Ce qui est frappant n'est pas tant l'affaire des poubelles en elle-même. Ce n'est naturellement ni la première ni la dernière fois que le Liban et les Libanais s'embourbent dans une crise ; qu'ils redécouvrent l'infinie vacuité de leurs institutions ; qu'ils ont l'opportunité de se souvenir à quel point la quasi-totalité de leurs leaders est vaine, veule et véreuse, à quel point l'amateurisme, l'incompétence et la corruption restent les critères maîtres pour celles et ceux en charge de la gestion publique. Ni la première ni la dernière fois qu'ils se réveillent avec ce sentiment bilieux d'avoir été royalement floués, encore et encore ; avec cette certitude de plus en plus insupportable d'être des citoyens de troisième zone, phagocytés par une république qu'ils savaient serpillière, qu'il savaient vampire, qu'ils savaient infanticide, mais qu'ils viennent de découvrir dépotoir. Ni la première ni la dernière fois qu'ils comprennent que des solutions, parfois, peuvent être plus graves que les problèmes ; qu'ils comprennent que pour faire une Suisse, il faut définitivement des Suisses.
Ce qui est frappant est bien plus les répercussions de cette crise des ordures sur nous, Libanais. Voilà bien des décennies, au moins, de longues, d'interminables décennies, qu'une telle unité ne s'était manifestée et vue parmi nous. Qu'un ras-le-bol aussi puissant n'avait fédéré à ce point, toutes proportions gardées bien sûr, les classes sociales, les religions, les sectes et les partisans des uns et des autres, eux surtout. Il y a quelque chose de troublant, de très joliment troublant, à voir et entendre ces pro-14 Mars hurler publiquement contre leurs chefs, ces aounistes avouer que leurs champions sont au changement et à la réforme ce que Kim Kardashian est à la tragédie shakespearienne, ces hezbollahis exprimer clairement, enfin, leur désaccord, et ces neutres, ces ni-ni, arrêter de se faire systématiquement les avocats de tous les diables. Quelque chose de troublant dans la véhémence que nous avons eue, nous Libanais, à nous en prendre cette fois, beaucoup plus qu'avant, à nous-mêmes.
Ce qui est frappant, comme souvent dans ce pays, est qu'on ne sait jamais quand et si on doit rire ou pleurer : cette union nationale, quasiment inédite et fascinante, d'aussi courte durée soit-elle, n'a su/pu se faire que dans la fange, dans les cloaques et dans les relents. Dans, surtout, une affligeante pestilence. Mais elle s'est faite. C'est déjà ça.
Ce qui est frappant, encore et toujours, est notre éblouissante capacité à faire comme on peut. Pas comme on veut.
Porcheries pleines de grâce
OLJ / Par Ziyad MAKHOUL, le 29 juillet 2015 à 02h22
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" Un ministre doit être insoupçonnable. Il ne faut pas qu'un homme détenant un pouvoir d'Etat, donc dépositaire de la confiance du peuple, trahisse cette confiance ou paraisse en être capable. Cette exigence va de soi, pour tout ce qui relève de l'intégrité, article essentiel du contrat de confiance entre l'élu et le peuple." Alain Peyrefitte dans "C'était de Gaulle" - 1997 t. II p. 96.-
Un Libanais
20 h 26, le 29 juillet 2015