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Culture - Initiative

À l’écoute des maisons abandonnées de Beyrouth

Après trois mois passés en résidence dans le cadre du programme Art & Archives, l'artiste allemande Therese Schuleit a présenté son projet « Stray Dogs » dans les locaux de la Fondation arabe pour l'image à Gemmayzé.

Certains ne cachaient pas leur étonnement : aucun chien errant dans la salle où Therese Schuleit présentait son projet Stray Dogs à la FAI (Fondation arabe pour l'image). Mais plutôt une table de mixage, des enceintes et des cassettes d'enregistrement audio vierges et intactes récupérées par l'artiste à la collection de Studio Baalbeck.
Originaire de Cologne, Therese Schuleit est une spécialiste de l'urbanisme et de l'art audio. Elle s'intéresse tout particulièrement à l'articulation du son dans l'espace, et est donc persuadée que des endroits, des pièces et des événements peuvent être éternisés, outre via l'image, par l'enregistrement audio. Après trois mois de résidence à Beyrouth au sein du programme Art & Archives, elle a ouvert les portes de cette nouvelle perspective et a conquis, par sa simplicité et sa passion, une assistance composée aussi bien d'amateurs que d'artistes.
Récit de l'expérience libanaise d'une artiste allemande : on lui apprend d'abord que « la guerre n'est pas finie », et qu'ici, « il ne faut pas parler de religion, mais de sectarisme ». Elle essaye donc de trouver les sons de la « guerre en cours », mais seuls les bruits des voitures, des cloches du dimanche et de l'appel du muezzin répondent présent. En revanche, c'est le nombre incalculable de maisons inhabitées dans la capitale qui frappe l'artiste. « Je n'avais pas prévu d'axer mon travail sur les maisons vides, parce qu'il y en a tellement, elles sont si évidentes que j'essayais d'en faire abstraction. Jusqu'à ce que, tentée de pénétrer dans l'une d'elles, un homme, sur un ton parfaitement naturel, m'explique que cela est impossible car "c'est privé" ! ». Schuleit comprend alors que toutes ces « maisons abandonnées » qu'elle ignorait volontairement avaient, en fait, des propriétaires, ainsi qu'un rôle à jouer dans la mémoire de cette ville marquée par la guerre.
Therese Schuleit a donc utilisé le matériel mis à sa disposition pour faire vivre l'expérience à un public perplexe. En diffusant les fréquences de la salle, elle prouve que le silence témoigne lui aussi d'une présence et d'une histoire.
Dans la même veine, les cassettes délaissées par Studio Baalbeck, vierges et encore emballées, lui permettront de faire perdurer le souvenir sonore de nombreuses pièces. Des pièces laissées à l'abandon, qui, comme des chiens errants, ont brisé le lien avec leur supposé maître.
Toutefois le travail de Therese Schuleit, c'est aussi purement et simplement... son art. Quand l'auditoire lui demande quel sens donner aux enregistrements, s'il s'agit de poésie ou d'un message à communiquer, l'artiste répond par la positive, et ajoute : « Si vous voulez ». En réalité, le principal message qu'elle communique ici serait que l'art se suffit à lui-même. Il ne nécessite pas d'explication rationnelle, mais simplement d'être à l'écoute, d'avoir des sentiments et, ainsi, d'éterniser l'histoire.

 

Cologne et Beyrouth : mémoires partagées

Art & Archives est un programme de résidence artistique entre les villes de Cologne en Allemagne et de Beyrouth. Initié par l'écrivain polonais Stanlislaw Strasburger, ce projet voit le jour en 2012, lorsqu'il acquiert son premier partenaire, le Centre de documentation et d'archives Umam, rejoint plus tard par la Fondation arabe pour l'image (riche de 600 000 images). Du côté allemand, c'est le Centre de documentation sur le nazisme de la ville de Cologne qui ouvre ses portes à un artiste libanais pendant 3 mois chaque année et met à disposition ses archives sur les victimes du régime nazi. Deux des artistes répondant à l'appel à candidature sont sélectionnés chaque année par le pays partenaire et ont ainsi l'opportunité de rechercher et créer, sur la base de la collection d'archives proposées par les centres. Pour Monika Borgman, cofondatrice d'Umam, il s'agit de remettre la mémoire et les archives au cœur du débat public. « J'ai le sentiment que dans cette région du monde, on ne connaît pas assez le nazisme. Le projet est une façon de ramener ce passé allemand au Liban », pour en tirer des leçons. L'Allemande résidant à Beyrouth déplore le manque d'informations sur cette sombre partie de l'histoire : « Le seul livre que l'on trouve sur cette période à la foire du livre du Biel, c'est Mein Kampf de Hitler ! »
Reem Akl, première résidente libanaise à Cologne en 2012, ajoute que si les artistes libanais qui ont recours à des archives, pour la réalisation de films notamment, savent que ces documents pourraient être remis en cause, les institutions allemandes, bien instaurées, ouvrent pour leur part leurs portes sur les divers horizons artistiques. Aussi, la mise en dialogue de ces deux villes au passé difficile a-t-elle beaucoup à offrir, aussi bien artistiquement que politiquement, comme le prévoyaient les créateurs du programme.
Aujourd'hui, Art & Archives, son initiateur et ses collaborateurs peuvent se féliciter d'un premier jalon, la signature d'un partenariat culturel entre Beyrouth et Cologne, conclu en avril 2015.

Certains ne cachaient pas leur étonnement : aucun chien errant dans la salle où Therese Schuleit présentait son projet Stray Dogs à la FAI (Fondation arabe pour l'image). Mais plutôt une table de mixage, des enceintes et des cassettes d'enregistrement audio vierges et intactes récupérées par l'artiste à la collection de Studio Baalbeck.Originaire de Cologne, Therese Schuleit est une...

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