folta effectuera donc lui-même ces examens.
Les données expérimentales seront bientôt publiées. En attendant, si vous rêvez de manger des Sauerbraten et des Spaetzle, dirigez-vous donc vers l'Europe centrale, pas vers le golfe du Mexique.

© Project Syndicate, 2015.

Dans le paysage médiatique actuel, où les opinions infondées, le matraquage et les rumeurs vont bon train, la méthode scientifique (c'est-à-dire les moyens par lesquels nous déterminons, en fonction de preuves empiriques et mesurables, ce qui est vrai) doit servir d'un repère de la réalité. La science nous permet de mesurer l'étendue de nos connaissances et d'identifier ce que nous...

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