Rechercher
Rechercher

Liban - La situation

Une stratégie de déstabilisation contrôlée

Entre les certitudes des uns, les appréhensions des autres et le ras-le-bol quasi généralisé de tous face à la crise politique et sociale, la place des Martyrs redevient une fois de plus ce soir le lieu de tous les possibles : le meilleur – l’espoir d’un règlement de la crise des déchets et d’un début de sortie de la léthargie politique, ce que tout le monde souhaite – comme le pire – le risque d’un dérapage sécuritaire et d’une plongée dans le vide politique, ce dont tout le monde s’inquiète. Quelle direction prendra la dynamique de rue ce soir ? Et, surtout, de quoi sera fait demain ?

Aujourd'hui, c'est une foule massive, plurielle, animée de volontés dispersées et hétéroclites de réforme, qui se retrouvera à la place des Martyrs à 18 heures. L'esprit insurrectionnel, qui a finalement gagné un grand nombre des sympathisants des deux camps (14 et 8 Mars), même les plus sceptiques, est alimenté par l'intime conviction que les mécanismes politiques doivent changer tôt ou tard. L'indignation est certaine.
Ce qui l'est moins, en revanche, est l'éveil citoyen et l'aptitude de ces indignés à conceptualiser une réforme, une feuille de route commune, face à un clientélisme confessionnel qui reste, lui, impeccablement verrouillé.
La colère légitime du peuple risque, surtout, de dégénérer. Ces appréhensions sécuritaires sont exprimées avec la même gravité aussi bien dans les milieux diplomatiques que les milieux politiques. Londres et Washington auraient ainsi tous les deux exprimé de sérieuses craintes à ce niveau, soulignant la nécessité de maintenir le cabinet Salam en place pour éviter la plongée dans le vide total.

Prise donc entre ses aspirations au changement et les risques qui accompagnent son incohésion, la foule de manifestants ne se prête, pour l'instant, qu'à ce diagnostic, limité : elle est un élément de déstabilisation (pris au sens neutre, c'est-à-dire indépendamment des intentions qui l'animent), qui risque toutefois de devenir le catalyseur du chaos (aux effets très versatiles).
Les milieux politiques ont peur – certains le reconnaissent franchement – d'incidents sécuritaires qui risquent de briser le fil ténu entre la déstabilisation et le chaos. Les réassurances du ministre de l'Intérieur, à l'adresse des manifestants hier, expriment cette volonté interne d'empêcher les dérapages. Du côté du Hezbollah, la volonté est, aussi, de reporter l'escalade que le parti s'était dit prêt à mener, avec le général Michel Aoun, dans la rue. Des milieux autorisés, cités par l'agence d'information al-Markaziya, font état de trois constantes auxquelles le parti chiite se conforme : le maintien de la stabilité interne, l'attachement au gouvernement de Tammam Salam et l'interdiction de renverser ce dernier, et, enfin, l'appui à la candidature du général Michel Aoun à la présidence.


(Lire aussi : Une foule bigarrée et vivace attendue aujourd'hui à la place des Martyrs)


Ce dernier a, de son côté, tenu hier la conférence de presse qu'il avait reportée mardi dernier. Contrairement aux prévisions, il n'a pas appelé ses partisans à prendre la rue immédiatement pour contester le mécanisme de prise de décision au sein du cabinet, mais il a reporté ce rendez-vous à vendredi prochain. Il s'est démarqué, en outre, du mouvement de revendication sociale, bien que ce dernier ait, selon lui, récupéré les slogans aounistes. Les organisateurs ne l'ont pas ménagé, en contrepartie, dénonçant notamment « ses contradictions » (dans une vidéo postée par l'un d'eux, Assaad Thebian, sur Facebook).
L'ancien ministre Sélim Jreissati explique à L'Orient-Le Jour que le Courant patriotique libre (CPL) « n'a jamais essayé de récupérer cette déferlante populaire ». Preuve en est, d'abord, la date de la manifestation aouniste, fixée séparément de celle du mouvement populaire, et ensuite, l'initiative annoncée hier par le leader chrétien pour une sortie de crise. Son « plan de réforme » consiste à faire élire un président de la République au suffrage universel en cas d'impossibilité de tenir au préalable des législatives sur base d'une nouvelle loi électorale à la proportionnelle. « Cette proposition se fonde sur le fait que le Parlement est légal, mais non légitime », affirme l'ancien ministre. Partant de cette conviction, « si la présidentielle doit se tenir avant toute autre échéance, elle ne peut se faire au Parlement, mais dans les urnes », précise-t-il. Il répond par la négative à une question sur l'amendement du régime politique en bonne et due forme que ce processus induirait.

Notons que l'ancien président de la République, Michel Sleiman, avait fait état à L'OLJ, dans l'édition de mardi, du même constat sur la légalité et l'illégitimité du Parlement, mais pour justifier la priorité de tenir au plus vite une séance électorale, préalablement à toute réforme.
Autrement dit, le plan de Michel Aoun, qui prêche une chose et son contraire, « vise seulement à élever le plafond de ses revendications », estiment des observateurs, à l'heure des médiations, menées de pair par le président de la Chambre, Nabih Berry, et le chef du Parti socialiste progressiste, Walid Joumblatt (avec l'appui de l'ambassade US), pour contrer l'effondrement institutionnel. En plus de la volonté d'empêcher une possible dissolution du Parlement (le président de la République peut demander la dissolution de la Chambre à la suite de la non-tenue de deux sessions ordinaires et d'une session extraordinaire successive – et Nabih Berry craindrait un recours prochain du CPL à cet argument pour exercer une pression sur la Chambre), l'enjeu est de tirer le cabinet de son impasse. À la suite de médiations de Aïn el-Tiné avec le CPL et le Hezbollah, la dernière réunion du Conseil des ministres mardi dernier, qui n'a pas été suivie d'une nouvelle convocation, a ainsi permis, en l'absence des ministres aounistes et du Hezbollah, « d'expédier les décrets urgents », comme le déblocage des salaires des fonctionnaires, afin d'accorder un répit à toutes les parties politiques et permettre à un compromis de prendre forme, selon des sources ministérielles concordantes. Ce compromis porte également sur la décision de reporter le départ à la retraite du commandant en chef de l'armée et de deux autres responsables sécuritaires, qui avait été signée par le ministre de la Défense au grand dam des ministres aounistes.


(Lire aussi : Une marche à partir du ministère de l'Intérieur précédera le rassemblement à la place des Martyrs)



« L'initiative du général Abbas Ibrahim » est à nouveau sur le tapis, assure Sélim Jreissati, qui croit savoir qu'elle a meublé en partie l'entretien, hier, du ministre de la Santé, Waël Bou Faour, avec le général Michel Aoun à Rabieh. L'issue envisagée, dans l'esprit de « l'initiative Ibrahim », serait d'augmenter, par un amendement de la loi, le nombre de « généraux de brigade », de manière à reporter d'un an le départ à la retraite du général Chamel Roukoz.
Quoi qu'il en soit, « si le général Aoun avalise la prorogation du mandat du général Kahwagi, il ne le fera pas sans contrepartie politique », relève une source autorisée.
Il reste d'ailleurs, pour l'heure, intransigeant sur la nécessité d'élire « un président fort ». C'est ce qui explique le résultat peu satisfaisant de son entretien, mercredi, avec le patriarche maronite, Mgr Béchara Raï, à la veille de la tenue d'un sommet spirituel élargi à Bkerké, qui doit préluder à une nouvelle réunion des quatre pôles chrétiens à Bkerké.
Pour sa part, le président Berry pourrait annoncer dimanche, lors de la commémoration de la disparition forcée de l'imam Moussa Sadr, une initiative qui jette les bases d'une table de dialogue restreinte entre six protagonistes représentatifs des camps politiques et des communautés : Amine Gemayel, Michel Aoun, Samir Geagea, Walid Joumblatt, Fouad Siniora et lui-même.

La déstabilisation dans la rue – qui, de surcroît, s'en prend ouvertement à Michel Aoun – s'accompagne donc de concertations pour un compromis qui semble s'axer sur la présidentielle. Comme si l'objectif politique était moins de renverser le système que d'ébranler toutes les parties et de secouer la léthargie politique et la paralysie institutionnelle, ces dernières étant devenues un terrain favorable à la normalisation de la vacance présidentielle.

 

Lire aussi
Le système...Quel système ?, l’édito d'Elie Fayad

En dépit de tout, consensus général sur la nécessité de préserver la stabilité politique, l’éclairage de Philippe Abi-Akl

Kahwagi : L'armée ne permettra pas d'entraîner les manifestations vers le chaos

Nawaf Moussaoui dénonce  une « répression » sécuritaire  contre les manifestants  et politique contre le CPL

Aujourd'hui, c'est une foule massive, plurielle, animée de volontés dispersées et hétéroclites de réforme, qui se retrouvera à la place des Martyrs à 18 heures. L'esprit insurrectionnel, qui a finalement gagné un grand nombre des sympathisants des deux camps (14 et 8 Mars), même les plus sceptiques, est alimenté par l'intime conviction que les mécanismes politiques doivent changer...

commentaires (5)

OBJECTIF L,ANARCHIE ET LE CHAOS... POUR LA MAINMISE...

LA LIBRE EXPRESSION

16 h 37, le 29 août 2015

Tous les commentaires

Commentaires (5)

  • OBJECTIF L,ANARCHIE ET LE CHAOS... POUR LA MAINMISE...

    LA LIBRE EXPRESSION

    16 h 37, le 29 août 2015

  • ESPÉRONS UN PEU, L'ESPOIR FAIT VIVRE. QUE CE PEUPLE ENDORMI SE RÉVEILLE. J'AIME BIEN VOIR DES PENTES CARTES RÉCLAMANTS LA DISPARITION DE CES MÊME NOM DE TOUS CES FAMILLES QUI NOUS GOUVERNENT DEPUIS DES SIÈCLES DE LA VIE POLITIQUE. AOUN, GEMAYEL, JOUMBLATT, FRANGIEH, HARIRI, KARAMÉ, BERRI ET.......ET...

    Gebran Eid

    14 h 31, le 29 août 2015

  • En fait, le new bigaradisme jettera à bas ses propres "dieux" ; ceux qu'il a si longtemps adorés : boSSfééér et béssîîîl ; en déclarant que ce ne sont + là que des "idoles" périmées !

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    14 h 03, le 29 août 2015

  • Clair, net et précis. Complet !

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    06 h 42, le 29 août 2015

  • DANS LE PROPRE DES CHOSES je suis pour cette manifestation .. mais je suis contre son timing meme avec les déchets sur la route, ils auraient du se cantonner a demander seulement une solution dans l'immediat a la crise des déchets (qui elle son timing n'est pas un hazard a mon avis) .. pour revenir a LA manifestation qui devrait changer completement le systeme est trop tot, s'ils le font ce sera grave a mon humble avis !!

    Bery tus

    04 h 24, le 29 août 2015

Retour en haut