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Liban - Reportage

Faire revivre aux petits réfugiés syriens au Liban leur pays perdu

L'ONG Biladi a développé un programme pédagogique visant à faire découvrir aux petits Syriens le patrimoine culturel de leur pays.

L’ONG libanaise Biladi a développé un programme pédagogique visant à faire découvrir aux petits Syriens le patrimoine culturel de leur pays. Photos Anne Ilcinkas.

À les voir danser et chanter à tue-tête, dans la cour située derrière l'église Saints-Constantin-et-Hélène (des pères paulistes), à Jounieh, on a du mal à croire que ces dizaines d'enfants syriens, âgés de 5 à 15 ans, ont fui leur pays en guerre.
Pendant quatre jours, dans une ambiance de colonie de vacances, ces petits réfugiés redécouvrent leur pays... en jouant. Ils suivent un programme pédagogique complet baptisé « Syria in my Mind » (« La Syrie dans mon esprit »), pensé et mis en œuvre par l'ONG libanaise Biladi, spécialisée dans la protection et la promotion du patrimoine. Le programme est piloté par la fondation italienne Avsi, dont Biladi est partenaire, et financé par l'Unicef. Le but est de recréer un lien, autre que celui de la peur et des larmes, entre ces petits réfugiés et leur pays d'origine.

« Mais attention, ici, on ne prononce jamais le mot "réfugié", explique Joanne Farchakh Bajjaly, la présidente de Biladi, interrogée par L'Orient-Le Jour. Le programme "Syria in my Mind" vise d'abord à les extraire à leur condition actuelle. Ils ne sont pas réfugiés ou rejetés, ils sont syriens », précise-t-elle.

Le programme s'est considérablement développé depuis sa mise en place il y a plus d'un an. Au début du projet, le programme ne durait qu'une seule journée. Aujourd'hui, il s'étale sur quatre jours. L'accent est toujours mis sur le patrimoine et l'héritage culturel de la Syrie, mais au fil du temps, et grâce à des moyens plus importants, le projet a pris de l'ampleur. Aujourd'hui, un plus grand nombre de bénévoles sont au service de plus d'enfants. « Nous avons accueilli 2 000 enfants au total, venus de plusieurs régions du Liban », indique Joanne Farchakh Bajjaly.
Selon les derniers chiffres diffusés, fin août, par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), le Liban accueille plus de 1,1 million de réfugié syriens. Près de 52 % d'entre eux ont moins de 18 ans, selon la même source.

Dans l'un des ateliers mis en place dans le cadre du programme, les enfants sont assis autour d'une carte géante de la Syrie sur laquelle sont représentés les principaux sites historiques, culturels et archéologiques du pays. Sur la carte sont disposés une petite voiture et un gros dé dont chaque face comporte une photo des sites. Le but du jeu est simple: se déplacer sur la carte avec la voiture, après avoir lancé le dé.
Mais pour les petits réfugiés, ce jeu a une véritable importance symbolique. « Les deux premiers jours, les enfants nous soutenaient mordicus qu'il était impossible de bouger sur la carte parce qu'il y a Daech (l'acronyme arabe du groupe État islamique). Ce sont les moniteurs qui déplaçaient la voiture. Mais à la fin du programme, les enfants comprennent qu'il est possible de se déplacer et bougent eux-mêmes sur la carte, explique la présidente de Biladi. Avec ce jeu, on leur explique que la Syrie n'est pas qu'un pays en guerre où l'on se terre chez soi ou que l'on fuit, poursuit-elle. La vocation pédagogique devient dès lors évidente. »

 

 

« Une image différente »
Dans le bâtiment servant de dortoir attenant à la cour, d'autres ateliers ludiques ont été mis en place. Dans une salle, des pièces en bois sont disposées sur le sol. Dalia, une jeune monitrice syrienne, demande aux enfants de construire le monument de leur choix. Un premier groupe construit la citadelle d'Alep, un autre le donjon de Safita. Dans une seconde salle, Louaï, un autre moniteur syrien, explique aux enfants le fonctionnement de la noria de Hama. Dans une troisième, une vidéo montrant les principaux sites antiques de Syrie est projetée aux enfants qui regardent attentivement.

« Nous voulons montrer aux enfants une image différente de la Syrie en guerre qu'ils ont connue, insiste Mme Farchakh Bajjali. La Syrie est un pays avec une longue histoire, des sites archéologiques et des paysages extraordinaires. Nous pensons que le vecteur culturel est le plus approprié pour leur redonner une image positive de leur beau pays et de son trésor culturel », ajoute-t-elle, précisant que « même avant le déclenchement du conflit, beaucoup d'enfants ne s'étaient jamais rendus sur les sites que nous leur montrons ».

À la fin de la journée, tous les enfants sont conviés dans la cour pour une petite fête, au son de la derbakké. « Cette fête est un rituel, explique la présidente de Biladi. Nous avons modifié les paroles de plusieurs chansons enfantines et folkloriques de façon à ce que leurs paroles se rapportent à la Syrie. »

À l'aspect ludique de ce programme, s'ajoute la volonté de participer à une forme de reconstruction psychologique des enfants. « Le regard de ces petits exprime une véritable souffrance. Nous avons effectué plusieurs expérimentations et nous nous sommes rendu compte qu'avec ces activités récréatives, leur regard changeait, explique Josiane Khalifé, responsable des opérations chez Avsi. Nous considérons que notre programme constitue une préparation à un retour chez eux. »
L'ensemble de ce programme est d'ailleurs animé par des volontaires de l'ONG syrienne Syrian Eyes, de jeunes universitaires qui ont, eux aussi, été forcés de quitter leur pays. « Il était très important pour nous que ce soit des Syriens qui parlent de la Syrie à leurs concitoyens », explique la présidente de Biladi, assurant qu'« aucun discours politique ou confessionnel n'est tenu ».

Assise en retrait, Maha Saadé, visiblement émue, observe les enfants. Cette Libanaise est volontaire depuis le lancement du projet. « Mon époux et moi sommes propriétaires d'un hangar. Lorsque les premiers réfugiés sont arrivés au Liban, j'ai commencé à en accueillir certains et à les installer dans le hangar, au grand dam de mon mari. Je les logeais et je les nourrissais. Lorsque j'ai eu vent du projet, je me suis tout de suite portée volontaire et, depuis, je les accompagne tout le temps », raconte-t-elle. « Le sort qui est réservé aux réfugiés syriens est terrible, reprend Mme Saadé. Ils n'ont rien demandé, les enfants, encore moins. Nous ne faisons que les aider. »
« Notre pays a, lui aussi, traversé une guerre. Et nous savons que le conflit syrien aura un jour une fin », renchérit Joanne Farchakh Bajjaly. Forts de cette conviction, au Liban, on prépare les enfants syriens au retour.

 

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