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On embarque !

Si la crise des déchets a eu un singulier mérite, rien qu'un seul, c'est de nous avoir ouvert les yeux – et surtout les narines – sur l'ampleur de cette fange politico-morale dans laquelle patauge désespérément notre pays.


Que notre élite dirigeante ne brille guère par sa netteté, on ne le savait que trop. Après tout, le Liban n'est pas le seul pays où politique et affaires font bon ménage ; mais sans doute est-il le seul où la religion, dans la plus extrême de ses déclinaisons, c'est-à-dire le sectarisme, se met aussi de la partie. Les ordures, nul n'en ignore désormais, c'était bien une question d'argent : un monopole accordé, deux décennies durant, à la société Sukleen. Solidement pistonnée naguère, celle-ci est accusée aujourd'hui d'avoir outrageusement tarifé ses prestations et de n'avoir que sommairement honoré ses engagements en matière de triage et de recyclage des détritus.


Pour ne rien changer, les ordures restent invariablement une question de gros sous. Cela pourrait paraître quasiment normal, à ces deux nuances près. En premier lieu, c'est le même traitement de faveur qu'escomptent de l'État les entreprises candidates à la succession et qui ne manquent pas, elles non plus, de puissants protecteurs : si racket il y avait, on ne ferait donc que le remplacer par un autre. Et surtout, on ne laisse pas disparaître un service de voirie – tout imparfait, tout mafieux qu'il puisse être, à en croire ses détracteurs – avant d'avoir mis en place une quelconque relève. Perpétrée à dessein, à seule fin d'accroître la pression et de faire s'envoler les enchères, une telle omission équivaudrait déjà à un crime. Non moins condamnable serait cependant le crime, s'il n'était que le résultat d'une somme incroyable d'inconscience, de laxisme, de négligence, de carence...


C'est une bien fragile, et finalement trompeuse, image d'union nationale qu'aura offerte la révolte des citoyens contre la déferlante de détritus. On tempête, d'accord, mais c'est chacun pour soi, ont en effet décrété les conseils municipaux qui, avec un bel ensemble, répugnent à accueillir sur leurs terres les déchets d'autrui. Rien là, en somme, qu'un remake, aromatisé à la fragrance de pourriture, de ce projet de loi électorale dit orthodoxe, en vertu duquel chaque communauté était censée élire ses propres représentants à l'Assemblée. Finie la république poubelle, voici venir le temps de la confédération des dépotoirs...


À l'heure où fleurissent sur tout le territoire, et même parfois dans les cimetières, les décharges sauvages, c'est à la recherche de simples palliatifs, de solutions provisoires, que s'attellent les responsables. De tous les bricolages envisagés, le moins farfelu est paradoxalement le projet d'exportation des ordures locales. Aussi incroyable que cela puisse paraître au profane, il est en effet des pays propres, policés, qui, pour commencer, produisent peu de déchets : si peu, en fait, qu'ils sont tenus d'en importer pour alimenter, dans les normes de sécurité écologique les plus strictes, leurs usines de compostage et incinérateurs producteurs d'énergie électrique.


Mais ne battez pas des mains trop vite. Nos mêmes détritus doivent nécessairement être triés, et parfois même traités, avant d'obtenir un visa suédois, norvégien ou allemand. Pire encore, les navires-poubelles ne sont pas équipés de cabines pour loger tous ces incapables qu'on voudrait bien expédier eux aussi, eux surtout, ailleurs.

igor@lorient-lejour.com.lb

Si la crise des déchets a eu un singulier mérite, rien qu'un seul, c'est de nous avoir ouvert les yeux – et surtout les narines – sur l'ampleur de cette fange politico-morale dans laquelle patauge désespérément notre pays.
Que notre élite dirigeante ne brille guère par sa netteté, on ne le savait que trop. Après tout, le Liban n'est pas le seul pays où politique et affaires font...