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Nos Lecteurs ont la Parole - Adib Y. TOHMÉ

Ce que nous disent les déchets

On aurait pu croire qu'on était invisible. Que le monde se divisait en deux pôles et que chacun des deux pôles contenait quelques partis politiques. En dehors de ces partis politiques, on croyait qu'il y avait le vide, et dans le vide, quelques marginaux prêchaient leur désespoir. Puis nous avons vu nos déchets et ce fut comme une révélation. Nos déchets nous ont renvoyé nos propres images : celles de déchets en devenir et d'une multitude de vies manquées. Ce qu'on jette, ce qu'on cache, ce qu'on nous cache, ce que nous ne voulons pas voir, ce qu'on veut occulter, enfouir, refouler, nos lâchetés, nos mensonges, nos secrets se sont entassés devant nos yeux, ont envahi nos sens et perturbé notre existence de petits-bourgeois râleurs, mais conformistes et conservateurs.
Nous avons alors décidé de faire notre révolution. Chacun de nous est finalement ce qu'il est disposé à jeter. Nous nous sommes approprié une place pour manifester notre refus des déchets. Vous puez, nous leur avons dit, et ce fut le déclic. Rien ne sera plus jamais comme avant. Les déchets sont les images en négatif du système, ses dessous, ses revers, ses failles et les prémices de sa perte. Et nous avons découvert qu'une vie existait en dehors des pôles, en dehors des partis. Que ces marginaux qui prêchaient leur désespoir n'étaient pas seuls. Ils étaient chacun de nous, cette majorité silencieuse qui avait perdu la notion de sa grandeur à force d'être soumise à autant de petitesse et à autant de mensonges. Cela est notre plus grande victoire. Et les déchets déchargés avec nous, entre nous, racontaient nos histoires, ce que l'on consomme, nos préférences, comment on vit, comment on va. « Ça va ? » semblaient-ils nous demander avec un mélange de cynisme et de mépris. Et sans attendre notre réponse, ils nous dévoilaient comment ils sont arrivés là, comment nous sommes arrivés là. Ils nous dévoilaient les rouages de ce système, de la connivence entre les pôles de la caste au pouvoir pour détourner toutes les ressources en toute légalité. C'est légal, répètent-ils en chœur, mais ce n'est pas démocratique. C'est légal même si c'est du vol : un crime tout à fait légal, parce qu'ils ont mis la main sur la légalité, en toute illégalité. Au moins, nous, nous sentons mauvais, ajoutaient-ils. Les autres n'ont pas d'odeur, comme l'argent qu 'ils continuent d'extraire en toute légalité de tout ce qui fait qu'un État soit un État, mais en fait il ne l'est pas.
À ce stade de délabrement total de l'État et de la classe politique, est-il logique de proposer l'élection d'un président de la République comme solution à tous nos problèmes ? Pourra-t-on répondre par la négative sans être accusé de traîtrise à la patrie et de vendu par tous les bien-pensants de l'opinion générale et généralisée ? Un déchet en lui-même n'est pas obscène ; il le devient quand il envahit le paysage et veut continuer à occuper la scène malgré son dépérissement et son odeur nauséabonde qui touche les esprits avant d'affecter les sens, au prix de la mort d'un pays par suffocation ; et dans obscène, ce n'est pas tant ce que l'on montre qui est intéressant, mais ce que l'on cache.

Adib Y. TOHMÉ

On aurait pu croire qu'on était invisible. Que le monde se divisait en deux pôles et que chacun des deux pôles contenait quelques partis politiques. En dehors de ces partis politiques, on croyait qu'il y avait le vide, et dans le vide, quelques marginaux prêchaient leur désespoir. Puis nous avons vu nos déchets et ce fut comme une révélation. Nos déchets nous ont renvoyé nos propres...

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