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Moyen Orient et Monde - Afghanistan

Quel avenir pour les pourparlers de paix après la mort du mollah Omar ?

À présent officielle, la mort il y a deux ans du chef taliban met en lumière la question de sa succession.

Les photos exposant la vraie face du mollah Omar, comme celle-ci, sont rares. Photo AFP

Les services de renseignements afghans ont annoncé hier soir la mort, il y a deux ans pourtant, du chef suprême des talibans afghans, le mollah Omar, disparu depuis 2001 et dont le sort est resté stratégiquement dissimulé pendant plusieurs années. La nouvelle avait d'abord été rapportée par la BBC et certains journaux pakistanais, attribuée à des dirigeants afghans et pakistanais anonymes. Un timing tout sauf anodin : c'est demain vendredi que se tiendra le deuxième round de négociations entre les talibans et le gouvernement afghan près d'Islamabad. L'enquête, lancée hier après-midi suite à la frénésie médiatique s'acharnant sur l'état du leader spirituel, a permis à Kaboul de confirmer, quelques heures plus tard, que le mollah Omar a bel et bien été retrouvé mort en avril 2013 dans un hôpital de Karachi, au sud du Pakistan.
Pourquoi les talibans ont voulu dissimuler la mort de leur leader spirituel pendant plus de deux ans ? Interrogé par L'Orient-Le Jour, Karim Pakzad, chercheur à l'Institut des relations internationales et stratégiques (Iris) et spécialiste de l'Afghanistan, n'a pas voulu se perdre en conjonctures, surtout que toutes les rumeurs allaient bon train. Sauf que certains médias ont jugé que la dissimulation de l'information a probablement été un moyen stratégique de cacher l'affaiblissement du mouvement auprès de ses détracteurs, et quelques observateurs vont même jusqu'à dire qu'il s'agit d'une réaction à la concurrence du groupe État islamique (EI).

Succession filiale ?
En attendant, la question que tout le monde se pose est de savoir qui sera désormais à la tête de l'état-major du mouvement islamiste afghan. Selon Karim Pakzad, « c'est le fils aîné du mollah Omar, Mohammad Yaacoub, qui prétend à la direction des talibans. Il est respecté par le mouvement de l'intérieur, qui reste très attaché à la question de l'appartenance familiale propre aux coutumes d'Asie centrale ». Sa nomination risque pourtant d'être éclipsée par celle de l'actuel numéro deux du mouvement, le mollah Mansour. Celui-ci a été ministre des talibans à Kaboul de 1996 à 2001, et « bénéficie aujourd'hui du soutien inconditionnel du Pakistan, qui voit en lui un leader plus facilement influençable », d'après M. Pakzad.
Qu'en est-il alors des négociations de paix avec le régime afghan ? Si Kaboul s'était habitué auparavant à craindre davantage la branche des talibans financée par des Pakistanais, celle-ci a été la seule à accepter de discuter officiellement avec le gouvernement afghan le 7 juillet 2015, à Muree, au Pakistan. « Si le mollah Mansour est choisi, ce sera encore mieux pour les relations afghano-pakistanaises », affirme M. Pakzad. « Même si le fils du mollah Omar qui prend la succession, les talibans ne modifieront pas leur politique et continueront les pourparlers. C'est seulement s'ils choisissent quelqu'un de beaucoup plus hostile aux négociations que nous serons face à un problème », ajoute-t-il.
Justement, les anciens cadres du mouvement, qui refusent les négociations, ne posent aucune menace significative vu qu'ils sont exilés au Qatar depuis 2001. D'autres, comme Abdul Qayyum Zakir, responsable militaire de la stratégie et partisan d'une poursuite des combats tant que Kaboul ne sera pas repris par les talibans, pourrait imposer son fanatisme et tuer dans l'œuf toute chance de processus de paix.

 

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Portrait
Discret, peut-être, mais infiniment terrifiant...

Le mystérieux mollah Omar, leader historique des talibans dont les autorités afghanes ont annoncé mercredi le décès, était un combattant d'origine modeste qui a dirigé l'un des régimes les plus rigoristes de l'histoire musulmane avant d'être chassé du pouvoir par l'Occident après les attentats du 11-Septembre. Le commandant taliban, reconnaissable sur de vieilles photos en noir et blanc à sa barbe charbonneuse, son turban et son œil crevé, s'était fait connaître de l'Occident en imposant sous son règne (1996-2001) un traitement brutal aux femmes, en détruisant les Bouddhas géants de Bamiyan et en interdisant musique et télévision. Le nom du chef taliban, appelé « commandeur des croyants » par ses fidèles, y est ensuite devenu synonyme de « terreur » pour avoir accueilli en Afghanistan Oussama Ben Laden, architecte des attentats de New York et de Washington et chef d'el-Qaëda, groupe aujourd'hui concurrencé au Moyen-Orient par l'organisation État islamique (EI).

Chassé du pouvoir à la fin 2001 par une coalition militaire dirigée par Washington, le discret mollah Omar s'est, selon des sources concordantes, replié au Pakistan voisin, entre Karachi (Sud) et Quetta (Sud-Ouest), où il est soupçonné d'avoir vécu sous l'étroite protection – ou contrôle – des services de renseignements locaux. Au cours des derniers mois, les rumeurs sur son décès s'étaient intensifiées dans les milieux jihadistes de la région, poussant de nombreux commandants à quitter les rangs des talibans pour soutenir ouvertement l'EI, nourrissant l'inquiétude des cadres talibans. Hier soir, le Directoire de la sécurité nationale (NDS, services de renseignements afghans) a annoncé la mort du chef taliban en avril 2013 dans un hôpital de Karachi, métropole pakistanaise de 20 millions d'habitants où les rebelles islamistes ont fait leur nid. Les talibans n'ont pas commenté cette annonce-choc.

Pour tenter de couper court à l'influence croissante de l'EI dans la région et aux rumeurs sur le décès du mollah Omar, les talibans avaient déjà publié en avril dernier une biographie surprise de leur chef. Bien qu' « il soit sans cesse traqué par l'ennemi, aucun changement et aucune perturbation n'ont été observés dans ses habitudes de travail », souligne ce texte dithyrambique qui présente le mollah Omar comme « supervisant » toujours les activités des talibans en lutte contre les forces étrangères et gouvernementales afghanes. Truffé d'anecdotes de combat, ce texte note ainsi que le RPG-7, un lance-grenades antichars de confection russe, est « l'arme préférée » du mollah Omar, dont les États-Unis promettaient jusqu'à dix millions de dollars pour des informations pouvant conduire à sa capture.

Contre les Soviétiques puis les Américains
Né en 1960 d'après cette biographie, Mohammad Omar a grandi à Kandahar (Sud-Ouest) dans une famille de paysans pauvres issue de la branche Ghilzai du peuple pachtoune, qui vit à cheval entre le sud de l'Afghanistan et le Pakistan. Il fréquente plus tard une célèbre école coranique au Pakistan, qu'il quittera pour se joindre à la lutte contre les troupes soviétiques qui ont envahi l'Afghanistan à partir de 1979. À cette époque, le mollah Omar n'est qu'un jeune combattant sans grade et sans diplôme en théologie, séjournant à Sangesar, un hameau perdu près de Kandahar. Au cours de ses combats contre les Soviétiques et le gouvernement afghan allié à Moscou, il est blessé quatre fois et perd l'usage de l'œil droit.

Au début des années 90, après le retrait des forces soviétiques, il devient le leader religieux du village et fédère de jeunes islamistes attirés par ses exploits guerriers, un groupe qui donnera naissance à un nouveau mouvement, les talibans, formés et soutenus par des officiers de l'armée pakistanaise. En 1994, ce jeune mouvement islamiste armé prend le contrôle de la province de Kandahar dans un pays qui a alors basculé dans la guerre civile. Deux ans plus tard, les talibans marchent sur Kaboul, exécutent le président Mohammad Najibullah et imposent leur fondamentalisme avant d'accueillir Ben Laden, expulsé du Soudan.
L'annonce du décès du mollah Omar devrait ouvrir une nouvelle page dans l'histoire des talibans qui devront à terme choisir un successeur à cette figure du jihad qui les unissait jusque-là.

 

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