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Lifestyle - La mode

L’espadrille, ce lumineux objet du désir

Elle date du XIVe siècle, mais tout se passe comme si on venait de la découvrir. L'espadrille, d'origine grecque et dont le nom est dérivé de « spartiate », est produite depuis des lustres au sud de l'Europe. Chaussure du pauvre et en tout cas chaussure d'un seul été, l'espadrille, en 2015, s'est « gentryfiée ». Adoptée par les marques de luxe, elle se décline désormais en objet du désir.

Lauren Bacall en espadrilles dans les années 50.

Son prix dérisoire, sa fragilité, sa fâcheuse tendance à se décomposer dans l'eau et se trouer au niveau du gros orteil ont longtemps fait de l'espadrille une chaussure de loser. À cette image peu reluisante s'ajoute ce côté vernaculaire, folklorique et régionaliste entretenu par les Catalans et les Valenciens qui, au XVIIe siècle, s'interdisaient de vendre leur chaussure nationale aux étrangers, précisément aux Arabes et aux juifs, et surtout de leur en montrer les secrets de fabrication.
Les temps modernes tournent peu à peu le dos aux symboles de régression et de repli. L'espadrille en fait partie, mais elle n'est pas boudée par tout le monde, car chaque époque a aussi ses lanceurs de tendances. Dans les années 30 du siècle dernier, on la retrouve aux pieds d'Anna de Noailles, en villégiature à Hyères, sur la Méditerranée. Gabrielle Chanel, en vacances à Biarritz, l'assortit à un pantalon court et une marinière. Une deuxième Grande Guerre plus tard, dans les années 50, elle fait partie de la panoplie des stars de la Riviera française, les Picasso, les Cocteau, Dali, Ava Gardner ou Grace Kelly et plus tard des bandes à Sagan ou Bardot. C'est l'époque d'un nouveau grand retour à la nature, consolidé dans les années 70 par le premier choc pétrolier. Recyclant les tendances de l'entre-deux guerres, les roaring seventies raffolent de matériaux naturels, chanvre des espadrilles et bois des sabots.
La suite de l'épopée est moins glorieuse et les décennies suivantes, se voulant plus sophistiquées et bling-bling, enterrent l'espadrille pour un temps. Durant toute cette dernière période, le marché est inondé d'espadrilles de bazar fabriquées notamment au Bangladesh, grand exportateur de jute, et en Chine, géant exportateur de tout. Elles sont vendues dans les grandes surfaces à des prix dérisoires et incarnent à nouveau la tatane de l'ouvrier et du miséreux, noire les jours de semaine, blanche le dimanche.

Nouveau produit de luxe
Or, en mode en tout cas, ce qui vaut pour une époque peut encore avoir sa chance à une autre. Depuis 2010, avec une poussée de fièvre en 2015, le luxe s'intéresse de près à l'espadrille, de fabrication artisanale s'entend et cousue main, française ou espagnole de préférence. Cet été, pas une grande marque qui n'ait proposé sa version, sans espadrille on est définitivement en reste.
Chez Christian Louboutin où culminent les stilettos, la semelle de jute triomphe, laquée de rouge. On est bien loin du modèle populaire, à 395 euros l'espadrille cloutée de Saint Laurent, 420 euros le modèle Céline en poulain turquoise, ou celui en denim de Louis Vuitton, 255 euros la paire en brocart de Dolce & Gabbana, 590 euros la version brodée de Dior, ou encore 690 euros celle de Prada, en python, ornée d'un petit nœud.
L'homme n'est pas en reste, et le modèle Ralph Lauren en crocodile, « fabriqué en Espagne et cousu main », culmine à 2 100 dollars. Gucci annonce des « matières made in Italy » et des « chaussures réalisées en Espagne », Fendi appose un made in Italy tout comme Valentino, et Saint Laurent précise « pays de fabrication : Espagne ». Une aubaine pour les fabricants traditionnels qui ont survécu contre vents et marées aux vagues successives d'amour et de désamour. La marque Espasoule, à Mauléon, au Pays basque, reprend des couleurs et élargit sa gamme, de même que Prodiso qui fournit des griffes connues.
N'en déplaise aux Nuls qui les raillaient dans les années 80, en espadrilles, on n'a plus « l'air d'un con ».

 

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