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Nos Lecteurs ont la Parole - Carine CHAMOUN CHAMMAS

Transmission et héritage

Il est des chemins difficiles à prendre. Ils font partie de la vie et souvent on souhaite parfois de ne pas s'y trouver ou de n'être pas obligés de les emprunter. Dans la vie d'une mère, c'est le moment où on lâche son enfant sur une route, la sienne, en lui lâchant la main sans être sûre de l'avoir bien armé pour la suite. Pour une mère libanaise de ma génération, élever des enfants n'est pas facile. On a grandi dans ce qu'on pourrait appeler le système D. Notre enfance n'a pas été un havre de douceur et de tranquillité. Notre scolarité a souvent été chaotique. Notre vie, souvent une vie de saltimbanques. La seule chose dont nous n'avons jamais manqué était l'amour inconditionnel et souvent angoissé de nos parents. Alors pour élever nos enfants, nous avons fait un peu comme eux. On a abusé d'attentions, de confort, de présence. On les a poussés à aller toujours de l'avant, à viser l'excellence « parce qu'on ne sait jamais... ». Toujours cette inquiétude et cette incertitude. L'impression d'être toujours sur le départ. Un pied ici enfoncé dans la boue et l'autre plus léger prêt à l'envol. Un regard sur la mer, le ciel, la montagne et l'autre sur la Seine, la Tamise et l'Hudson. Toujours près d'un point d'eau. Bon sang ne saurait mentir...
Entre le moment où on tient leurs menottes fragiles pour la première fois les yeux pleins de larmes d'émotion et celui où on lâche leur grande main d'homme ou de femme les yeux remplis des mêmes larmes de fierté, 18 ans se sont écoulés, à la vitesse de la vie, happés qu'ils sont par le rythme monotone et infernal du quotidien. Et l'on se dit qu'on a eu le temps de rien faire, de rien voir, de rien dire ; on a le cœur plein, mais la bouche vide.
On se dit qu'ils méritent mieux. Que ce pays qu'on aime de manière irrationnelle est trop petit pour eux, trop étriqué, trop en retard, trop bordélique, trop incertain, trop tout, et on les laisse parfois partir sans regrets, mais non sans remords.
Alors, quand en passant sous le pont du Ring j'ai vu ces notes d'espoir, ces rêves à la craie d'un Liban meilleur tracés sur le béton noir du désespoir, quand mon fils, tout fraîchement sorti de l'école, à peine à l'aise encore dans sa grande enveloppe de jeune homme, s'en est allé manifester le premier jour, je suis tombée de haut. Quand il est rentré le soir les yeux rougis par les gaz lacrymogènes, les cheveux hirsutes d'eau et encore plus révolté contre l'attitude de ses dirigeants, je suis restée perplexe. Quand il m'a demandé de l'accompagner la semaine suivante, je l'ai fait pour m'assurer qu'il irait bien.
Et là, je suis tombée des nues. Dans la foule bigarrée et multiple, dans la multiplicité des slogans, dans la justesse des revendications, dans les yeux pleins d'espoir, dans l'unicité des drapeaux affichés, dans la jeunesse vibrante, le Liban, le vrai, était là. Il était sorti du coma, hébété, hagard, un peu paumé, mais bien réveillé.
Quand mon fils a pris l'avion pour son long périple, quand sur sa page Facebook il a demandé à son pays de prendre soin de lui en attendant que lui puisse le faire, j'ai compris qu'on avait peut-être fait du bon boulot et que, pour le pays, tout n'était peut-être pas perdu....
P.S. : ce mot est un remerciement pour tous les élèves de la promo 2015 du Collège N-D de Jamhour, à leurs parents, au père recteur et à leurs enseignants, ainsi qu'à toutes les personnes concernées par l'éducation des jeunes, qui font que notre avenir soit plus bleu que notre présent.

Carine CHAMOUN CHAMMAS

Il est des chemins difficiles à prendre. Ils font partie de la vie et souvent on souhaite parfois de ne pas s'y trouver ou de n'être pas obligés de les emprunter. Dans la vie d'une mère, c'est le moment où on lâche son enfant sur une route, la sienne, en lui lâchant la main sans être sûre de l'avoir bien armé pour la suite. Pour une mère libanaise de ma génération, élever des...

commentaires (2)

Excellent et vivifiant ! Merci.

ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

11 h 12, le 04 octobre 2015

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Commentaires (2)

  • Excellent et vivifiant ! Merci.

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    11 h 12, le 04 octobre 2015

  • LE ZAIM EST MORT... ET LES MOUTONS - VIVE LE ZAIM !

    LA LIBRE EXPRESSION

    10 h 19, le 04 octobre 2015

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