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Culture - Théâtre

La révolution-rictus géant de Zoukak

On ne reste pas impunément témoin des situations extrêmes. Surtout lorsqu'on atteint pratiquement le point de non-retour. C'est de cet amer et déplorable constat que Zoukak, la plus mnouchkinienne des troupes de théâtre libanaises, lance son dernier travail, « Masrah al-ma3raka »* (Scène de bataille).

Masques tombés, dénonciation et implication.

Il est évident que Zoukak, créée en 2006, a déjà un public. Fidélisé et acquis à sa cause, qui est aussi la nôtre. Ce public averti, composé de jeunes et de moins jeunes, qui a rempli avec enthousiasme la salle du Masrah al-Madina, devenu Masrah al-ma3raka.

Pour un monde désenchanté et révulsant, dans un paysage d'abandon et de laissés-pour-compte, arrivent sur scène huit acteurs, sourires narquois aux lèvres : Lama Abi Azar, Hashem Adnan, Ramzi Hibri, Joseph Kaï, Chrystèle Khodr, Tamara Saadé, Junaid Sarieddeen et Maya Zbib, chef de peloton bonimenteuse au bagout mordant. Ils s'alignent – comme une troupe vouée à l'exécution par mitraillette – dans un décor de bidonville. Des pneus en caoutchouc s'entassent près d'une mare de sable où gît un cygne en baudruche dégonflé et des bassines en alu pleines d'eau, comme pour une sinistre compétition de la noyade.

Quatre garçons et jeunes filles pour reproduire un environnement où l'on étouffe, où l'on coule, où l'on se noie. Et de plonger courageusement leur tête dans l'eau comme pour une asphyxie forcée. Ou salutaire...
Ruisselants d'eau, mouillés jusqu'aux os, ils se relèvent dignement, tiennent leurs habits entre les mains comme des lavandiers devant un ruisseau et, en silence, sauf leur ahanement, battent en toute énergie le parquet... Avec véhémence, régularité, violence, tels les percussionnistes des Stomp...

Le ton est donné, l'alarme est amorcée et la parole affleure. Pour parler de ces « vivants qui s'acharnent à la vie comme des chiens ». Par couples qui se pelotent en douceur, les images des dérives sociales et politiques sont évoquées, sans fard ni ménagement. Comme un bulletin météo. Sur un tempo effréné d'ironie, de dérision, de sarcasme. Des images à peine caricaturées et tordues, tant la folle et misérable réalité dépasse la fiction. On reste pantois d'effroi et glacés devant la nomenclature des malheurs de ces gens affamés, trucidés, bombardés, torturés, expulsés de leur terre. Horreur sanglante d'une humanité qui semble avoir perdu la boussole et le cœur.

Des révoltes avortées aux régimes tortionnaires, en passant par un radicalisme daechiste répugnant, ainsi que le cortège des misères d'une infrastructure en lambeaux croulant, sans figure de style, sous les tonnes de pourritures, rien n'est laissé à l'ombre. Un ras-le-bol manifeste et un appel à l'action aux citoyens. Même à partir des feux de la rampe. Un appel pour une action contre la violence d'un monde qui s'écroule. Dislocation planétaire certes, mais désagrégation plus particulièrement viciée par les religions, les machismes et la corruption dans un Proche-Orient pris de frénésie destructrice. Masques tombés, dénonciation et implication.

Dans ce contexte détonant, la troupe de Zoukak a opté pour une mise en scène (Omar Abi Azar) encore plus corsée, mais toujours dans le sillage de ses préoccupations (et audaces) antérieures. Avec des gestes péremptoires qui ne s'embarrassent pas de choquer. Notamment avec un fabuleux Junaid Sarieddeen qui, pour camper les virilités exacerbées des matadors levantins, sniffe à outrance avec un nez transformé en courgette à morve tout en grattouillant ses couilles et caressant son sexe comme si son entrejambe était une épée à brandir ou une colombe à encager...

Il ne suffit plus de comptabiliser les désastres, de les désigner, de les nommer. Il faut être de la partie. S'impliquer. Agir. Et c'est pour cela que, après un chapelet d'horreurs froidement débitées (l'heure n'est plus à la déclamation et aux rhétoriques pompeuses et théâtrales), les acteurs, accroupis par terre en demi-cercle, comme pour un conseil guerrier sioux, tapent du poing un sol devenu brusquement une bombe à fragmentation éclatée.

Voilà le théâtre arène de rue, reflet du quotidien, annonciateur des grands changements, au service de la Cité. Une fois de plus, Zoukak – engagée jusqu'à sa plus infime virgule d'un texte tiré toujours d'une réalité citoyenne – a dit son mot. Et cette fois, il y ajoute une exhortation: l'impassibilité et l'absentéisme en ces moments cruciaux sont aussi un crime à punir. Comme celui de non-assistance à personne en danger.

* Sur les planches du théâtre al-Madina jusqu'à dimanche soir. À 20h30. Billets en vente chez Antoine Ticketing.

 


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