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Liban - #LaRépubliquePoubelle / Reportage

Transformé en forteresse, le centre-ville de Beyrouth émerge lentement

Au lendemain de la manifestation dominicale qui a dégénéré en nuit d'émeutes place Riad el-Solh, les autorités ont érigé un mur de béton pour protéger le Grand Sérail. Une forteresse déjà baptisée « mur de la honte ».

Au lendemain des émeutes de dimanche place Riad el-Solh, les autorités ont érigé un mur de béton pour protéger le Grand Sérail. Une forteresse déjà taguée et déjà baptisée « mur de la honte ». Photo AFP

Désert. Silencieux. Sale. Quadrillé par les soldats déployés dans la nuit. Les murs envahis de tags et de gribouillis. La chaussée noire encore fumante par endroits. Des vitrines éventrées. Des vitres brisées. Des parcmètres saccagés. Des réverbères arrachés. Des trottoirs défoncés. Des véhicules brûlés. Des commerçants hagards. Des passants inquiets. Des concierges qui lavent les trottoirs à grande eau. C'est avec peine que le centre-ville de Beyrouth a émergé hier de la longue soirée d'affrontements qui ont opposé les forces de l'ordre aux casseurs ayant infiltré la manifestation dominicale organisée par le mouvement « Vous puez ! ».
Place Riad el-Solh, quelques manifestants indépendants arborent des slogans contre les dirigeants au pouvoir. Ils entendent bien poursuivre le mouvement de la veille, même si l'appel à la manifestation a été annulé. Des grues et des camions sont à pied d'œuvre. Ils entament déjà la construction d'un mur de béton qui transformera le Grand Sérail en véritable forteresse, qui l'isolera encore plus des citoyens et de la rue. L'opération est contrôlée par les forces de sécurité qui veillent. Déjà baptisé « mur de la honte » par certains facebookeurs, l'édifice ne tardera pas à être la cible des tagueurs, qui le noirciront de dessins et d'inscriptions.

 

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Ils ont détruit la cause des militaires otages
Assis à l'ombre des arbres, les parents des militaires otages de l'État islamique et du Front al-Nosra observent la scène, impassibles. Parmi eux, les proches de Lameh Mzahem, Georges Khoury, Pierre Geagea et Mohammad Youssef, ces quelques otages parmi tant d'autres. Il ne reste quasiment rien du campement qu'ils ont mis un an à construire et à peaufiner. Plus aucune tente. Plus la moindre photo de leurs proches aux mains des groupuscules terroristes. Rien d'autre que quelques matelas entassés contre le mur d'enceinte d'un chantier, une poignée de tables en plastique et un distributeur électrique d'eau potable. Tout le reste a été brûlé, saccagé par les manifestants. « Cette manifestation avait des revendications légitimes. Elle s'est transformée en un mouvement voyou (baltagi) qui a brûlé les tentes et saccagé tous les biens des familles des militaires otages des groupes islamiques, même leurs affaires personnelles » : Fady Mzahem, oncle du gendarme Lameh Mzahem enlevé par al-Nosra, retient sa colère à grand-peine. « Qu'il s'agisse d'une cinquième colonne ou non, les organisateurs auraient dû les mater, les empêcher de casser », dénonce-t-il. « Est-ce bien ça, leurs revendications, de tout casser ? » demande-t-il.

Marie, la sœur de Georges Khoury, se déchaîne à son tour contre le mouvement de protestation et ses organisateurs. « Cela fait plusieurs jours qu'ils s'en prennent à nous. Ils se sont imposés, ont enlevé les photos de nos soldats, ont détruit notre mouvement et notre cause. Nous les avons tolérés. Mais assurément, ils ont atteint leur objectif, celui de nous annihiler », déplore-t-elle. « Que sont-ils venus faire là ? Comment allons-nous retrouver toutes les photos ? Comment allons-nous reconstruire ce campement ? » demande-t-elle en colère.
Les parents des otages ne tarissent pas. Un homme raconte comment un manifestant l'a insulté et forcé à entrer dans sa tente sous la menace. « Ils ont arraché les pierres qui fixaient nos tentes », assure-t-il. « Ils m'ont empêchée de boire », renchérit une femme. Découragés, ils refusent toutefois de baisser les bras. Ils espèrent que le courant du Futur tiendra ses promesses et les aidera à remettre rapidement leur sit-in sur pied.

 

(Lire aussi : Nouhad Machnouk accuse indirectement le CPL et le Hezbollah des émeutes au centre-ville)

 

Une clientèle inquiète, des magasins vides
C'est dans cette ambiance précaire de lendemain de manifestation explosive que tentent de survivre les commerces. Dans une boutique de robes de mariée, une jeune cliente inquiète s'empresse de finaliser sa commande. Elle demande expressément que sa robe lui soit livrée à la branche de Dbayé. Son mariage a lieu très bientôt et elle craint que le centre-ville ne soit une nouvelle fois inaccessible. « Nous avons essayé de transporter la marchandise à Dbayé. Mais les forces de l'ordre nous ont interdit de faire entrer une camionnette dans la rue. Les clientes ont pourtant peur de venir et ont toutes reporté leurs rendez-vous », regrette Mme Hanoun, employée de la boutique.

La rue Lazarieh et la rue des Banques sont presque vides. La grande majorité des commerces sont fermés, nombre de banques aussi. Le pâtissier Bohsali tente de faire bonne figure avec ses riches étalages de baklava. Mais la clientèle n'est pas au rendez-vous. « Cette pâtisserie est notre gagne-pain. Elle est implantée au centre-ville depuis 1965. Nous avons mis des fortunes pour la faire revivre, et nous faisons vivre 17 familles », souligne la propriétaire, Nibal Bohsali. « L'État va-t-il compenser nos pertes ? Y a-t-il une volonté délibérée de vider le centre-ville de ses habitants? » demande-t-elle.

Quelques centaines de mètres plus loin, l'immeuble Lazarieh panse ses plaies. Une agence de location de voitures n'a plus de vitres. Les réparations vont déjà bon train. L'inscription « Révolution » orne la vitrine d'une autre boutique close. Partout sur les murs est tagué le célèbre slogan du chanteur Bob Marley, « Stand Up for Your Rights » (Défendez vos droits). Assis sur un banc, sur le large trottoir en face de l'église Saint-Georges, Johnny, employé d'une entreprise voisine, en pause café, martèle : « Cette manifestation n'avait pas de raison d'être. Ils ont entraîné le peuple dans la rue pour rien. » « À quoi sert-il de faire tomber le gouvernement tant que certains sont armés ? » demande-t-il. « Et puis, surtout, pouvons-nous nous permettre une nouvelle guerre... ? » lance le jeune homme qui rêve de quitter le pays une bonne fois pour toutes.

 

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