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Liban

Une semaine, un thème : #10 Le Liban, un immense dépotoir...

Les voix des manifestants se sont momentanément tues jusqu'à l'expiration, demain, de l'ultimatum lancé par le collectif « Vous puez ! » à un État autiste. Il est donc fort peu probable que ce dernier souscrive, du moins dans l'immédiat, à leurs revendications. Cela a toujours été le cas. Car vingt-six ans depuis Taëf et la fin de la guerre dite civile, rien ou presque n'a été sérieusement entrepris : électricité drastiquement rationnée malgré les promesses, et les projets avortés d'un office d'EDL fourre-tout qui regorge d'hommes de mains et de partisans désœuvrés placés par les zaïms politiques ; eau au compte-gouttes via un réseau de canalisations obsolète qui part en lambeaux et des projets de barrages controversés qui puent les scandales. Le pire est encore à venir car désormais ce sont nos déchets qui nous ensevelissent, les responsables, tous complices, n'ayant rien voulu voir pour ne pas se priver de la manne qu'ils se partageaient. La seule solution-réflexe qu'ils ont trouvé pour entretenir le filon, c'est de confier le ramassage, sans prévoir d'ailleurs le traitement adéquat, à une flopée de mini-Sukleen confiée à des affidés, comme si la parité entre complices dans la répartition des prébendes était synonyme de compétence. Mais certains d'entre eux, s'estimant lésés, ont refusé net ce projet et tout est à refaire. Les déchets restent à l'air libre dans les rues de nos villes et de nos villages transformant le pays en un immense dépotoir.
Pour une réflexion sur le sujet, « L'Orient-Le Jour » à fait appel, évidemment, au ministre de l'Environnement, journaliste d'origine, Mohammad Machnouck, ainsi qu'à Raja Noujaim, activiste civil notoire et coordinateur général de la Coalition civile. Le premier, qui a hérité le problème d'une lignée de collègues qui l'ont précédé, tente dans son texte de poser les jalons d'une politique soufflée par des conseillers hautement spécialisés en la matière, mais attachés à des convictions contestées par d'autres spécialistes. Le second, contestataire par essence, remet tout en cause et expose sa propre vision pour « un Liban vert et propre ».
Reste l'amère réalité effrayante à plus d'un titre : des détritus qui s'amoncellent comme des montagnes et pourrissent produisant des microbes porteurs de maladies annonciatrices d'épidémies majeures.
Et un peuple schizophrène qui, même s'il crie son ras-le-bol de se faire manipuler, gruger et dépouiller à tous les niveaux, hésite encore à renverser vraiment la table, redoutant, par expérience, des lendemains incertains.

L'avenir du secteur des déchets solides : vers une économie circulaire

Par Mohammad MACHNOUK
Ministre de l'Environnement



« 66,5 millions de dollars par an », tel est le coût de la dégradation de l'environnement due aux pratiques de gestion des déchets solides dans Beyrouth et le Mont-Liban, selon une étude publiée par le Sweep-Net en 2014 (http ://www.sweep-net.org/). Ce chiffre n'est pas surprenant pour un pays qui ne recouvre que 15 % de ses déchets (comparé à plus de 80 % dans les pays développés), et qui, en d'autres termes, en enfouit 85 % d'une façon contrôlée ou sauvage, un pays qui comptait plus de 700 décharges sauvages avant la clôture de la décharge sanitaire de Naameh le 17 juillet 2015, et visiblement des dizaines d'autres depuis.
Le gouvernement de l'intérêt national a réalisé dès le premier jour de son mandat que le changement d'une telle situation ne pourrait se faire que si l'on poursuit la ligne directrice déjà tracée par les gouvernements précédents par le biais d'une feuille de route qui prône les trois principes suivants :
1. Le passage graduel d'une économie linéaire vers une économie circulaire – basée sur la pyramide des déchets préconisée par les pays développés (prévention ou minimisation, réemploi, recyclage, valorisation énergétique, et élimination).
2. La décentralisation et l'approche participative.
3. Le recouvrement des coûts.
C'est bien de ces trois principes que découle l'importance de la décision prise par le gouvernement de l'intérêt national le 30 octobre 2014 (la décision 46 amendée par la décision 1 du 12 janvier 2015) quant à la feuille de route pour une gestion intégrée des déchets solides, qui non seulement a établi la base de ces 3 principes, mais a aussi cerné et pour la première fois les sept angles de ce dossier :
1. Le volet exécutif, c'est-à-dire tout ce qui a trait aux appels d'offres que le monde, et non seulement les Libanais, suivent de près, peut-être parce que c'est la première fois que des appels d'offres d'une telle portée se déroulent ; cela inclut aussi la continuation des projets de construction d'installations de tri et compostage que l'Union européenne finance à travers des dons au bureau du ministre d'État pour le Développement de l'administration (Omsar).
2. Le côté juridique, ou le projet de loi sur la gestion intégrée des déchets solides transféré au Parlement début 2012, ainsi que le projet de décret sur la police environnementale.
3. La planification à moyen et long terme à travers une étude environnementale stratégique (que le ministère a déjà entamée en consultation avec les secteurs public, privé et la société civile), ainsi que la préparation des cahiers des charges pour l'incinération, que le gouvernement devrait étudier et procéder en conséquent.
4. La justice sociale, à travers le dédommagement aux municipalités qui ont dû subir la présence d'une mégadécharge (méga, à l'échelle du pays) et cela pendant des décennies : dédommagement financier direct (ou compensations monétaires) pour Naameh, ou indirect (telles la production d'électricité de la décharge sanitaire de Naameh et sa distribution gratuite aux habitants), ou aussi à travers les études de risque de santé et plans de suivi environnemental (pour la décharge sanitaire de Naameh et la décharge contrôlée de Tripoli).
5. La protection de l'environnement, à travers le recouvrement des déchets, mais aussi l'adoption du principe de réhabilitation des sites dégradés (telles les décharges sauvages, ou carrières) à travers l'usage des matières inertes (ou les déchets qui ne sont ni recyclés, ni compostés, ni revalorisés en énergie).
6. L'éducation environnementale, à commencer par les principes de prévention ou minimisation, le recyclage en encourageant le tri des déchets à la source, ainsi que l'adoption de solutions appropriées pour la valorisation énergétique des déchets et finalement leur élimination, tout en incluant la dédiabolisation du concept des décharges, à travers la distinction entre une décharge sauvage, qui doit être refusée par tous, et une décharge sanitaire « qui ne pollue pas », qui, elle, devrait être acceptée par tous les Libanais, tout comme elle l'est dans tous les pays du monde, à l'exemple de l'Europe qui en 2012 continuait à enfouir environ 33 % de ses déchets.
7. Le positionnement du Liban sur la carte « climato-économique » mondiale, à travers la mobilisation de dons internationaux dans le cadre de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, et plus particulièrement via les « Mesures d'atténuation appropriées au niveau national » ciblant entre autres le secteur des déchets.
Le ministère de l'Environnement, dont le ministre a été chargé de veiller à la bonne application de cette décision du gouvernement (la décision 46 du 30 octobre 2014) quoiqu'il ne soit pas mandaté par la loi sur tous ses points, a bien avancé dans la réalisation de plusieurs objectifs de cette décision. Cela ne veut pas dire pour autant que de « beaux jours » attendent les Libanais dans ce secteur dès demain.
De « meilleurs jours » si, à condition que le travail entamé soit complété, que ce soit en ce qui concerne les actions mentionnées ci-dessus, ou d'autres entamées elles aussi, telles que :
1. La bonne gestion des autres types de déchets solides (comme les déchets industriels, les déchets électroniques, les déchets des abattoirs et d'autres) que le ministère essaie de mettre en place à travers un projet intitulé Lebanon Environmental Pollution Abatement Project (LEPAP), en partenariat avec la Banque du Liban, la Banque mondiale, le gouvernement italien et le Programme des Nations unies pour le développement.
2. Les réformes fiscales environnementales dans plusieurs secteurs, dont le secteur des déchets, que le ministère a entamées à travers un projet financé par l'Union européenne sur la gouvernance environnementale (Support to Reforms – Environmental Governance StREG).
3. La promotion de la responsabilité sociale des entreprises pour la réduction des déchets produits et l'incitation à leur recouvrement.
Donc, de « meilleurs jours » à condition de poursuivre le travail ci-dessus, et de « beaux jours » uniquement après plusieurs années de labeur, de bonne volonté, de transparence et de coopération entre toutes les parties prenantes (les administrations centrales et les municipalités, la société civile, le secteur académique, les entreprises privées, les médias...).
De « beaux jours », une expression qui ne peut se mesurer qu'à l'échelle de son récipient : le Liban, dont le seul capital est sa beauté, sa nature ; et les Libanais, qui doivent aimer leur pays et œuvrer pour lui. C'est exactement dans cet esprit d'initiative que s'intègrent mon slogan de ministre de l'Environnement « Mon environnement, ma patrie » ainsi que le troisième vœu du ministère de l'Environnement à l'occasion de la Journée nationale de l'environnement (le 16 novembre 2014) « Ouvrir une nouvelle page dans l'histoire de la gestion des déchets solides au Liban ».
En imposant dans les cahiers des charges des appels d'offres de ce secteur (qui ont été lancés en début d'année) un recouvrement de 60 % des déchets durant les trois premières années, et 75 % durant les quatre années qui suivent ; en divisant le pays en 6 zones de service tout en renforçant le rôle des municipalités dans le contrôle de l'exécution ; en appelant le Parlement à accélérer l'adoption du projet de loi sur la gestion intégrée des déchets solides qui précise les droits et les responsabilités dans ce domaine, tout en imposant les frais et taxes nécessaires.

 

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Pour un pays vert et propre

Par Raja NOUJAIM
Activiste civil
Coordinateur général de la Coalition civile

Et voilà que le gouvernement annule les résultats des appels d'offres propres au traitement des déchets ménagers sur la totalité du territoire Libanais.
Cela n'est pas du tout surprenant, tous ceux qui suivent ce dossier de près n'ont pas arrêté de le répéter depuis le premier jour lorsque le contenu des cahiers des charges (CDC) a été confirmé par ce même gouvernement.
Et actuellement le fait est que le ministère de l'Environnement ainsi que la commission ministérielle de l'environnement ont bel et bien échoué dans leur mission, comme ce fut le cas pour ce même dossier, du ministère de l'Intérieur il y a quelques années.
Mais l'important est que ce gouvernement en tire sans tarder les conséquences adéquates en prenant l'exemple du passé, surtout que les décisions finales gouvernementales a la base de ces CDC l'ont été suite à multiples réunions et concertations et pendant plusieurs mois, ce qui prouve l'incapacité totale de faire mieux de la part de ces personnes ainsi que de leurs équipes respectives, d'où tout renvoi de ce dossier pour être revu par eux n'est que pure folie, aveuglément ou même preuve de mauvaise foi !...
Or c'est bien ceci qui a été fait par le Conseil des ministres, au lieu que ce dossier soit tout simplement retiré d'entre les mains du ministère de l'Environnement et de la commission ministérielle.
Malgré cela il est toujours possible de rectifier le tir et que ce dossier soit repris et mis sous la responsabilité d'une autre administration pas nécessairement ministérielle, avec des compétences plus professionnelles, plus spécialisées et sûrement plus environnementales.
Cette administration serait dépendante directement du président du Conseil des ministres, à condition qu'il n'y ait aucune interférence de la part du ministre de l'Environnement, qu'elle soit directe ou indirecte (en représentation du Premier ministre).
Des membres de la société civile, des associations environnementales, des spécialistes indépendants et des représentants du syndicat des industriels surtout dans le domaine du recyclage doivent faire partie de l'équipe en charge de réviser ces CDC au même titre que les autres donc avec pouvoir de décision.
Le Conseil du développement et de la reconstruction (CDR) ne doit participer à cette mission qu'à titre d'administratif pour la mise en page de ce qui sera décidé.
Il ne peut y avoir de solution durable pour le traitement des déchets ménagers que si le principe de décentralisation élargie est appliqué (depuis le balayage jusqu'à la fin du processus), dans le respect des bonnes pratiques, mais suivant une libéralisation progressive du marché de cette gestion et une normalisation de ce secteur (permis spécifiques accordés aux opérateurs... en fonction de la conformité de leurs activités à des standards préétablis).
La répartition de la gestion de ce dossier doit se faire sur base du caza et/ou des zones couvertes par les unions des municipalités de 10 000 à 100 000 habitants, pour augmenter l'efficience économique du tri secondaire et du traitement, mais sans pour autant que ces derniers soient seules responsables directement de cette gestion qui devrait être faite par le biais d'une entente entre elles (les municipalités) et les différents opérateurs, ouvrant ainsi la voie aux PME et/ou aux associations environnementales spécialisées, mais toujours sous le contrôle du ministère de l'Environnement dont la tâche devrait être limitée au respect des règles, lois et règlementations en vigueur, et celui d'un représentant du pouvoir central pour le suivi administratif et financier.
Tout cela devant être préalablement confirmé officiellement par le Conseil des ministres, constituant ainsi le plan directeur de l'État libanais.
La liberté de décision des municipalités au niveau de toutes les étapes de cette gestion doit être consacrée au sein des décrets gouvernementaux, en considérant le poids des déchets levés (à n'importe quel niveau du circuit) comme étant la seule unité de comptage, de facturation ou de calcul du coût...
La préparation et confirmation officielle d'une typologie des déchets pour chacune des différentes étapes de traitement doit être établie en remplacement de tous les pourcentages fixés actuellement.
De plus il est primordial que l'État soit engagé directement dans les campagnes de sensibilisation et de promotion que ce soit en vue de la réduction de la production des déchets ou du tri à la source, avec financement direct par lui-même. L'exécution de ces prestations devant être faite par des spécialistes en collaboration avec les municipalités et non pas par les entreprises de tri ou de traitement ou autres opérateurs...
Et tout le long de cette période transitoire un tri alternatif au niveau des bennes tricolores protégées doit être assuré par les entreprises et/ou les municipalités et en cas d'insuffisance le complément doit être effectué au stade du tri secondaire dans les centres de tri.
Tout transport de déchets doit être fait par l'intermédiaire de camions-bennes sans compactage, avec 5 jours de ramassage pour les produits organiques et 2 jours pour le reste, a définir suivant les cas et les besoins. Cela doit être strictement appliqué jusqu'à ce que le tri à la source et son alternatif atteignent le but requis, à ce moment et dans les grandes agglomérations étroites seulement les camions-bennes avec compactage pourraient être utilisés pour la levée des déchets organiques simplement.
Suite au tri secondaire et nettoyage, les déchets organiques seront traités dans les centres de compostage ou de méthanisation (digestion anaérobique), ils sont estimés à 53 % de la totalité des déchets, le reste qui comprend tous les produits non organiques est reparti à hauteur d'environ 35 % de divers recyclables à grouper et préparer dans les centres ou unités de tri et recyclage en vue d'être livrés aux établissements concernés, 5 % de résidus a valeur calorifique à transformer en RDF en vue de leur exportation ou éventuellement d'une utilisation locale dans le respect des normes environnementales, 2 % de produits spéciaux et dangereux à transférer aux entreprises spécialisées pour être traités... et les 5 % restants de déchets inertes qui seront après broyage mélangés avec le net des déchets de construction et le compost de grade C + D, en vue de la réhabilitation des sites naturel détériorés comme les carrières fermées ou abandonnées etc... afin de « rendre le Liban vert et propre ».
Ainsi il est clair qu'il n'y a aucun besoin d'avoir recours à l'incinération dans le contexte du marché libanais des déchets ménagers, surtout qu'elle forme une grande menace que ce soit au niveau de l'environnement, de la santé publique ou même du secteur de recyclage qui constitue un secteur « vert » important pour l'économie tout en étant un important créateur d'emplois.
De même pour l'inexistence de besoin de décharge publique sanitaire, excepté peut-être au niveau de la nécessité d'enfouissement (sanitaire) de certains déchets divers qui pourra très facilement être effectué en même temps que la réhabilitation des carrières.
Il est temps que l'administration comprenne que la gestion du dossier des déchets au Liban ne peut se faire que dans le respect de la nature qui gouverne ce pays jadis un paradis et que nous avons une occasion en or ainsi que la responsabilité de pouvoir par le biais du traitement des déchets de remettre en état cette « mère nature » qui nous couve et dont nous avons l'obligation de protéger au moins pour les générations à venir...

 

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