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Dérapage contrôlé

Simple coïncidence ou double reflet d'une même machination commanditée par une puissante partie occulte ? Dans la situation présente qui ébranle l'ensemble du Moyen-Orient, il est extrêmement difficile d'apporter une réponse tranchée à cette interrogation et, de ce fait, il devient tentant de verser rapidement dans les supputations et de se laisser entraîner sur la voie facile de la théorie du complot. Il reste que les faits sont quelque peu troublants, à n'en point douter, et laissent la porte grande ouverte à toute sorte de spéculations : depuis plusieurs semaines, certaines grandes villes irakiennes, dont récemment la capitale, sont le théâtre de manifestations de masse regroupant des Irakiens de différents horizons social et communautaire qui entendent protester contre la corruption des dirigeants officiels, le sectarisme et la déliquescence – devenue insoutenable – des services publics, notamment au niveau de l'approvisionnement en électricité et en eau.

Indice significatif qu'il n'est peut-être pas superflu de relever : cette grogne populaire intervient à l'ombre d'un paysage politique bien particulier. Le gouvernement en place à Bagdad est pratiquement un satellite de Téhéran, et le vaste mouvement de contestation dans la rue est soutenu par le grand Ayatollah Ali Sistani, le prestigieux et très respecté chef spirituel chiite irakien, ainsi que par Moktada Sadr, tous deux connus pour leurs fortes réserves, voire leur opposition, au régime de la wilayat el-faqih mis en place par l'ayatollah Khomeyni au lendemain de la révolution islamique iranienne. Aussi bien l'ayatollah Sistani que Moqtada Sadr ont refusé, et refusent toujours, de faire acte d'allégeance absolue envers le guide suprême de la République islamique iranienne, le wali el-faqih, comme l'a fait le Hezbollah au Liban. De là à percevoir le soulèvement populaire en Irak comme un « complot » dirigé contre l'influence iranienne, il n'y a qu'un pas que les cercles du pouvoir iranien ont vite fait de franchir.

C'est quasiment de manière concomitante qu'a éclaté à Beyrouth la récente fronde catalysée par l'inqualifiable scandale des déchets, avec les mêmes slogans : le ras-le-bol face à la corruption, la déchéance des services publics et le rejet du sectarisme. Et fait extrêmement rare dans la petite histoire des soulèvements et des mouvements populaires au Liban : au même moment où se déroulait la grande manifestation à la place des Martyrs, des rassemblements étaient organisés, parallèlement, dans plusieurs grandes viles européennes et américaines, notamment à Detroit, New York, Bruxelles, Berlin, Londres, etc. Ces rassemblements de soutien à la manifestation de Beyrouth ont été retransmis au fur et à mesure par une chaîne télévisée locale. Une telle mobilisation et cette retransmission simultanées impliquent nécessairement l'existence d'une organisation qui s'appuie sur un vaste réseau de contacts dans plusieurs pays et qui a les moyens d'orchestrer et d'organiser un tel mouvement en un très court laps de temps. Cette orchestration est-elle simplement le fruit de l'importante capacité des réseaux sociaux ou est-elle le résultat de l'action d'une quelconque force occulte ? Cette question en entraîne une autre, plus fondamentale : la grogne populaire à Beyrouth s'inscrit-elle, comme semble le suggérer le Hezbollah, dans la même perspective anti-iranienne que celle de Bagdad quant à sa finalité et son aboutissement, ou serait-elle au contraire une riposte directe irano-hezbollahie aux développements dont les villes irakiennes ont été le théâtre ces dernières semaines ? Autant d'interrogations qui demeurent, pour l'heure, en suspens.

Dans l'attente que la donne se décante clairement de manière à pouvoir séparer le bon grain de l'ivraie, une constatation s'impose : depuis 2005, le Hezbollah est engagé dans une stratégie d'affaiblissement systématique et continue de l'État central de façon à bloquer pratiquement le bon fonctionnement des principales institutions et structures étatiques, sans pour autant entraîner le pays – du moins pour l'instant – dans le chaos intégral. Les députés du parti chiite ont, certes, laissé planer des doutes sur les véritables desseins des organisateurs du mouvement de contestation. Mais ces propos publics constituent-ils un écran de fumée qui cache, mal, une volonté bien réfléchie de se livrer à un fragile dosage susceptible de maintenir le pays, en permanence, dans un état d'équilibre instable, dans l'attente d'un jour J qui serait fixé par Téhéran ?

 

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commentaires (9)

M. Touma, vous qui écrivez si bien! Croyez-vous que ce dérapage contrôlé ne deviendra pas "incontrôlé" avant le jour J qui serait fixé par qui que ce soit?

Zaarour Beatriz

20 h 46, le 02 septembre 2015

Tous les commentaires

Commentaires (9)

  • M. Touma, vous qui écrivez si bien! Croyez-vous que ce dérapage contrôlé ne deviendra pas "incontrôlé" avant le jour J qui serait fixé par qui que ce soit?

    Zaarour Beatriz

    20 h 46, le 02 septembre 2015

  • Malheureusement, ls ibanais ont toujours accepte d'etre menes comme des mutons de panurge. Le sentiment NATIONAL est aussi inexistant puisque avant le Liban, il ya la famille, puis la tribu, suivi par la religion, qui prend ses racines dans les partis politiques. Donc, et le Liban?? Le Liban? chai pas, chai plus....

    IMB a SPO

    20 h 37, le 02 septembre 2015

  • Merci de tenter d'expliquer les orientations de notre pays. Je pense que vous ne serez pas perçu dans de bonnes conditions pour étaler toute cette gabegie qui ne sert pas notre petit pays et qui n'a pas besoin ni du Hezbollah, du CPL et son chef, mais de vivre en paix avec tous les pays du monde, élever nos enfants dans la sérénité. Dans les conditions actuelles de vie libanaise, sans président depuis plus d'un an, un gouvernement empêché de gérer le pays, nos jeunes quitteront le pays et le Liban deviendra une maison de retraite gouvernée par l'Iran via le Hezbollah, avec un exécuteur de basses oeuvres M.Aoun et sa clique

    FAKHOURI

    20 h 10, le 02 septembre 2015

  • Dérapage peu contrôlé par le rédacteur de ces lignes. On peu faire mieux...dans un profond sommeil.

    Ali Farhat

    18 h 38, le 02 septembre 2015

  • Merci pour cet article qui eclaire au sujet des puissances occultes qui ebranlent le Moyen Orient...Un complot avec des moyens orquestres ,organiser ???? Que Dieu ait pitiez du LIBAN NOTRE CHER PAYS....merci...

    Soeur Yvette

    11 h 42, le 02 septembre 2015

  • LA MAINMISE... EST UN VIEUX RÊVE QUI ANIME PLUS D'UN PAYS ET PLUS D'UN BLOC AU LIBAN ... C'ÉTAIT ARAFAT... CE SONT D'AUTRES AUJOURD'HUI...

    LA LIBRE EXPRESSION

    10 h 32, le 02 septembre 2015

  • C'est vrai que tous ces jeunes n'ont aucune raison de descendre dans la rue pour exprimer leur ras de bol! le liban est un paradis tenu par une classe politique au dessus de tout reproche qui offre a tous ses citoyens des chances egales,des services irreprochables et un avenir radieux. "Ces jeunes sont dans la rue pousses par un complot exterieur" Honte a vous..il faut les soutenir et les encourager..on ne peut qu'applaudir leur courage et leur determination.

    ayda ka

    09 h 30, le 02 septembre 2015

  • Vous etes trop malin Monsieur Touma . On ne peut vraiment rien vous cacher . Sans compter que vous jouissez d une imagination galopante qui , elle , vous mene un peu trop loin dans des elucubrations stupefiantes .

    Hitti arlette

    09 h 27, le 02 septembre 2015

  • "Les députés du héZébbb ont, certes, laissé planer des doutes sur les véritables desseins du mouvement de contestation. Mais ces propos constituent-ils un écran de fumée qui cache, mal, une volonté réfléchie de se livrer à un fragile dosage susceptible de maintenir le pays en permanence dans un état d'équilibre instable, dans l'attente d'un jour J qui serait fixé par Téhéran ?" ! Bien vu.

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    03 h 59, le 02 septembre 2015

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