L'Iran est-il sorti victorieux du bras de fer avec le Grand Satan ? Certains se sont empressés de le proclamer. Le peuple de Téhéran n'a-t-il pas bruyamment manifesté sa liesse à la signature de l'accord de Vienne sur le nucléaire, une liesse qui contrasta curieusement avec le calme qui a régné dans la banlieue sud, pourtant si prompte à manifester ses joies ou ses colères ?
D'autres vont plus loin en affirmant que la collaboration sera plus étroite qu'on ne peut imaginer entre les cercles dirigeants de Washington et ceux de la wilayat el-faqih, et que le régime des ayatollahs jouera incessamment le rôle de gendarme dans la guerre protéiforme qui se déroule, sur plus d'un terrain, contre l'islamisme radical sunnite, de Daech soit-il ou d'al-Nosra. Un organe de presse n'a-t-il pas titré que les USA ont accordé à l'Iran un pouvoir tutélaire sur le Moyen-Orient arabe ? Entre-temps, les Américains s'emploient à rassurer leurs alliés de toujours, Israël comme les dynasties du Golfe, en leur expliquant qu'ils devraient se féliciter tant les ambitions nucléaires ont été contenues. Pour dix ans, au moins...
Qui a gagné, qui a perdu ? On ne sait pas, on ne sait plus ! Les avis des experts stratégiques divergent. Et pour ne pas courir le risque de se tromper dans leurs pronostics, certains commentateurs restent prudents, égrènent le pour et le contre et évitent les jugements péremptoires auxquels se livrent d'autres plus enthousiastes.
C'est qu'on a oublié combien le peuple iranien est un peuple fier*, combien l'arrogance américaine l'a mortifié, et combien cet accord, obtenu à l'arraché, l'a humilié malgré les efforts cosmétiques pour présenter l'aboutissement des négociations comme un succès indéniable de la politique des ayatollahs. Le brinkmanship, cette stratégie de la corde raide, cette politique du bord du gouffre, nous dit-on, a porté ses fruits... Et on nous ressort invariablement la fable qui souligne la mentalité du Persan (si différente de celle de l'Arabe), qui tisse son tapis pendant des années et qui le vend en un instant, c'est-à-dire au moment propice.
Un succès éclatant de la diplomatie iranienne ? Certes, mais cela implique-t-il que l'Iran soit sorti triomphant de plusieurs décades de sourde belligérance avec les Moustakbirin ? Quand un pays s'en remet aux négociateurs pour régler un problème, c'est qu'il n'est plus en mesure de tenir ses positions avancées, et qu'en somme il a pris la mesure de son incapacité à poursuivre la lutte avec ses adversaires. Mieux vaut limiter les dégâts quand la lutte s'avère inégale. L'Union soviétique l'avait compris avec Gorbatchev et tout un pan de l'idéologie marxiste allait s'écrouler entraînant avec lui le démantèlement de l'empire soviétique.
En somme, une victoire de la flexibilité et du réalisme et une renonciation à l'idéologie de la récalcitrance, cette fameuse moumana'a qui avait trouvé dans le Venezuela de Chavez et de son successeur un allié de choix, quoique pathétique. Cette « récalcitrance » n'a pas dit son dernier mot, et le lendemain de la signature, le journal Kayhan, proche du guide suprême Khamenei, a clairement exprimé ses réserves, en l'espèce.
Oui bien sûr, l'Iran va désormais pouvoir récupérer ses avoirs gelés et vendre son hydrocarbure sans entrave. C'est ainsi que sont récompensés les gosses turbulents qui s'assagissent. Téhéran disposera de plus de moyens financiers, mais les descendants de Darius le Grand vont-ils s'en servir pour appuyer des causes insensées et des régimes à bout de souffle ?
Notre question n'est pas là, alors rappelons-nous plutôt qu'Anouar el-Sadate a été assassiné pour s'être rendu à Jérusalem et pour avoir signé les accords de Camp David, et que Yitzhak Rabin a connu le même sort dans sa quête de la paix avec les Palestiniens. En cherchant à sortir de l'ornière, le président Rohani et le ministre Zarif ont pris de gros risques. Politiquement, ils ne vivraient qu'en sursis, si, au moindre accroc, les sanctions n'étaient pas levées comme prévu. Imaginez la situation : des experts internationaux vont désormais pouvoir vérifier in situ l'avancement des travaux, la destruction des centrifugeuses dans lesquels le pays a tant investi financièrement et affectivement. La souveraineté nationale va en prendre un coup**.
L'Arabie saoudite, les principautés du Golfe et les tribuns du 14 Mars qui considèrent que l'accord a été signé à leur détriment doivent faire preuve d'un peu de patience. Le nationalisme iranien ne laissera pas faire. Autrement dit, l'accord porté aux nues par les groupies de Téhéran, parce qu'il est censé améliorer leur ordinaire quotidien, porte en lui-même les germes de discorde civile et de sa propre résiliation.
Youssef MOUAWAD
* C'est dans cet état d'esprit que le ministre des Affaires étrangères Mohammad Jawad Zarif jeta à la face de John Kerry l'avertissement suivant : « Attention ! Ne menacez jamais un Iranien ! »
** Rappelons que tout au long des négociations, le leitmotiv iranien était le suivant : « C'est indigne que la communauté des nations ait imposé des sanctions à l'Iran, un pays dont la civilisation est historique. » D'où la réponse de Kerry : « Vous n'êtes pas le seul pays à avoir de la fierté. »
commentaires (7)
Qu'ils sont bêtes,.... ces fakihistes !
ANTOINE-SERGE KARAMAOUN
20 h 08, le 31 juillet 2015