Quand l’île d’Aphrodite séduit les agents immobiliers libanais

Depuis quelque temps, il n'est pas rare d'entendre sur les ondes libanaises des spots publicitaires incitant à l'achat de biens immobiliers à Chypre. « Du fait de la crise récente du pays, ceux qui investissent dans l'immobilier peuvent désormais bénéficier d'une baisse de 30 % des prix ; sans oublier que le taux de change actuel de l'euro est presque équivalent au dollar américain », vantait l'ambassadeur chypriote au Liban, Homer Mavromatis, à l'occasion de l'ouverture à Larnaca d'une agence immobilière libanaise, en avril dernier.

Prix compétitifs
Depuis 2014, de plus en plus d'agents immobiliers libanais proposent des logements sur l'île. « Nous avons commencé à promouvoir les projets des promoteurs immobiliers chypriotes il y a trois ans et avons lancé nos propres projets en 2015, du fait de la forte demande des Libanais pour ce marché », affirme le directeur général de l'agence Plus Properties à Chypre, Joe Ibrahim. « Il n'y a pas vraiment eu d'augmentation drastique de la demande libanaise, c'est surtout l'essor des agents immobiliers sur ce créneau qui donne une impression d'emballement. Toutes les agences prétendent être en contact avec un promoteur à Chypre, et même les particuliers s'improvisent agents immobiliers », tempère le directeur associé de l'agence immobilière Masahaat, Naji Ghaddar, l'un des premiers à ouvrir une agence sur place en 2010.
Si les professionnels libanais proposent de plus en plus d'offres à Chypre, c'est aussi pour pallier le ralentissement du marché domestique depuis le début de la crise syrienne. Selon le registre foncier, les ventes immobilières ont enregistré une baisse de 19,2 % en glissement annuel, à 17 816 unités, sur les quatre premiers mois de l'année 2015. Tandis qu'en valeur, la chute a été de 21 % sur la même période, à 2,2 milliards de dollars.
Les prix, eux, restent relativement élevés alors que la crise financière chypriote permet aux agences d'y proposer des prix très compétitifs. « À Chypre, pour 100 000 dollars, il est possible d'acheter une petite maison, tandis qu'au Liban il est rare de trouver quelque chose de décent à ce prix-là », confirme Naji Ghaddar. De fait, selon un rapport de la société d'audit KPMG sur le marché de l'immobilier à Chypre publié en mars 2015, le prix moyen à Chypre pour un deux-pièces d'environ 85m2 était de 101 766 euros au dernier trimestre de 2014, en baisse de 5 % en rythme annuel. Tandis que pour un trois-pièces avec jardin, le prix moyen à la même période était 326 749 euros (-5 %). Une évolution qui a pu contribuer aussi bien à un ralentissement des projets, avec une chute de 7,64 % du nombre de permis de construire entre 2013 et 2014 qu'à un sursaut des ventes, en hausse de 20,18 % entre 2013 et 2014, selon le rapport.

Permis de séjour
Pour autant, « la demande émane d'une classe plutôt favorisée, possédant déjà une résidence secondaire au Liban et cherchant un pied à terre à l'étranger », selon Massaad Fares, propriétaire de l'agence Prime Consult et président du syndicat des agents et consultants immobiliers au Liban (Real). Une demande notamment séduite par la proximité géographique et culturelle entre l'île d'Aphrodite et le pays du Cèdre. « Depuis la guerre civile, Chypre sert de refuge aux Libanais lors des remous sécuritaires, et cela ne risque pas de s'arrêter : de par sa proximité géographique, y avoir un pied-à-terre peut devenir une solution si la situation empire », vante Ahmad al-Khatib, directeur général de Century 21 au Liban. Quant au précédent créé par le contrôle drastique des capitaux – qui a été mis en place en mars 2013 dans un contexte de crise financière aiguë et n'a été totalement levé qu'en avril dernier –, les professionnels interrogés par L'Orient-Le Jour s'accordent à dire qu'il n'a pas eu d'impact particulier sur leurs ventes.

Mais l'argument commercial massue pour attirer les investissements libanais réside sans doute dans la politique de captation des fortunes étrangères mise en œuvre par Nicosie pour tenter de juguler sa crise immobilière. Depuis 2012, l'île octroie un permis de séjour permanent pour les non-Européens (au casier judiciaire vierge) qui investissent 300 000 euros minimum dans un bien immobilier. Pour Naji Ghaddar, « cette mesure a créé un sursaut de la demande libanaise ». Et pas seulement : entre 2013 et 2014, les acheteurs étrangers ont augmenté de 24 % et représentent désormais plus du quart des acquéreurs sur le marché immobilier chypriote, selon le rapport de KPMG. « Mais le permis de séjour chypriote ne permet pas d'avoir un visa Schengen, contrairement au permis de séjour espagnol, octroyé à partir de 500 000 euros d'investissement », avertit Massaad Farès, qui dispose d'une dizaine de projets en Espagne. Reste à savoir si l'offre libanaise restera, elle, au rendez-vous en cas de reprise durable du marché domestique.

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