La journée d'hier a été, pour la commission d'experts chargée de régler le problème des déchets et présidée par le ministre de l'Agriculture Akram Chehayeb, riche en réunions avec des acteurs concernés, notamment des écologistes. Aujourd'hui, d'autres réunions sont prévues, notamment avec la Coalition civile contre le plan gouvernemental de gestion des déchets et d'autres groupes, selon les informations recueillies par L'Orient-Le Jour. La coalition, avec les groupes partenaires, avait fait parvenir une liste de quelque 26 remarques à la commission. Entre-temps, les déchets continuent de s'empiler dans les rues, alors que la saison des pluies approche.
Interrogé par L'Orient-Le Jour sur les résultats de la réunion d'hier avec les écologistes, Edgar Chéhab, membre de la commission et représentant adjoint du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) au Liban, a assuré que « l'atmosphère était très positive ». « Comme ils l'ont dit eux-mêmes, nous étions deux équipes en entrant à la réunion, nous en sortons comme une seule », a-t-il affirmé. Il a précisé que le malentendu portait sur des points qui restaient obscurs parce que le texte du plan n'avait pas encore été distribué, mais que des réponses satisfaisantes ont été apportées aux questions des écologistes.
Paul Abi Rached, président du Mouvement écologique libanais (rassemblement d'une soixantaine d'ONG), confirme à L'Orient-Le Jour que l'atmosphère était positive et la réunion de trois heures et demie constructive. « Nous avons discuté de tous les points en suspens, a-t-il indiqué. Nous avons réussi à convaincre sur plusieurs plans. D'une part, les membres de la commission ont accepté de ne plus considérer les zones de services de 200 tonnes et plus (en termes de capacité de traitement) comme obligatoires, bien qu'elles restent recommandées économiquement selon eux. Cela signifie que de petites municipalités peuvent envisager de traiter leurs déchets elles-mêmes. D'autre part, nous avons introduit le concept du compostage (transformation des matières organiques en enrichisseurs de sol) dans le plan. Nous craignions que la tendance ne soit au tri et recyclage, puis à l'incinération des déchets pour production d'énergie ("Waste to Energy"). Nous avons d'ailleurs senti une prise de position plus claire contre l'incinération. »
Mais le point le plus important reste, selon l'écologiste, le fait de remplacer le concept de décharges en celui de centres de tri et de compostage, doublés de décharges sanitaires, « une option qui sera bien mieux reçue par la population ». « Et, a-t-il ajouté, nous avons discuté de la primauté du principe de tri à la source, qui devra être promu dès le premier jour de mise en application du plan, avec collecte séparée pour les matières organiques et non organiques. » Il se dit confiant que « toutes ces modifications seront inscrites dans un rapport qui sera rendu public par la commission ». « Pour ce qui est de la réouverture temporaire de la décharge de Naamé, nous nous conformons à la décision de la campagne pour la fermeture de cette décharge », dit-il.
À la question de savoir quand le plan pourrait être mis en route, Edgar Chéhab souligne que l'assentiment des habitants des zones pressenties pour accueillir des décharges devrait être obtenu au préalable, d'où un délai de quelques jours. Pour ce qui est des sites des décharges, « les études se poursuivent pour déterminer si les sites choisis répondent aux normes ou pas », précise-t-il. Selon lui, les premiers résultats montrent que le site de Srar (au Akkar) est propice à accueillir une décharge. « Le site de Masnaa pourrait présenter des problèmes, ajoute-t-il. S'il est vrai qu'il y a des réserves d'eau et un risque de pollution, nous abandonnerons cette option. »
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Un terrain karstique et poreux
Concernant le choix du site à Masnaa, et suite à la polémique qu'il a suscitée, nous avons interrogé Samir Zaatiti, hydrogéologue et professeur retraité, qui a sillonné le Liban au cours de sa longue carrière. Il nous apporte une opinion scientifique, fondée sur des photos satellites qu'il a consultées. « La chaîne de montagnes de l'Anti-Liban est en grande partie formée de roche massive dure, carbonatée, fracturée et fissurée, soluble dans l'eau, formant un magasin d'eau souterraine appelé magasin karstique, explique-t-il. Cela signifie que le sol y est caractérisé par une grande perméabilité : 40 % du volume des précipitations dans cette zone finit en eau infiltrée. »
« La ligne de contact de cette roche superficielle avec la plaine alluviale (de stockage d'eau) de la Békaa est jalonnée d'une série de grandes sources dont celles de Anjar, de Chamsine... L'ensemble est constitué de formations très perméables », souligne-t-il.
L'hydrogéologue précise que selon les images satellites qu'il a pu consulter, le terrain pressenti à Masnaa se trouve être une vallée. « Cette vallée surplombe une nappe d'eau qui plonge vers la plaine de la Békaa, souligne-t-il. La pollution qui peut en résulter sera dangereuse et pourra gagner très rapidement les nappes phréatiques de la Békaa, car elle passera à l'intérieur des fissures de roches, d'où son débit très rapide. »
Le site devrait cependant être doté d'une géomembrane protectrice... « À mon avis, cette géomembrane ne sera pas aussi efficace qu'on veut bien le faire croire, précise Samir Zaatiti. Il y a quelques années, avec un financement de l'Usaid, un lac artificiel avait été construit au Sud, à Rmeich, dans un terrain similaire. Malgré la géomembrane, il y a eu des fuites en plusieurs endroits. »
Y aurait-il donc, au Liban, des sites acceptables pour des décharges ? « En plein milieu de la plaine de la Békaa, il y a de nombreux sites sur des roches imperméables, notamment des roches argileuses ou marneuses (ces dernières sont constituées à plus de 50 % d'argile et moins de 50 % de calcaire), dit-il. On peut y prévoir des décharges et des usines de traitement sans grand risque de polluer l'eau souterraine. »
(Pour mémoire : Une guerre des plans entre la commission ad hoc et la société civile)
« À nous de rebâtir la confiance »
Plus tôt dans la journée, la commission parlementaire de l'Environnement avait tenu une réunion, présidée par le député Marwan Hamadé, en présence du ministre Akram Chehayeb et de membres de sa commission. M. Hamadé a plaidé pour une action rapide, avant la saison des pluies et l'avènement d'une grande catastrophe. Il a énoncé deux grands piliers de cette action : l'entente politique et la contribution du mouvement civil à la mise en application de ce plan. Il a estimé que « la plupart des remarques faites par les différents acteurs sur ce plan ont été prises en considération et il faut passer à l'étape de l'application ».
M. Chehayeb a insisté à plus d'une reprises sur la nécessité de mettre en chantier ce plan le plus vite possible, sous peine de payer un prix beaucoup trop fort. Il a commencé par reconnaître que le mouvement civil a été à l'origine de la naissance de ce plan, et rappelé que le dialogue avait été établi avec les jeunes, estimant que la plupart de leurs interrogations avaient une réponse dans le plan lui-même. Il a insisté sur la coopération de tous les acteurs pour résoudre cet épineux dossier qui atteint toutes les catégories sociales sans distinction. « Je comprends le manque de confiance et la peur que ce qui est temporaire ne se transforme en durable, a-t-il ajouté. À nous de rebâtir cette confiance, même si elle reste minimale, parce que la situation actuelle ne souffre aucun retard. »
Le ministre a mis en évidence la spécialisation des membres de son comité, appelant les jeunes du mouvement civil à s'y joindre en nommant la personne de leur choix, et rappelant qu'un représentant de l'association « La fassad » (Non à la corruption) s'y trouve déjà. « Ce comité n'a d'autre choix que de réussir, d'une part grâce à la coopération entre tous les acteurs, et d'autre part parce que l'échec prendrait des proportions inégalées, a-t-il dit. La décision du Conseil des ministres d'entériner ce plan sera suivie d'autres décisions et décrets, preuve que l'étape transitoire ne se transformera pas en étape définitive. » M. Chehayeb a insisté sur le rôle des municipalités dans le tri, après qu'elles eurent touché leur dû, un tri qui commencera dans les centres dans un premier temps, puis qui sera géré par les municipalités et les fédérations de municipalités. Il a évoqué une vaste campagne de sensibilisation incluant des formations pour les municipalités, des tournées dans les écoles, des campagnes médiatiques... « L'intérêt de ce plan, c'est qu'il donne la prérogative de traiter les déchets à la base, sans que les solutions ne soient parachutées, a-t-il poursuivi. Et la base, dans ce cas, ce sont les municipalités, loin du monopole des sociétés, sous la supervision de l'État. »
Auparavant, le collectif « Vous puez ! » avait déclaré hier dans la journée qu'il accordait sa confiance à la commission d'experts chargée de traiter la crise des déchets, présidée par le ministre de l'Agriculture Akram Chehayeb, mais « ni au pouvoir politique ni au gouvernement ». Le collectif a par ailleurs estimé que « le plan provisoire doit ressembler au plan durable ».
Des réactions à la commission ad hoc ont également été exprimées par des personnalités politiques. Le ministre des Télécommunications Boutros Harb, à l'issue d'une réunion avec le Premier ministre Tammam Salam, a affirmé qu'il est « inacceptable qu'on entrave le plan Chehayeb, surtout qu'il n'y a pas d'alternative ». « Si le gouvernement prend des décisions sans se donner les moyens de les appliquer, il anéantira le prestige de l'État », a-t-il estimé.
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