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Liban - Paléontologie

L’histoire du goundi élucidée grâce à des dents fossilisées trouvées à Zahlé

Le petit rongeur d'Afrique du Nord et de l'Est a un cousin manquant au pays du Cèdre, vieux de 9 millions d'années, selon des paléontologues libanais, espagnols et français. Les conclusions de leurs recherches ont été publiées le 7 août dans la revue « Scientific Reports ».

Dany Azar, sur le terrain, avec un morceau d’ambre découvert.

Elles ont été exhumées des entrailles de la terre libanaise : de minuscules dents fossilisées, de taille millimétrique, longtemps enfouies sous des sédiments, ont été découvertes récemment à Zahlé, soulevant un immense intérêt chez de nombreux paléontologues. Celles-ci appartenaient à un rongeur qui vivait là il y a 9 millions d'années.
Son petit nom : Proafricanomys libanensis. Il se révèle être le cousin manquant de la famille du goundi, un animal dont les représentants actuels sont présents en Afrique du Nord et de l'Est et qui ont la particularité d'être très souples, pénétrant facilement dans les fentes de rochers. L'ancêtre de cette famille est asiatique.
L'animal est apparu il y a environ 40 millions d'années. Ainsi, les fossiles trouvés, représentants de cette famille de rongeurs que l'on appelle les Ctenodactylidae, illustrent la transition entre la lignée d'origine et celle contemporaine.
Voilà pourquoi « leur découverte est importante pour comprendre l'intégralité de l'histoire évolutive de ce groupe de mammifères », souligne Dany Azar, professeur et chercheur en paléontologie et évolution à l'Université libanaise et chercheur associé au Muséum national d'histoire naturelle (MNHN) de Paris.
L'espèce trouvée est en fait cent pour cent locale. Et c'est ce qui fait aussi qu'elle est digne d'intérêt. « C'est la première fois que l'on trouve une espèce de mammifère propre au Moyen-Orient. Il s'agit d'un nouveau genre pour la science. Auparavant, nous avions eu d'autres trouvailles de fossiles de mammifères, mais ces derniers étaient des animaux qui avaient déjà été décrits ailleurs : en Europe, en Asie ou en Afrique », explique Dany Azar.

 

Des fossiles plus anciens que prévu
C'est en 2013 que les fossiles sont découverts. Cette année-là, le professeur Azar se rend au nord-ouest de Zahlé avec trois autres confrères : l'Espagnole Raquel López-Antoñanzas, le Français Fabien Knoll et la Libanaise Sibelle Maksoud. En fouillant une zone de terre, ils tombent d'emblée sur un morceau de carapace de tortue. Un signe de la présence de matières fossilisées. Ils entament alors une recherche en profondeur. L'équipe finit par amasser environ 2 tonnes de sédiments. Des sédiments qu'il a fallu par la suite laver, sécher, tamiser puis trier sous loupe binoculaire en laboratoire. « Un travail très chronophage qui a duré plus d'un mois », souligne Dany Azar.
Mais l'effort est récompensé. Les scientifiques tombent finalement sur les fameuses dents. Dans un premier temps, l'âge admis était de 6 millions d'années. La datation est revue à la baisse lorsqu'ils trouvent d'autres dents issues de la même couche sédimentaire, appartenant à des muridés, ancêtres des rats et des souris. Celles-ci permettent en effet d'établir une mesure chronologique très précise. L'âge des fossiles en question est donc reculé de 3 millions d'années.
En les étudiant en détail, zone par zone, il apparaît que leurs caractéristiques morphologiques sont à la fois proches des dents du goundi actuel et présentent des similarités communes à celles des espèces ancestrales. Une observation de sillons très significatifs permet de placer Proafricanomys libanensis dans l'arbre familial, précisément entre les espèces africaines et les asiatiques.

 

Le Liban d'il y a 9 millions d'années
À la question de savoir si on peut se fier aux seules dents pour établir l'histoire évolutive de ce groupe, Dany Azar répond, catégorique : « Pour les mammifères, c'est ce qu'il y a de plus précis. À partir de dents, on peut connaître la morphologie de la tête et le mode alimentaire. Par exemple, si une canine est usée sur sa partie supérieure, elle appartient forcément à un humain et non à un singe. »
Difficile pour l'instant de déterminer exactement ce qui aurait pu déclencher le déplacement du rongeur d'une région à une autre. Dispersion naturelle, facteurs environnementaux, les pistes sont multiples. « Il y a 40 millions d'années, la période était chaude, il avait la possibilité d'être partout. Depuis cette époque, il y a eu plusieurs crises géologiques, des glaciations qui auraient pu pousser des groupes présents au Moyen-Orient vers l'Afrique », note le chercheur.
Les dents mises à jour du parent manquant du goundi ne peuvent à elles seules nous renseigner sur l'écosystème passé du Liban. D'autres matières organiques sont nécessaires. « On sait pour le moment qu'il y a 9 millions d'années, la Békaa était un grand lac, un point d'eau non salé. Autrement dit, il s'agissait d'un point d'attraction pour les animaux », indique Dany Azar. Les recherches sont donc encore en cours. Des découvertes dans les sédiments récupérés, notamment du pollen, permettront d'avoir de meilleurs indices de la flore présente.
Quant aux dents fossilisées, elles se trouvent actuellement en Angleterre. Elles font l'objet d'une étude spécifique à l'Université de Bristol. Une fois les recherches terminées, elles rentreront au bercail et seront déposées au Muséum d'histoire naturelle de l'Université libanaise à Fanar. Car il n'existe pas encore d'institution nationale pour accueillir ce type de matériaux. « Une situation dommageable pour le Liban, un des points chauds pour la biodiversité animale et végétale ainsi que pour les fossiles », déplore le professeur Azar.

 

Des empreintes de dinosaures repérées à Harissa

Sur les hauteurs de Jounieh, à Harissa, au nord de Beyrouth, des empreintes pas comme les autres ont attiré l'attention de quelques chercheurs. Il s'agit de traces de pas de dinosaures, figées sur des rochers sur une piste de plus d'une soixantaine de mètres. Elles indiquent le passage de ces grands reptiles fossiles sur une ancienne plage à côté d'une mer peu profonde il y a presque 120-125 millions d'années. La découverte a eu lieu fin 2013 et est le fait de Raymond Gèze, professeur en paléontologie à l'Université libanaise. Des moulages ont été effectués ces jours-ci en vue d'en apprendre plus sur la nature des dinosaures à l'origine de ces empreintes. On en saura davantage dans un peu plus d'un mois, une fois les recherches achevées. C'est la première fois que de telles empreintes sont mises au jour au Liban. Mais l'ancienne présence de ces animaux n'est pas inconnue. Des dents de brachiosaures avaient par exemple été exhumées en 2006.

 

Liban, paradis des paléontologues

Le pays est riche d'un patrimoine pas toujours considéré à sa juste valeur. Il compte de nombreux sites contenant de précieux fossiles. Mais ces derniers ne sont protégés par aucune loi et sont donc soumis au vandalisme. Pour les paléontologues, qui étudient les êtres vivants des temps anciens, ces sites sont des mines d'or. Pas moins de 450 gisements d'ambre ont par exemple été découverts depuis une vingtaine d'années. Ils couvrent à peu près 10 % du territoire libanais.
L'ambre est une ressource d'exception, une résine qui fige et préserve des espèces animales éteintes. Au Liban, les gisements de cette matière sont d'autant plus exceptionnels qu'ils sont les plus anciens. Ils datent du crétacé inférieur (environ 135 millions d'années), une époque charnière où l'écosystème est en plein bouleversement. C'est là l'un des principaux intérêts de l'ambre libanais.
D'autres éléments repérés dans le pays ont également intrigué les paléontologues. Des poissons fossilisés ont été exhumés dans les montagnes qui surplombent Jbeil. Plus récemment, une étude réalisée par Sibelle Maksoud, une jeune géologue, a changé l'histoire géologique du pays. Elle étudiait la falaise de Blanche pour connaître son cours évolutif. En faisant des recherches micropaléontologiques, elle a découvert que celle-ci était plus âgée que ce qui avait été admis jusqu'à présent. Cette étude lui a permis d'établir un nouvel étage géologique local : le Jezzinien, du nom de Jezzine.
Par ailleurs, qui dit matière fossilisée dit aussi pétrole. Une matière qui suscite bien des intérêts. Actuellement, des travaux menés par des micropaléontologues sont en cours pour tenter de trouver du brut libanais. Et des pistes semblent sérieuses...
Mais plus généralement, le travail des scientifiques n'est pas toujours facile sur le terrain libanais. Il existe des zones dites sensibles au nord ou au sud. Elles sont parfois militarisées ou minées. « Des zones où si l'on met les pieds, il y a 15 personnes qui nous tombent dessus », précise le chercheur Dany Azar. Néanmoins, après des années d'expérience, ce dernier s'en accommode désormais, poursuivant sans relâche sa quête des trésors fossiles.

 

 

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