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Liban - Crise des déchets

Des chimistes mettent en garde contre une « vraie catastrophe »

Pour les experts scientifiques, il existe des solutions faciles et pratiques à la crise des déchets qui dure depuis la fermeture de la décharge de Naamé, le 17 juillet dernier. Ce qui manque, « c'est la volonté politique ».

Sous l’effet de l’incinération sauvage, les molécules toxiques contenues dans les déchets sont transformées en d’autres molécules plus complexes et plus polluantes. Photo Michel Sayegh

Les experts scientifiques tirent la sonnette d'alarme. La crise des déchets qui dure depuis plus de quarante jours est « très grave » et risque de « s'aggraver encore plus, si une solution draconienne n'est pas adoptée dans l'immédiat ». Or « ces solutions existent et sont simples », affirment deux chimistes, Naïm Ouaini, prorecteur aux relations avec l'administration publique à l'Université Saint-Esprit de Kaslik (Usek), et Dominique Salameh, directeur du département de chimie à la faculté des sciences de l'Université Saint-Joseph (USJ). « Ce qui manque, c'est la volonté politique », constatent-ils.

L'amoncellement des déchets dans les rues n'est pas sans présenter un grand danger d'un point de vue de la santé publique. Mis à part le risque des maladies infectieuses que les immondices peuvent générer et l'exacerbation des maladies respiratoires qu'ils peuvent causer (voir L'Orient-Le Jour du 20 août), la décomposition chimique des déchets sous l'effet de la chaleur, et à l'approche de la saison des pluies, est à craindre. « Nous sommes face à une vraie catastrophe à tous les points de vue », déplore Naïm Ouaini.
« En chimie, on dit que "rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme", renchérit Dominique Salameh. Cela est encore plus vrai dans la crise actuelle des déchets. Ces derniers contiennent plusieurs molécules dont la dioxine et le furane. Sous l'effet de l'incinération sauvage, telle qu'elle est pratiquée depuis le début de la crise, ces molécules toxiques sont transformées en d'autres molécules plus complexes et plus polluantes. De même, sous l'effet de la chaleur, les molécules chimiques organiques volatiles qu'on trouve dans le plastique, tels que les cycles benzéniques (ou benzènes) et les molécules vinyliques (vinyles), vont se décomposer en radicaux libres cancérigènes. »

Le risque cancérigène va augmenter encore plus durant la saison des pluies. « La terre au Liban est de nature calcaire, donc sujette à l'infiltration, poursuit Dominique Salameh. Avec la pluie, les métaux lourds qui se trouvent dans les déchets, comme le cadmium, le nickel, le mercure, le sélénium, etc., seront transportés par l'eau dans la nappe phréatique et intégreront par la suite la chaîne alimentaire. »
Combien de temps faut-il pour qu'ils disparaissent? « Les radicaux libres vont continuer à exister dans l'atmosphère, insiste Dominique Salameh. Si on ne les détecte pas, cela ne veut pas dire qu'ils n'existent plus, mais qu'ils ont été absorbés par un organisme animal ou végétal. Idem pour les métaux lourds. Ils resteront dans la nappe phréatique. Il faut prendre conscience du fait que la nature survivra à cette catastrophe, comme elle l'a toujours fait au fil des siècles. C'est l'être humain qui court un réel danger. Les cas de cancers vont se multiplier. » Quid de la dépollution ? « Le phénomène est irréversible, répond Dominique Salameh. Il existe des techniques de dépollution, mais elles nécessitent beaucoup de temps, d'énergie et d'argent, sans parler du fait qu'elles sont peu efficaces. »

 

(Lire aussi : « Plus la crise sévit, plus le risque de prolifération des maladies augmente »)

L'incinération, une méthode coûteuse et non rentable
Les deux chimistes sont catégoriques. Il existe des solutions et elles peuvent être appliquées dès à présent. « D'emblée, je tiens à préciser qu'en tant que scientifiques, nous sommes totalement opposés à toutes les techniques d'incinération, insiste Naïm Ouaini. Les déchets organiques au Liban ne sont pas énergétiques. Pour les brûler, il faut ajouter du fuel. De ce fait, l'incinération reste, dans le cas précis du Liban, une méthode très coûteuse et sans aucune rentabilité. Il faut arrêter de présenter cette technique comme étant une solution au problème. Elle ne l'est pas, surtout d'un point de vue économique. »

Il convient de préciser qu'en vertu d'une décision du Conseil des ministres datant de 2010, l'État envisage d'importer des incinérateurs, et ce malgré l'opposition des écologistes.
« La décomposition thermique, la carbonisation, le RDF ou encore le "Waste to Energy" sont des terminologies pour une même procédure qui est l'incinération, reprend de son côté Dominique Salameh. La technique diffère, mais le résultat est le même : des toxines sont libérées dans l'atmosphère. Ce qui se passe c'est qu'on est en train de leurrer le citoyen avec toute cette terminologie et avec les mauvaises informations qu'on véhicule. »
Et Naïm Ouaini de relever : « En tant que scientifiques, nous insistons sur la participation efficace de la population et des municipalités pour résoudre le problème. On ne peut plus vivre dans l'illusion d'une solution au niveau national. »

Pour les deux experts, la solution commence par le tri à la source, d'autant que les déchets recyclables ont en soi une valeur surtout économique. « Il serait donc dommage de les incinérer, note Dominique Salameh. De plus, il y a un énorme coût d'opportunité. Plutôt que d'avoir un retour sur ce qu'on a dépensé dans les déchets, on se trouve en train de dépenser de l'argent pour les brûler, sans aucun retour énergétique. »
Analysant la benne des déchets telle qu'elle se présente au Liban, le chimiste explique qu'après avoir retiré les déchets organiques, ceux recyclables (carton, plastique, verre, aluminium, etc.) et traitables (déchets hospitaliers), il reste les déchets ultimes dont une grande partie doit être enfouie dans une décharge. « Si le tri est fait correctement, seule une infime partie des déchets ultimes peut être incinérée, précise-t-il. Donc cela coûtera très cher au pays. »

 

(Pour mémoire : Bou Faour revient à la charge : « Nous frôlons une grande catastrophe »)

 

Une solution à double aspect
Pour Naïm Ouaini et Domique Salameh donc, il y a deux aspects à la solution. Le premier revêt un caractère d'urgence et consiste à collecter les déchets qui s'amoncellent dans les rues, à les placer dans un endroit défini dans chaque région où ils seront triés. « Contrairement à ce que l'on croit, ces déchets peuvent toujours être triés », indiquent-ils. L'une des solutions proposées dans ce cadre serait de déverser les déchets qui se trouvent dans la rue dans un grand terrain étanche peu profond et de les laisser composter lentement. « Le processus peut durer deux ans », indiquent les experts. Au terme de ce processus, « on collectera les déchets recyclables ».
Cette solution étant peu envisageable au Liban, puisqu'elle ne concerne que les déchets actuels et qu'il y a un manque d'espace, la deuxième option possible reste le tri sur place. Et la main-d'œuvre ne manque pas : de nombreux Libanais sont au chômage. Idem pour les centaines de milliers de réfugiés syriens et irakiens qui ne demandent qu'à travailler. « Les municipalités peuvent avoir recours à leurs services », propose Dominique Salameh, notant que les déchets organiques laissés dans la nature ne présentent pas de danger, puisqu'ils se dégradent rapidement.

Le deuxième aspect de la solution consiste à élaborer un plan pour la gestion des déchets sur le long terme. « Il faut habiliter le citoyen à jouer son rôle, souligne Naïm Ouaini. De son côté, le gouvernement doit assumer ses responsabilités. Les décisions ne peuvent plus être prises sans recourir à l'avis des experts scientifiques. » Or plus de vingt-cinq d'entre eux font partie d'un consortium, baptisé URA (unités de recherche associée). Il est créé à l'initiative de l'Usek, en partenariat avec l'USJ, le CNRS et arcenciel. Présidé par Naïm Ouaini, ce consortium vise à apporter « un appui scientifique aux décideurs pour la mise en place de systèmes de gestion et de traitement durables des déchets »...

 

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Les experts scientifiques tirent la sonnette d'alarme. La crise des déchets qui dure depuis plus de quarante jours est « très grave » et risque de « s'aggraver encore plus, si une solution draconienne n'est pas adoptée dans l'immédiat ». Or « ces solutions existent et sont simples », affirment deux chimistes, Naïm Ouaini, prorecteur aux relations avec l'administration publique à...

commentaires (2)

Les propositions des scientifiques sont bien faibles et pas à la hauteur des tas d'ordures.....

Beauchard Jacques

10 h 01, le 29 août 2015

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Commentaires (2)

  • Les propositions des scientifiques sont bien faibles et pas à la hauteur des tas d'ordures.....

    Beauchard Jacques

    10 h 01, le 29 août 2015

  • Ces scientifiques sont pleins de bon ses..., de plus le tri sélectif en aval ..existe dans beaucoup de pays la Suisse est un des exemples performants...

    M.V.

    07 h 05, le 29 août 2015

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