Lumière jaune, poussière acre, températures caniculaires, déchets en souffrance depuis plus d'un mois, suintant comme on rend l'âme leur pourriture sur les trottoirs, ou pire, dans les décharges improvisées en pleine nature. La pluie que l'on souhaite et que l'on redoute à la fois. Qu'elle crève le chancre du ciel pour qu'enfin nous parvienne un peu d'air frais ; mais qu'elle n'aille pas drainer l'infection des détritus dans la nappe phréatique... et nos dirigeants au cœur du problème, sans utilité, gardant l'œil sur le butin du ramassage et autres services publics dont l'électricité n'est pas le moindre. Le Liban se trouve en ce mois de septembre dans un dédale terrifiant hachuré d'impasses. Accentuée par cette exceptionnelle tempête de sable, jamais impression de fin du monde n'aura été plus prégnante que celle que nous ressentons en ce moment.
Pendant ce temps, l'Europe consent à accueillir les centaines de milliers de migrants qui s'effondrent à ses portes en quête d'asile, pris entre les innombrables dangers du voyage et ceux des guerres qui dévastent leurs pays. « Ni brûlé, ni noyé, ni errant sur les routes », dit un adage arabe énumérant les pires morts qui puissent emporter un être humain. Les Syriens, pour sûr, sont les gagnants de ce triste tiercé. Entre étouffer dans un camion verrouillé abandonné par un passeur criminel sur le bord d'un chemin, mourir noyés dans le naufrage d'un esquif surchargé, gazés dans un bombardement au chlore, ou brûlés, ou enterrés vifs dans un largage de barils d'explosifs, ils n'ont que le choix de ce qui leur semble le moindre mal pour sauver leur peau et celle de leurs enfants. Certes, l'Europe a besoin de jeunes pour compenser sa génération manquante, et la plupart de ces jeunes qui frappent à sa porte sont plutôt éduqués et pleins de bonne volonté. Il lui faudra cependant anticiper un colossal choc culturel que seul le temps pourra résorber. Les convois entrant en Allemagne sur l'air de « biddam birrouh » adressé à Merkel rappellent, même par le biais de l'humour, que ces populations ne se sont pas encore débarrassées du traumatisme psychologique infligé par les dictatures sur leur comportement citoyen. Leur dépendance au chef et d'une manière générale à l'État providence a quelque chose de préoccupant. Par ailleurs, d'autres images troublantes ont circulé sur les réseaux sociaux, montrant des réfugiés dans un camp européen en train de refouler les aides de la Croix-Rouge, sous prétexte qu'elles sont frappées d'une croix. Mais ces dérives ne sont pas la règle, pas plus que l'émouvant accueil fait aux demandeurs d'asile dans les gares. Sous les mots-clés #refugeeswelcome ou #LightTheDark (Australie), des vidéos montrent des migrants terrorisés qui n'en reviennent pas de l'affection et de la bienveillance dont ils sont l'objet. Mais on a bien vu ailleurs des personnes, comme cette journaliste hongroise licenciée par la suite, les agresser littéralement avec une haine et un mépris non contenus.
Entre louanges et critiques, ouverture et méfiance, amour et répulsion, l'Europe continue à se chercher face à cette invasion massive qu'elle ne peut plus humainement, et en cohérence avec ses propres valeurs, ignorer ni refouler. Mais face à cette générosité, que fait le richissime monde arabe pour ses propres frères ? Un présentateur koweïtien a placidement expliqué aux téléspectateurs que son pays était trop cher pour ces miséreux et qu'il n'était pas en mesure de supporter leurs dépressions et leurs traumatismes. Oui, les émirats du Golfe comme l'Arabie saoudite se défaussent en envoyant de l'argent, à qui, pour quoi, l'histoire ne le dit pas. Mais pas de ces malheureux sur leur territoire. Le malheur porte malheur, et qui sait, peut-être même, à Dieu ne plaise, le mauvais œil.
Le Liban, malgré son minuscule territoire, détient le record mondial de réfugiés per capita. Ses infrastructures ne sont plus au bord de l'implosion. Elles ont implosé. Certains d'entre nous regardent avec envie ces damnés pour lesquels s'ouvrent des horizons plus cléments. Mais nos arguments ne sont pas encore suffisamment convaincants pour les services consulaires.
Fifi ABOU DIB
commentaires (5)
Au Grand-Liban, le Libanais et Moyen et épicier fait ce que, normalement, devrait faire le Gros et donc le repus libanais ; le Petit et donc le fauché libanais fait ce qui, normalement, serait la tâche de ce même Moyen et boutiquier ! Et la tâche de ce Petit fauché et Sans le Sou libanais, qui l'accomplit ? Nobody, äâïynîîîh ! Cette problématique, on ne la résout pas ici dans ce pays ; on la proclame. Elle n'est nulle part résolue dans les limites de la lutte politique, elle, normale ; la lutte sociale au sein de cette non-société libanaise s'élargissant, en fait, en une guerre civile où ces communautés se retrouvent always dans un brutal face à face ! La solution, elle, ne commencera qu'au moment où, par la guerre totale entre toutes ces sectes et/ou communautés sectaires et ultra -fanatisées, les populations mixtes si pauvres et les plus appauvries, tant "musulmanes que chrétiennes", seront mises à la tête du pouvoir réel dans ce bled. Le développement de ce patelin trouvant là non son terme, mais son début de commencement d'évolution qui n'est nullement un développement au souffle court. La génération actuelle de Libanais de toutes confessions n'a pas seulement un nouveau pays à reconquérir, il faut que sûr elle périsse pour faire place nette à d'autres et à de nouvelles générations de "musulmans et de chrétiens" qui seront, enfin, à la hauteur de ce nouveau Grand-Liban développé et really Grand de ce vingt et unième siècle !
ANTOINE-SERGE KARAMAOUN
13 h 24, le 10 septembre 2015