L'élection du chef du Courant patriotique libre (CPL), fixée au 20 septembre prochain, n'aura pas lieu. Le ministre des Affaires étrangères, Gebran Bassil, a été élu hier d'office à la tête du courant, et avec lui, les deux membres de sa liste, Nicolas Sehnaoui et Rommel Saber, aux deux vice-présidences, respectivement pour les affaires politiques et les affaires administratives.
Ces résultats ont été annoncés moins d'une heure après l'expiration du délai de dépôt des candidatures, à midi, au siège central du CPL au centre Mirna Chalouhi à Sin el-Fil. En plus de la liste de M. Bassil, déposée quelques minutes avant l'expiration du délai, une autre liste a été déposée vers onze heures, présidée par Ziad Bayeh (entrepreneur vivant entre le Liban et la France), avec à la vice-présidence, les noms de Farès Louis (ingénieur résidant à Paris) et Élie Maalouf (lui aussi émigré en France).
Cette liste n'a toutefois pas été retenue par les comités chargés de l'examen des candidatures. Le secrétaire général du CPL, Élie Khoury, a annoncé la victoire de la liste de M. Bassil, « faute de pouvoir enregistrer la liste de Ziad Bayeh, son dossier ne contenant pas tous les documents requis ». Le responsable des ressources humaines du CPL, Bassam Nasrallah, a précisé au site d'information Tayyar.org que le dossier présenté par la seconde liste portait des signatures des candidats à la vice-présidence scannées et photocopiées, et donc non officielles. De plus, la lettre de procuration du candidat Farès Louis, ayant mandaté M. Bayeh à lui soumettre sa candidature, n'a pas la forme d'un acte notarial, mais d'un simple papier signé par lui. Et enfin, il manque à la candidature de Farès Louis une attestation de diplôme universitaire.
Joint par L'Orient-Le Jour, Farès Louis affirme que « les raisons techniques invoquées sont peu convaincantes ». Sans s'y attarder, il dénonce, plus globalement, la « mauvaise foi » de la direction du CPL, « qui refuse, en réalité, la tenue des élections ».
« Si la volonté y était, le problème technique aurait certainement pu être résolu », affirme ce vétéran du CPL, précisant avoir « accompagné le général Michel Aoun dans son combat ». En outre, le refus technique s'est accompagné de « rumeurs persistantes sur le fait que je ne suis pas diplômé », déplore l'ingénieur, pourtant détenteur « d'un diplôme d'études supérieures, d'une maîtrise et d'un diplôme d'une école de commerce ». Dès lors, « la vraie question est celle de savoir pourquoi il y a une volonté persistante de ne pas tenir des élections, et plus précisément, pourquoi Gebran Bassil a-t-il peur de mener une bataille électorale ? » s'est interroge M. Louis.
« Les émigrés du CPL laissés seuls »
Pour les contestataires, ce refus de l'exercice démocratique s'était manifesté progressivement : il y a eu d'abord l'adoption d'un nouveau statut interne du CPL, le 23 décembre dernier, et son dépôt immédiat auprès du ministère de l'Intérieur, sachant que l'ancien statut, datant de 2006, n'avait jamais été déposé auprès du ministère.
« Le nouveau statut souffre non seulement d'une certaine marginalisation des membres émigrés du CPL, mais son grand tort est d'accorder des pouvoirs absolus au président du courant », souligne Farès Louis. L'élaboration du nouveau statut a été suivie de la convocation à des élections internes du président et des vice-présidents en avril 2015. Une date qui sera reportée à plusieurs reprises jusqu'au 20 septembre prochain. Entre-temps, alors que s'ébauchait une bataille électorale interne, des prises de contact s'intensifiaient pour un consensus. Elles aboutiront à « un accord interne », annoncé le 20 août par le général Michel Aoun, qui conduira au retrait de la candidature du député Alain Aoun.
Une démarche qui a divisé les rangs du CPL, entre les tenants du « consensus favorable au renforcement du parti » et ceux qui stigmatisent « une rupture avec la tradition démocratique » du courant.
Des membres du CPL présents à l'étranger contestent fermement le consensus parrainé par le général, affirme Farès Louis. Dès l'annonce, il y a une semaine, de cet « arrangement interne », celui-ci avait déclaré son intention de se porter candidat face à Gebran Bassil. Il s'est résigné ensuite, pour des raisons logistiques, à confier la candidature à la présidence à Ziyad Bayeh, présent plus fréquemment au Liban.
Mais la volonté des émigrés de forcer la tenue du scrutin s'était appuyée sur la vague de contestation interne des partisans présents au Liban. « Nous avions envisagé, avec les opposants au Liban, de former une liste commune, sinon d'obtenir leur appui à notre liste », confie Farès Louis. Or les opposants résidant au Liban nous ont laissés seuls à la dernière minute », déplore-t-il, dans une allusion claire à la réunion de plus 200 frondeurs aounistes, mercredi à l'hôtel Madison à Jounieh, en présence du député de Jezzine Ziad Assouad.
(Lire aussi : Alain Aoun et Gebran Bassil : Les chrétiens cherchent un partenariat fort au niveau politique)
« Je suis le seul à avoir osé... »
Cette réunion, « pure mise en scène » selon certains opposants, est entourée d'une certaine opacité. Elle aurait abouti à une entente entre les opposants, à soutenir la candidature de Ziad Assouad à la présidence du CPL. Ce dernier leur aurait demandé de lui accorder un délai de 24 heures, selon la page Facebook Orange Reform, créée par les opposants locaux et émigrés. Quelques minutes plus tard, certains membres du groupe écriront toutefois que « Ziad Assouad ne se portera pas candidat ». À peine la réunion terminée, selon des informations de la MTV, ce dernier aurait même contacté par téléphone Gebran Bassil, pour lui affirmer son soutien à son éventuelle élection et le rassurer que sa participation à la réunion n'avait aucune portée politique.
Accusé par les opposants de « trahison », Ziad Assouad dément ces informations à L'Orient le Jour, et s'explique : « J'ai été le seul à avoir eu l'audace d'aller vers les opposants. Et si, effectivement, je les ai trahis comme le rapportent les médias, dites-moi seulement en contrepartie de quoi ? De quel profit ? » Sur les raisons qui l'ont dissuadé de se porter candidat à la présidence du CPL, il invoque « une candidature qui aurait été trop tardive, face à une compétition devenue difficile ». Il insiste surtout sur « la chance qu'il faut donner au consensus ». Il exprime son « souci de ne pas paraître comme entravant, ou bloquant, l'entente interne ». Une entente à laquelle il oppose néanmoins des réserves, notamment sur le choix des vice-présidents.
La qualifiant en outre de « pure forme », il en fait assumer la responsabilité « à ceux qui l'ont négociée : les députés Alain Aoun et Ibrahim Kanaan ». Mais il ne pousse pas sa critique jusqu'au point de dire que le consensus avait pour objectif de camoufler le retrait d'Alain Aoun, qui aurait été préalablement décidé.
De plus, Ziad Assouad se démarque visiblement de l'initiative de Louis Farès. « Je n'ai pas suivi le déroulement des dépôts des candidatures », affirme-t-il.
Bassil « à genoux » ...
Alors que les émigrés du CPL prévoient de tenir une conférence de presse pour exprimer leur rejet de l'élection d'office de Gebran Bassil, les frondeurs au Liban ont créé hier un nouveau groupe Facebook sous le nom : « La génération Aoun ». Ce slogan, qui reprend le titre de l'ouvrage de Jean-Paul Bourre sur la jeunesse du CPL, a été repris par le nouveau chef du courant, Gebran Bassil. Ce dernier n'a pas tardé à annoncer hier « sa vision » pour le courant, lors d'une cérémonie solennelle au Palais des Congrès à Dbayé, en présence notamment des députés Ibrahim Kanaan, Ziad Assouad, Simon Abi Ramia, Nagi Gharios, Hekmat Dib, Nabil Nicolas, Edgar Maalouf.
Entouré de ses vice-présidents, M. Bassil a multiplié les hommages au général Michel Aoun et ses appels à la cohésion. « Le général est notre garantie et son testament est que nous soyons une garantie l'un pour l'autre », a-t-il d'abord déclaré. « Notre consensus aujourd'hui est pour un courant fort », a-t-il souligné, avant de préciser que « la démocratie peut se faire par consensus ». Il a également repris le slogan de « la force » pour justifier indirectement l'entente, au lieu du scrutin. « C'est parce que nous réclamons l'élection d'un président fort, et l'édification d'un Liban fort, qu'il nous faut un CPL fort », a-t-il asséné. À la fin de son allocution, M. Bassil a dit qu'il se mettait « à genoux » devant Michel Aoun, « Premier ministre, général, commandant, père et camarade ».
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commentaires (8)
Triste, bien triste, ce parti aux amalgames politicards et aux ordres d'un vieillard .... prétendant au poste suprême Les chrétiens vont-ils se reveiller ?
FAKHOURI
22 h 39, le 28 août 2015