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Liban - Déchets ménagers

Les ordures dans la rue, la contestation aussi

Après la fermeture de routes pour empêcher les camions transportant des ballots de déchets d'intégrer l'Iqlim el-Kharroub, ce sera au tour de la société civile de manifester encore une fois, aujourd'hui, devant le Grand Sérail.

Routes coupées aux pneus enflammés partout hier. Comme si la pollution des déchets ne suffisait pas !

Onze jours après la fermeture de la décharge de Naamé, le contexte était hier toujours aussi tendu que pollué, les coups de colère se multipliant dans diverses régions. De mystérieux jeunes hommes sur des motocyclettes, dont aucun n'a apparemment été arrêté par les autorités, s'employaient hier soir à lancer des sacs-poubelle dans plusieurs quartiers, tels que le centre-ville ou encore le domicile du Premier ministre Tammam Salam, à Beyrouth. À la rue Béchara el-Khoury, des manifestants ont éparpillé des sacs-poubelle au milieu de la chaussée et y ont mis le feu. Partout, un même spectacle était perceptible : des incendies dans les bennes, des routes coupées. Dans un quartier de Beyrouth, des voitures ont été brûlées et plusieurs cas d'asphyxie ont été recensés.
Un autre facteur est venu aggraver la situation : la fermeture de l'autoroute du Sud par les habitants de l'Iqlim el-Kharroub, qui refusent le transport des déchets de la capitale vers un dépotoir à Barja. Cette protestation a sonné le glas du ramassage des ordures dans la capitale durant la journée. En soirée, avec l'émergence d'informations sur une solution concoctée par la commission ministérielle au Grand Sérail, le ramassage des ordures a recommencé à Beyrouth.

Le sit-in des habitants de Barja dans l'Iqlim s'est poursuivi jusqu'à la fin de la matinée d'hier, et il ne s'est terminé qu'avec des garanties du ministre de l'Intérieur Nouhad Machnouk. Les discours se sont succédé, prononcés par le président de la municipalité Nachaat Hamiyé et par d'autres notables du village, réitérant le refus catégorique de servir de dépotoir pour d'autres. Des embouteillages monstres ont cloué sur les routes les automobilistes venus du Sud ou allant vers ces régions, durant toute la journée de dimanche ainsi que lundi matin. Par ailleurs, des accrochages entre les manifestants et les forces de l'ordre, lundi à l'aube, ont fait quatre blessés parmi les agents des Forces de sécurité intérieure (FSI). Un autre événement malheureux a entaché le sit-in : un jeune homme du nom de Younès Refaat Chama, originaire de Barja, a été tué accidentellement par son ami sur l'autoroute, alors qu'il transportait du sable et des pierres pour bloquer la route.


De jeunes hommes à moto jetant des sacs-poubelle en pleine rue au centre-ville hier. Photo Sako Bekarian

 

Dépotoirs sauvages
Entre-temps, dans les autres régions de la zone précédemment desservie par Sukleen (principalement le Mont-Liban), des dépotoirs sauvages font leur apparition çà et là dans les vallées. Dans certaines régions, les camions de Sukleen ont été vus vidant des poubelles. Une source de Sukleen nous indique que les camions de la compagnie procèdent au ramassage des ordures dans les municipalités qui assurent un site de décharge, à la demande de ces municipalités. Pour ce qui est de Beyrouth, les travaux de ramassage ont été interrompus depuis que la route vers la décharge de Barja a été fermée par le sit-in des habitants, « en attendant d'autres instructions », affirme cette source, qui confirme que la compagnie poursuit son travail « bien que son contrat n'ait pas été renouvelé ».

(Lire aussi : Samy Gemayel se déchaîne contre Sukleen et la caste politique)

 

La société civile en colère
Dans ce contexte, la société civile a poursuivi son mouvement de contestation face à la politique du gouvernement en matière de traitement des déchets. Des manifestants se trouvaient hier soir devant le Grand Sérail, avec des banderoles affichant des messages qui appellent à la démission du gouvernement. Un grand sit-in est prévu aujourd'hui, qu'une réunion du Conseil des ministres ait lieu ou pas, selon les organisateurs.
Ce mouvement a été annoncé lors d'une conférence de presse organisée au siège de l'association Terre-Liban à Baabda. Étaient présents, outre Paul Abi Rached, président de Terre-Liban et du Mouvement écologique libanais, Ajwad Ayache, représentant de la Campagne pour la fermeture de la décharge de Naamé, ainsi que d'autres militants comme Adnane Melki, Assaad Thebiane (de la campagne « Vous puez ! » ) et Bassel Abdallah. Tous ont insisté sur l'incapacité de ce gouvernement à traiter cet épineux dossier, soulignant la simplicité des solutions à envisager. Notons que l'association Green Line organise aussi une marche baptisée « Yes we can », au même endroit, aujourd'hui, en vue de faire parvenir deux sacs pour le tri au Grand Sérail, comme message écologique.

À L'Orient-Le Jour, Paul Abi Rached a dit craindre et s'attendre « au lancement d'un appel d'offres pour les incinérateurs ». Rappelons que la société civile dans son ensemble est hostile à l'adoption de l'incinération, une méthode jugée coûteuse et polluante, puisqu'elle peut dégager des gaz, tels que la dioxine, et laisser des résidus toxiques dont il est difficile de se débarrasser. « La construction d'un incinérateur, rappelons-le, nécessite une durée moyenne de cinq ans, poursuit Paul Abi Rached. Il nous faut donc agir maintenant. » Il ne croyait pas si bien dire : la solution des incinérateurs a été proposée dès hier soir lors de la réunion nocturne au Grand Sérail (voir nos informations par ailleurs).
Mais alors, en cas de rejet des incinérateurs, quelle solution pour Beyrouth ? « Il existe une solution pour Beyrouth, qui peut être mise en place à très court terme, affirme Paul Abi Rached. Le tri et le compostage pour le Beyrouth administratif peut être effectué dans les usines de La Quarantaine et du Coral. La banlieue sud et Choueifat peuvent trier les déchets à Amroussieh. Il leur suffira d'une usine de compostage qui peut être placée à Costa Brava, un site qu'on refuse de transformer en décharge à juste titre. On peut faire de même pour les autres cazas, et le tour est joué. »


(Lire aussi : Bou Faour demande à la population de ne pas brûler les ordures)


La présence de la Campagne pour la fermeture de la décharge de Naamé était très symbolique. Des propos attribués au député Walid Joumblatt sur une possible réouverture de la décharge – plus tard niés dans un communiqué – ont réalimenté le débat hier. Interrogé sur d'éventuelles craintes sur ce plan, Walid Ayache, membre de la campagne, assure à L'Orient-Le Jour que « les déclarations politiques ne concernent pas » les manifestants qui continuent de fermer la route aux camions de Sukleen. « Dix-huit ans ne leur ont pas suffi pour trouver une solution alternative, on nous demande de croire que quelques mois de plus seront décisifs ? Le gouvernement libanais ne progresse que sous la pression. La décision de fermer la décharge émane des habitants du Chahhar et elle est définitive. » Et si les municipalités sont de nouveau tentées d'écouter les autorités politiques (comme en janvier 2015, quand elles ont renoncé à soutenir les manifestants) ? « Elles ne nous représentent pas si elles prennent de telles décisions », répond-il. À cette même question, Paul Abi Rached estime que « les circonstances diffèrent de celles qui régnaient en janvier, les municipalités voulaient récupérer leur dû, aujourd'hui elles ne peuvent aller à l'encontre de la volonté du peuple ».

Danger près de l'aéroport ?
Une autre région est directement affectée par la crise des déchets, celle de Khaldé. Depuis quelques jours déjà, des informations font état de déchets jetés dans un terrain près de l'aéroport, en provenance de la banlieue sud de Beyrouth. Dans un communiqué, la branche de Choueifat du Parti socialiste progressiste (PSP) a déclaré qu'au vu de ces informations, et suite à des contacts intensifs effectués avec d'autres parties politiques, « il a été décidé que la ville de Choueifat a le droit de jeter ses ordures dans ce terrain et qu'elle doit détenir l'autorité ultime d'accorder ou non le droit de jeter des déchets dans ce terrain ». Le communiqué précise que suite à des contacts, notamment avec le CDR, « il sera demandé à Sukleen de ramasser les déchets de Choueifat et de les placer temporairement dans ce terrain ».
Pour sa part, le ministre des Transports Ghazi Zeaïter, également alarmé par les informations de ce nouveau dépotoir accolé à l'aéroport, a effectué une tournée sur le site hier en compagnie du directeur de l'aviation civile. « Nous lançons une mise en garde concernant ce qui se passe dans les environs de l'aéroport, a-t-il déclaré. Ces activités sont interdites car elles pourraient attirer des oiseaux et représenter un danger pour l'aviation. » Il a cependant estimé que « la sécurité de l'aviation est assurée, mais que le danger persiste, nortamment sur la santé ». Il a dit avoir écrit une lettre aux ministres de l'Intérieur et de l'Environnement pour les mettre en garde contre de tels dangers.


(Lire aussi : Bou Saab : Le vol empêche les solutions à la crise des ordures)


Par ailleurs, la région de Khaldé suscite des inquiétudes à un autre niveau : son littoral est pressenti pour accueillir une future décharge, après remblayage. C'est une question qu'a soulevée hier le député Talal Arslane. « Remblayer la mer à Khaldé est une ligne rouge », a-t-il dit. Il a qualifié le plan du gouvernement de « tronqué » et a prôné une solution fondée sur le tri et le recyclage.
En matière de contestation, le Hezbollah n'était pas en reste. Le député Hussein el-Moussaoui a rejeté la création de dépotoirs dans la chaîne de l'Anti-Liban, « une terre de héros et de martyrs ». Il a plaidé pour « une solution qui soit focalisée sur une expertise scientifique », et non « une solution fondée sur le vol des deniers publics et l'utilisation de la chaîne de l'Anti-Liban comme dépotoir ».

 

Repères
Crise des déchets : les principaux points du plan de Machnouk (infographie)

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Diaporama
Retour en images sur la crise des déchets au Liban


Pour mémoire
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