Rechercher
Rechercher

Moyen Orient et Monde - Tribune

Le nationalisme arabe et le costume étriqué du père

Le panarabisme, parce qu'il est un nationalisme, repose obligatoirement sur deux principes complémentaires : le mythe fondateur de sa création et l'immuabilité tout aussi mythique de son existence. Tout concept nationaliste se veut « de toute éternité » et s'apparente par là même à un principe plus temporel que politique. Contrairement à ce qui est généralement admis et affirmé, ce qui importe dans le nationalisme, c'est moins la réalité politique que la redéfinition de l'histoire, incluant de facto la « nation » concernée, alors même que le principe de nation lui-même est une construction symbolique et politique très récente dans l'histoire, amorcée au XVIIIe siècle, en Europe, pour se généraliser au XIXe siècle, puis au XXe siècle, avec les guerres de libération nationale des anciennes colonies occidentales.

La nation s'incarne dans des symboles divers mais omniprésents, comme le drapeau, et elle repose sur un principe territorial, balisé par des frontières, qui l'ancrent objectivement dans un sol particulier, que les peuples originels n'ont quant à eux jamais revendiqué comme tel, ni même conçu de cette façon, en leur temps.
Le nationalisme arabe ne fait pas exception à ces diverses conditions, auxquelles s'ajoute significativement dans son cas la figure du chef, ou « père de la nation », énième avatar de la figure du héros, qui, à défaut de se sacrifier physiquement lui-même, préfère généralement sacrifier son peuple aux nécessités nationales conjoncturelles, drapées dans un « destin » millénaire.
De manière assez paradoxale, tous les peuples arabes (ou admis pour tels) engagés dans l'idée politique de l'autodétermination, depuis les années 1950, se sont d'eux-mêmes encombrés d'une figure paternaliste archaïque, incarnant l'oxymore de la liberté univoque et la volonté populaire strictement délimitée par un parti unique non élu et pyramidal.

Amin Maalouf soulignait, dans son Désordre du monde, combien semblait ancré dans la culture arabe contemporaine ce regard perpétuel vers le passé, entre apitoiement revanchard et fierté bafouée d'un passé magnifique, impossible à retrouver, dont Gamal Abdel Nasser a incarné la brève renaissance déchue, porté par un panarabisme aussi antagoniste dans ses diverses obédiences qu'anachronique dans ses visées et ses adhésions.
La jeune Tunisie de 2015, elle-même, qui souligne constitutionnellement son caractère « arabo-musulman », n'a pas tardé à élire un prototype de l'ancien régime, incarnation survivante de tous les gouvernements, de Bourguiba à Ben Ali, ce qui amène actuellement l'étrange sensation d'avoir assisté, en quatre ans et une élection présidentielle à peine, à l'avènement d'une « révolution » déjà vieille de 88 printemps !
Ce retournement tunisien est exemplatif d'une révolution sociale (ce que prétendait être le panarabisme lui-même) échouant présentement sur un processus représentatif a minima, remettant en place in fine la figure du « Commandeur » en la personne de Caid Essebsi, lequel s'empresse de clamer, dans un paternalisme où le mot « nation » ponctue à chaque phrase, que « la révolution n'a pas eu lieu » !
De la même façon, il semble que le panarabisme ait buté d'emblée sur les ambiguïtés jamais levées d'être une révolution conservatrice, tout autant qu'un socialisme anticommuniste en pleine guerre froide, voire l'avenir nouveau des Arabes face à l'Occident, mais par la redéfinition d'un Empire ottoman resté comme dernière incarnation d'une perspective musulmane du monde.

En somme, d'être une identité nationale panarabe qui n'a jamais pu surpasser les frontières nationales virtuelles, imposées par l'Occident au Moyen-Orient, pas plus que les particularismes maghrébins ou le clivage religieux de principe avec les pétromonarchies corrompues du Golfe, et dont la caractéristique « islamique » semble, en définitive, seule à avoir gardé un peu de vigueur idéologique et sociale, avec les errements sectaires que l'on sait : de la corruption dictatoriale des partis Baas (Syrie, Irak) au dévoiement islamiste des Frères musulmans (Égypte), et du rigorisme pseudosalafiste des wahhabites (péninsule Arabique) au récent jihadisme fasciste de Daech.
Notoirement, ce dernier groupe brandit in abstracto la « umma islamiya », en y légitimant la mort de milliers de musulmans et la destruction de leur culture, du Machrek au Maghreb, au prétexte d'un « retour aux sources » arabes de l'islam du VIIe siècle, ceci au mépris des peuples arabes, musulmans ou non.

*Auteur, rédacteur et éditeur de trois revues d'art en ligne, dont la revue Zéro – Revue de l'Occidorient.

 

Lire aussi
Quarante-cinq ans après Nasser, le nationalisme arabe, seule voie pour les transitions politiques ?

Le panarabisme, parce qu'il est un nationalisme, repose obligatoirement sur deux principes complémentaires : le mythe fondateur de sa création et l'immuabilité tout aussi mythique de son existence. Tout concept nationaliste se veut « de toute éternité » et s'apparente par là même à un principe plus temporel que politique. Contrairement à ce qui est généralement admis et affirmé,...

commentaires (2)

MORT ET INHUMÉ AVEC LES CONNERIES COMMISES...

LA LIBRE EXPRESSION

09 h 33, le 24 juillet 2015

Tous les commentaires

Commentaires (2)

  • MORT ET INHUMÉ AVEC LES CONNERIES COMMISES...

    LA LIBRE EXPRESSION

    09 h 33, le 24 juillet 2015

  • Que l'on cesse enfin de parler de LA nation arabe. Il existe des pays arabes: Arabie Saoudite, Koweit, Qatar... Il existe d'autres pays qui ont, un temps, été conquis par les arabes et ont appartenu à un EMPIRE arabe (mais pas à la NATION arabe) comme plus tard, à l'empire ottoman. Cela ne fait de leurs citoyens, ni des arabes, ni des turcs. Vouloir faire des libanais, égyptiens, voire soudanais (!!!) des arabes, est aussi stupide que d'enseigner - comme on le faisait autrefois - aux petits sénégalais "Nos ancêtres les gaulois..." Le véritable nationalisme, c'est de faire sentir aux libanais qu'ils sont libanais. Pourquoi leur inventer une nationalité de substitution?

    Yves Prevost

    07 h 01, le 24 juillet 2015

Retour en haut