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Liban - La psychanalyse, ni ange ni démon

De la théorie de la séduction à la théorie du fantasme

Le passage de la « Théorie de la séduction » à la « Théorie du fantasme » annonce la naissance de la psychanalyse comme théorie du sujet, théorie à part dans le domaine des sciences humaines. Cependant, le passage d'une théorie à l'autre n'est pas d'ordre épistémologique seulement, où une théorie remplacerait une autre devenue obsolète ou périmée, la théorie de la séduction a servi à Freud comme théorie résistance contre l'émergence de la théorie du fantasme.

Entre 1895 et 1897, toujours pris dans son amour de transfert avec Fliess, Freud avait mis le doigt sur quelque chose de fondamental mais pas suffisant, la sexualité comme cause des symptômes névrotiques. Avec Breuer, comme on l'a vu dans les articles précédents, Freud avait saisi qu'à la base des symptômes hystériques, il existait un traumatisme dans l'enfance. Mais contrairement à Breuer, Freud réussit à montrer que ce traumatisme était d'ordre sexuel, les symptômes hystériques avaient pour cause un abus sexuel, généralement dans l'enfance.
La découverte était de taille pour que Freud y reste attaché pendant un certain temps. Le fait que Breuer rejetait la causalité sexuelle des symptômes confirmait Freud dans sa théorie. Par ailleurs, cette théorie dénonçait les abus sexuels que subissaient les personnes faibles : les enfants et les femmes. Comme le dit Élisabeth Roudinesco, « cette violence morale et physique se trouve au cœur de la relation entre victime et bourreau, dominant dominé, maître et esclave ».

Du coup, la théorie de la séduction avait pour Freud une connotation subversive, voire révolutionnaire. Chez les personnes abusées, le souvenir de ces abus était si douloureux que le mécanisme du refoulement permettait de les oublier. Et le retour du refoulé ramenait ses traumatismes à travers les symptômes.
La théorie de la séduction faisait des patients des victimes et des abuseurs des bourreaux. Elle convenait subjectivement à Freud parce qu'elle faisait de lui-même une victime d'abus et, surtout, cette théorie faisait de son père un abuseur.

Progressivement, Freud s'est rendu compte que tous les pères ne pouvaient pas être des pervers, des violeurs, et « pourtant les femmes hystériques qui se plaignaient d'être victimes de séduction ne mentaient pas quand elles le disaient ». Comment comprendre cela?
La question de la trace laissée dans la mémoire par le trauma subi devenait difficile à expliquer.
Ses propres rêves, analysés dans sa relation transférentielle avec Fliess, mettaient en jeu son propre désir d'être aimé par ce dernier. De même son désir de séduire sa mère et d'être aimé par elle cadrait avec l'universalité du mythe d'Œdipe. Tout cela permit à Freud de faire un pas gigantesque : la scène de séduction n'a pas eu lieu telle quelle dans la réalité racontée par la patiente hystérique. Le souvenir qui reste dans la mémoire est un souvenir remanié. Ce n'est pas le père de l'hystérique qui a cherché à la séduire, c'est la petite fille, future hystérique, qui a voulu séduire son père dans le fantasme.

Désirer son père relève d'un tabou, le tabou de l'inceste, alors que se laisser désirer par son père, tout en relevant du même tabou, est plus facile à admettre. J'ai désiré mon père parce qu'il m'a désirée, j'étais passive, soumise, victime. Il ma obligée. La trace mnésique est renversée, je sujet actif de son désir devient passif, répondant à la séduction de l'autre. Le fantasme, désirer son père ou sa mère, est refoulé dans l'inconscient, et dans le conscient reste la conviction d'avoir été séduite. La nouvelle réalité découverte, la réalité du fantasme est d'un réel différent de la réalité extérieure. Freud l'appellera « Réalité psychique » pour la distinguer de la réalité extérieure. Ce que Freud venait de découvrir, à savoir qu'il est le sujet de son propre désir et non pas seulement objet du désir de l'Autre, sera le chemin à faire pour tout analysant. Il faut remarquer que la théorie du fantasme n'exclut pas qu'il y ait eu des abus de toute sorte.

Cette réalité psychique sera l'objet de conquête de chaque analysant. Chaque patient qui vient à l'analyse se perçoit comme victime, de son père, sa mère, ses frères et sœurs, ses amis, ses collègues. Il vient à l'analyse comme un objet subissant le désir de l'Autre. Et il termine l'analyse comme un sujet qui a, dans l'analyse, coécrit son histoire. D'un objet qui a été trop aimé, mal aimé, haï, persécuté, dédaigné, il devient sujet de son histoire, en la coécrivant dans la cure. Cette coécriture de son histoire dans l'analyse donne au sujet sa dimension véridique de sujet. Sa position antérieure, être l'objet du désir de l'Autre, lui apparaît maintenant comme une position défensive. Une position défensive contre l'émergence de son désir de sujet. Dire l'Autre veut qu'on s'y soumette ou qu'on se révolte est beaucoup plus facile à assumer pour un être humain. L'analyse permet ce passage vers la liberté. « Là où le ça était, le je doit advenir », disait Freud à ce propos.

 

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