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Culture - Beirut Holidays

Quand Mashrou’Leila fait pop

Le groupe indie a clôturé hier soir le festival Beirut Holidays. Confidences de musiciens qui changent et qui s'assument à tous les points de vue. Avant d'aller déverser une joyeuse cacophonie devant près de 4 000 spectateurs.

« Mashrou'Leila » chauffe la salle et cette dernière répond en hurlant les paroles.

« Impossible de répéter dans ces conditions ! », s'exclame le guitariste Firas Abou Fakher. À quelques minutes d'intervalle, le Biel s'est éteint à deux reprises. En attendant que l'électricité revienne, le leader du groupe Hamed Sinno se confie.
Corruption, relations amoureuses et sexualité, le groupe sait trouver les mots justes et des formules à double sens pour parler à la jeunesse beyrouthine. À l'étranger comme au Liban, Mashrou' Leila est – au-delà de sa musique – devenu un porte-étendard gay, Hamed Sinno assumant ouvertement son homosexualité. Le chanteur a même fait la une du magazine français queer Têtu, en 2013. « Je n'ai aucun problème à en parler dans certains cas, mais lorsqu'un journaliste ne me questionne qu'à propos de ma sexualité, c'est offensant. Réduire huit ans de travail de cinq personnes à la vie intime de l'une d'elles, c'est quand même très étrange », s'étonne encore le leader de Mashrou'Leila. « Je suis un musicien avant tout, c'est mon point d'entrée au monde. Avant d'être gay. Mais avoir choisi de sortir du placard reste quelque chose de très positif. Le fait qu'il n'existe pas de figures publiques qui s'assumaient m'a manqué quand j'ai grandi », note Hamed.

 

Mélodies, mails et Skype
2015 est l'année d'un nouveau départ pour le groupe. Deux ans auront été nécessaires pour écrire l'album qui succédera à Raasuk. Le violoniste Haig Papazian vivant à Londres, le bassiste Ibrahim Badr habitant à Zurich, les cinq musiciens qui composent Mashrou' Leila sont habitués à travailler à distance et à s'envoyer des idées de mélodies par mail. « L'absence de Haig et Ibrahim nous a poussés à faire des maquettes plus électro, avec davantage de synthés », précise Carl Gergès, le batteur du groupe. « Nous avons énormément travaillé sur ces chansons, les arrangements sont différents des albums précédents. Il y a davantage de percussions et de trompettes. Nous avons même enregistré une symphonie via Skype avec la Macédoine », s'enorgueillit le musicien.
Les cinq hommes ont tout de même éprouvé le besoin de se retrouver tous les cinq ou six mois, isolés à Beyrouth, pendant deux ou trois semaines consécutives, pour écrire tous ensemble. C'est cette technique qu'ils ont employée pour accoucher de ce nouvel opus. Enregistré en banlieue parisienne à La Frette-sur-Seine, en juin dernier, ce quatrième album est le plus pop. Les cinq musiciens ont été épaulés par le producteur franco-libanais Samy Osta, qui a notamment travaillé avec les groupes La Femme et Rover. « On s'ennuie très rapidement lorsqu'on se répète. Il fallait créer quelque chose de vraiment nouveau, pour avoir encore la pression et se dépasser », répète à plusieurs reprises Carl.

 

 

 

 

Un OVI colonisateur
Le premier single 3 minutes, issu du futur album, a troublé, parfois même déçu, certains fans de la première heure. « C'est intentionnel que nos chansons bousculent, au début, ceux qui nous connaissent », souligne le chanteur Hamed Sinno. Résolument plus pop que les précédents titres, l'on pourrait croire qu'il s'agit là d'un OVI (objet volontairement imaginé) pour coloniser les bandes FM du monde entier. « Nous n'avons jamais prétendu ne pas être un groupe pop. Ou même d'être underground. Avoir un public plus nombreux et rester indépendants c'est tout a fait possible et même compatible », se défend le chanteur, en citant des exemples qui vont de Michael Jackson à Tina Turner, en passant par Fleetwood Mac et Laurie Anderson. « Cela dit, notre regard critique envers l'industrie de la musique pop du Moyen-Orient tient toujours. »
Avec une mélodie simple et entraînante, ce tube en puissance qu'est 3 minutes contient pourtant une nouvelle déclaration d'indépendance du groupe. Tant à l'égard des majors du disque qu'à son public. Mashrou' Leila veut garder sa liberté de ton quoi qu'il arrive. « Dites-moi qui je dois être, laissez la monnaie sur la table de chevet, épinglez vos fantasmes à ma cheville », dit la chanson qui fait près de cinq minutes. Autant dire qu'elle n'est pas si calibrée que cela pour la radio...
En 2014, une marque d'alcool a proposé au groupe d'assumer une partie du coût de la création de ce quatrième opus. Cela pourrait paraître incongru, mais le groupe libanais a accepté l'offre. « Nous formons une entité indépendante à Beyrouth, pas à Paris où certains fonds publics sont distribués. Si tu veux faire un album ici, tu as besoin d'argent », avoue, mi-cynique, mi-amer, le pragmatique Hamed Sinno. « Mais cette marque travaille aussi avec des artistes qu'on admire, comme Woodkid ou d'autres designers passionnants. La marque en question ne nous a absolument pas influencés, nous avons créé en toute liberté », affirme le chanteur, balayant les critiques d'un revers de main. Pour l'instant, le nom de leur quatrième album n'est pas encore dévoilé, ils sont en plein fignolage de la production et du mixage des chansons. Il devrait être disponible au mois de novembre.

« Taxi » a toute allure
Mashrou' Leila est désormais populaire dans plusieurs régions du monde. De l'Amérique du Nord à l'Europe, du Moyen-Orient au Maghreb, plus de 300 000 personnes soutiennent le groupe sur les réseaux sociaux. « On est un peu d'éternels insatisfaits, mais on aimerait conquérir d'autres espaces à l'étranger pour mettre en avant toute la beauté de la langue arabe », s'enthousiaste le chanteur.
Karim Ghattas, le manager du groupe, couve ses poulains comme le ferait un moniteur de colonie. Il contrôle leur image au millimètre près. Quitte à leur répéter, inlassablement, que fumer est mauvais ou leur rappeler de ne pas faire de blagues salaces devant les caméras. Quelques minutes avant de monter sur scène, les musiciens se tancent mutuellement. Une joyeuse cacophonie à laquelle assiste aussi Omaya Malaeb, ancienne du groupe.
Après avoir chauffé la salle avec Ala Babu et Bahr, place à la mélancolique Imm El Jacket entonnée par les 4 000 spectateurs présents au Biel ce soir-là. Avec Skandar Maalouf, Hamed Sinno fait glisser sa voix vers des aigus impossibles à tenir, mais qu'il gère telle une promenade de santé. Les épiques et tourmentées Lil Watan et Raasuk – qui s'emballent progressivement jusqu'à l'explosion – leur permettent de toucher du doigt la machine de guerre qu'est Arcade Fire sur scène. Ils se paient même le luxe de reprendre et de transformer à leurs guises des « désormais classiques de la pop ». Toxic de Britney Spears et Get Lucky de Daft Punk à la sauce Mashrou' Leila débordent de sensualité. À l'image d'un taxi qui fonce à toute allure dans un Beyrouth ensommeillé, Taxi termine en beauté un show qui laisse augurer que Mashrou'Leila ne s'arrêtera plus sur sa lancée.

 

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