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Économie - Éclairage

Les agriculteurs libanais victimes d’une série noire

Plombés par une série de déconvenues qui ont lourdement affecté leur activité depuis le début de l'année, les acteurs du secteur agricole libanais ne peuvent plus qu'espérer sauver ce qui peut encore l'être.

Selon le syndicat des agriculteurs au Liban, la production de certains fruits et légumes sur les sept premiers mois de l’année aurait chuté de plus de 40 %. Photo archives AFP

Sale temps pour l'agriculture libanaise. Depuis le début de l'année, les professionnels du secteur ont dû faire face tour à tour aux caprices du climat et aux retombées de la guerre en Syrie qui a affecté la disponibilité de la main-d'œuvre agricole et la circulation des marchandises libanaises par voie terrestre au Moyen-Orient. Une série noire qui a contribué à briser la dynamique positive enregistrée au premier trimestre et caractérisée par une hausse des exportations de 25 % sur cette période.
« Il est encore trop tôt pour mesurer l'impact réel de cette succession de mauvaises nouvelles, voire même de dégager une tendance sur l'année », estime la chef du département des études économiques du ministère de l'Agriculture, Amal Salibi. Cette dernière signale cependant que les résultats de l'enquête sur les performances du secteur menée par ses services pour la période allant de 2014 à 2015 seront publiés au début de l'année prochaine.

Sur le terrain, les agriculteurs font déjà grise mine. « Nous pourrons commencer à estimer les conséquences financières de cette situation vers la fin de l'année », affirme le président du syndicat des agriculteurs au Liban, Antoine Hoyek. Il fait néanmoins état d'un recul de la production de certains fruits et légumes avoisinant les 40 % sur les sept premiers mois de l'année, par rapport à la même période en 2014. Même constat pour le président du syndicat des agriculteurs de la Békaa, Ibrahim Tahchichi, qui estime à 30 % le recul global de la production dans cette région qui représente à elle seule près de la moitié des surfaces agraires du pays, selon le dernier recensement établi par le ministère de l'Agriculture en 2010.


(Pour mémoire : Les agriculteurs menacent de descendre dans la rue)

Crise syrienne
« C'est une année noire parmi les années noires », déplore Antoine Hoyek, dont le secteur a beaucoup souffert des retombées indirectes de la guerre en Syrie. « Outre le fait que nos exportations de produits agricoles vers la Syrie se soient effondrées ces dernières années (NDLR : elles sont passées de 43 millions de dollars en 2012 à 32 millions de dollars en 2014) nous devons composer avec les agriculteurs syriens qui cherchent à écouler leurs marchandises au Liban. Nous parlons ici de près d'un million de tonnes de fruits et de légumes au moins qui cherchent à inonder le marché local cette année et poussent les agriculteurs libanais à baisser leur prix de moitié, si ce n'est plus », développe Ibrahim Tahchichi. « Cette tendance est renforcée par la dévaluation de la monnaie syrienne combinée à la compétitivité des coûts de production dans ce pays par rapport à ceux en vigueur au Liban. Elle s'est renforcée cette année en marge de la dégradation de la situation sécuritaire dans la région », complète le directeur du département agricole de la Chambre de commerce et d'industrie de Zahlé, Saïd Gédéon.

La crise syrienne a également eu un impact indirect sur la main-d'œuvre agricole en provenance de ce pays. Cette dernière, qui compose habituellement plus de 80 % des emplois de ce secteur, a diminué de moitié suite à la décision prise par la Sûreté générale en janvier de durcir les conditions d'entrée et de séjour des ressortissants pour tenter de limiter l'afflux de réfugiés. « Ce facteur a provoqué une hausse des coûts de production de près de 15 % », souligne Saïd Gédéon. Un impact qu'Antoine Hoyek préfère minimiser en affirmant que « seules les grandes exploitations de plus de 20 hectares sont affectées par ce phénomène ». Toutefois, si ces dernières représentent moins de 1 % des près de 170 000 exploitations que comptent le secteur, elles occupent plus de 22 % des terres agraires au Liban.

Cas par cas
Si tous les agriculteurs ont bien été touchés par ces évènements, l'estimation des conséquences des différentes contraintes qu'a dû subir l'agriculture libanaise ne peut se faire qu'au cas par cas. « Toute la production locale a certes été affectée, mais certaines récoltes ont été plus touchées que d'autres, en fonction des évènements », explique encore Saïd Gédéon. « La vague de froid qui a accompagné, début janvier, la grande dépression atmosphérique baptisée "Zina" a par exemple détruit une grande partie de la production de bananes, qui sont essentiellement produites dans le sud du pays », rebondit de son côté Antoine Hoyek. « Même topo pour la vague de chaleur estivale qui a avancé la saison des récoltes de raisin d'un mois, affectant surtout les producteurs du Liban-Nord et de la Békaa », poursuit-il, sans pouvoir encore communiquer de données précises sur le montant des pertes.

Enfin la crise des exportations, provoquée par la fermeture du poste-frontière syro-libanais de Nassib reliant le Liban au reste du Moyen-Orient, a eu des conséquences dramatiques pour de nombreux agriculteurs. Depuis le mois d'avril, les exportateurs libanais n'ont en effet d'autre choix que d'expédier les produits agricoles libanais à destination des pays du Golfe par voie maritime, un procédé plus cher de 25 % environ. Après quatre mois d'études et d'hésitations, le gouvernement libanais a adopté en juillet un plan de subventions de 14 millions de dollars qui est actuellement mis en place par l'autorité de développement des investissements (Idal). Un délai que certains agriculteurs ont payé plein pot. « Les agriculteurs du Akkar ont par exemple perdu près de 100 000 tonnes de pommes de terre, pendant les quatre mois pendant lesquels le gouvernement a tenté de trouver une solution à cette crise », illustre Antoine Hoyek. « Les récoltes d'agrumes ont également accusé des pertes de l'ordre de presque 50 % » résonne une source à la Chambre de commerce de Tyr. « Dans la Békaa, ce sont surtout les laitues qui ont pâti de la lenteur de l'action du gouvernement », surenchérit Ibrahim Tahchichi.
Si de nombreux agriculteurs espèrent désormais rattraper une partie de leur manque à gagner dans les trois prochains mois, certains d'entre eux devront patienter jusqu'à l'année prochaine. « La saison est finie pour les producteurs de fruits, notamment ceux qui ont déjà cueilli l'intégralité de leur récolte. Les producteurs de légumes ont pour leur part encore un peu de marge, mais rien ne garantit qu'ils ne seront pas obligés de vendre à perte », conclut Saïd Gédéon.

 

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