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Manip’ & récup’ S.A.L.

C'est aujourd'hui seulement, pestilence oblige, que les Libanais sont initiés aux joies ineffables que peut procurer un civique triage des ordures ménagères. Aujourd'hui seulement que des âmes charitables leur apprennent que les déchets organiques donnent un excellent compost. Et qu'à l'exception d'un establishment politique traînant une lamentable réputation de vénalité, pratiquement tout – papier, carton, verre, canettes de métal – est parfaitement recyclable.


Étonnante ignorance populaire tout de même, quand on sait à quel point nombre de personnages politiques sont passés maîtres, eux, dans l'art de la récupération. Et aussi de la manipulation, puisque cela va souvent de pair et qu'il est si facile d'infiltrer, de noyauter, de polluer les foules. Prenez, par exemple, cette admirable démonstration de ras-le-bol que l'on doit au collectif Vous Puez !, où l'on a vu des citoyens de diverses obédiences se retrouver dans la rue pour crier pacifiquement leur désaveu des hommes qui les gouvernent. Glissez dans le lot une poignée de cogneurs, de casseurs, de vandales et d'incendiaires et de pillards, faites leur scander des slogans outrageusement radicaux et totalement étrangers à la question du jour, et vous le tenez, votre scandale à la brutalité policière et à la honte de ce mur de béton éphémèrement mis en place aux abords du Sérail !


La récupération consistait précisément, pour certains de ces ferrailleurs, à se poser défenseurs des libertés publiques, notamment celle de s'exprimer et de manifester, en occultant effrontément leur part de responsabilité dans la crise des ordures, eux qui n'ont cessé en effet de condamner à la paralysie un gouvernement dont pourtant ils font éminemment partie. Mal en a pris d'ailleurs à l'un de ces ministres saboteurs de jouer les vierges effarouchées sur Twitter, ce qui lui a valu un flot gigantesque de réponses bien senties, quoique pas très polies.


Il y a plus fort encore, cependant. Lundi, le ministre de l'Environnement rendait publics les résultats de l'appel d'offres lancé pour la collecte et le traitement des ordures. Chacune des entreprises qui ont emporté le morceau était notoirement coachée par l'un ou l'autre de ces importants personnages qui sont toujours à l'affût d'une bonne affaire : rien là, dira-t-on, que de tristement banal dans notre pays. Ce qui l'était moins, c'est de voir les partenaires invisibles opérer un spectaculaire retrait tactique en se joignant à la colère populaire qu'ont suscitée les rémunérations, jugées abusives, concédées à ces firmes.


En annulant, hier, le résultat de ces adjudications si vivement controversées, le gouvernement a sans doute fait preuve de réalisme et de bon sens. Mais non de cohérence dans l'action. Pas plus d'ailleurs que de tact politique, avec son offre d'affecter cent millions de dollars (qu'il ne possède même pas) aux projets de développement du Akkar, si seulement cette province longtemps déshéritée accepte d'abriter une décharge géante.


Il devait y avoir, pour l'État, d'autres moyens de se donner bonne conscience. Sauf pour les indécrottables chasseur de contrats, les ordures, ce n'est pas toujours de l'or...

Issa GORAIEB
igor@lorient-lejour.com.lb

C'est aujourd'hui seulement, pestilence oblige, que les Libanais sont initiés aux joies ineffables que peut procurer un civique triage des ordures ménagères. Aujourd'hui seulement que des âmes charitables leur apprennent que les déchets organiques donnent un excellent compost. Et qu'à l'exception d'un establishment politique traînant une lamentable réputation de vénalité, pratiquement...