Ils sont descendus par milliers samedi et dimanche derniers place Riad el-Solh. Ils pourraient être des milliers, de nouveau, à battre le pavé demain. Tirés de leur canapé, de leur chaise longue, de leur chez-eux, par la puanteur exhalée par des bennes vomissant leurs déchets, les longues heures sans électricité, le robinet à sec, la corruption, le départ d'un fils, d'une fille, vers des cieux plus cléments, un horizon bouché, un avenir en forme de rien... Par un ras-le-bol total, mûri pendant des années.
Place Riad Solh, ils ont exprimé ce ras-le bol, cette colère. Certains ont appelé à la chute du gouvernement. D'autres non. Peut-être par légitimisme. Peut-être parce qu'ils pensent que « ce serait pire » si ce gouvernement chutait, que le prochain cabinet ne ferait pas mieux... Alors à quoi bon et pourquoi prendre le risque d'ajouter une couche au vide politique actuel ?
Et pourtant... Étant donné la situation dans laquelle se trouve le Liban, demander la chute du gouvernement n'est-il pas un acte légitime, le réflexe sain de citoyens pas totalement résignés ?
Dans la plupart des pays du monde, un gouvernement affichant un tel bilan, un tel mépris des citoyens, une telle incompétence – de nouveau magistralement illustrée avec la gestion des appels d'offres sur l'attribution de la gestion des déchets –, aurait été appelé à démissionner depuis belle lurette.
Place Riad Solh, le week-end dernier, il y avait le Liban dans tellement de ses dimensions. Moment rare. De cette représentation du Liban multiple sont montées des revendications aussi disparates que les problèmes du pays. Tant de revendications, que les manifestants se sont noyés dedans.
Et il y eut les casseurs. Des hommes et quelques femmes dont la colère est si facilement récupérable, instrumentalisable. Une colère entretenue par ceux, de tous bords, qui ont participé d'une manière ou d'une autre à son développement. Une colère dont l'expression violente arrange tout le landernau politique.
Au-delà des casseurs, dont il serait intéressant, urgent, indispensable, de démonter les ressorts de la colère après en avoir condamné les dérives, la place Riad el-Solh a été le théâtre, le week-end dernier, d'un sursaut citoyen. Mal encadré, mal canalisé, pas assez organisé. Certes...
Mais le vrai problème est ailleurs.
Le problème de fond, c'est que les Libanais, qu'on accuse trop souvent de passivité, se voient dénier la possibilité, la liberté, d'exercer leurs droits de citoyens.
Parce qu'ils vont être récupérés, instrumentalisés. Parce que ce n'est pas le moment. Parce que les institutions politiques sont bloquées, le Parlement en veille, le palais présidentiel vide, les réfugiés syriens trop nombreux, la guerre aux portes et les jihadistes aux frontières... Parce qu'Israël menace, l'Iran complote, l'Arabie saoudite s'ingère... Les Libanais sont priés de rester à la maison et de ravaler leur colère et les couleuvres.
Aujourd'hui, le Liban compte des millions de citoyens otages. Otages d'élus autoprorogés, de députés refusant d'élire un président, otages d'un système qui exclut l'alternance politique et où la seule véritable union nationale réside dans la neutralisation stérile et improductive. Otages d'un système politique aux relents souvent féodaux, qui entrave l'émergence de nouvelles têtes. Otages d'intérêts régionaux. Otages des armes et de la corruption. Otages de leurs propres peurs, de leur histoire, de leurs replis et de leurs défiances.
Certains otages, dans un réflexe de survie, développent une surprenante sympathie pour leurs geôliers. Un phénomène connu sous le nom de syndrome de Stockholm. Remplaçons la sympathie par la résignation. Aurait-on le syndrome de Beyrouth ?
Le syndrome de Beyrouth
OLJ / Par Émilie SUEUR, le 28 août 2015 à 00h00
commentaires (3)
"Parce que la guerre est aux portes, les jihadistes aux frontières.... et le héZébbb au-delà etc." ! En tout cas, plusieurs négations en pleine négation entre elles, ne formeront jamais une citoyenneté et une nation !
ANTOINE-SERGE KARAMAOUN
12 h 19, le 28 août 2015