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Liban - Diplomatie

Paoli : Le système libanais est façonné non pas pour prendre des décisions mais pour donner des garanties aux factions politiques

Photo Ibrahim Tawil

Il est en poste au Liban depuis plus de trois ans, soit un peu plus que la durée traditionnelle fixée d'ordinaire dans ce genre de cas. L'ambassadeur de France Patrice Paoli s'apprête ainsi à quitter Beyrouth dans les tout prochains jours pour occuper de nouvelles fonctions au Quai d'Orsay où il dirigera le « Centre de crise », à Paris, à partir du 20 juillet.

L'ambassadeur Paoli n'aura pas eu la tâche facile, pour le moins qu'on puisse dire. Le Liban, certes, est secoué depuis de nombreuses années par des crises chroniques qui se succèdent sans se ressembler mais qui ont comme dénominateur commun de plonger sans cesse le pays dans un climat conflictuel marqué par des violences épisodiques. Il reste que la mission de M. Paoli à Beyrouth est intervenue à une période particulièrement cruciale aussi bien pour le Liban que pour la région. Sur la scène locale, l'ambassadeur de France a été amené à suivre de près les manœuvres en rapport avec l'échéance présidentielle puis la situation née de la vacance au niveau de la magistrature suprême, avec tout ce que cela a entraîné comme blocage sur le plan des institutions constitutionnelles.
Parallèlement, à l'échelle régionale, M. Paoli a été confronté dans sa mission aux nombreuses et complexes retombées sur la scène libanaise de la guerre syrienne, notamment pour ce qui a trait à l'intervention du Hezbollah dans les combats en cours en Syrie et au dossier épineux des réfugiés syriens ayant déferlé au Liban pour fuir les combats dans leur pays.
À l'évidence, il n'était pas aisé de gérer une telle situation pour un pays comme la France qui entretient des relations privilégiées avec le Liban, d'une manière générale, et équilibrées avec les différentes composantes libanaises, et qui, dans un cadre plus global, définit sa politique étrangère sur base de la défense de certains principes et valeurs humanistes. Cette ligne de conduite française a constitué ces trois dernières années un défi difficile à relever du fait de la tournure dramatique prise par la guerre syrienne et le printemps arabe dans plusieurs pays de la région et à différents niveaux (notamment en ce qui concerne le sort des chrétiens d'Orient et des minorités), sans compter l'impact évident, à plusieurs facettes, des difficiles pourparlers sur le contentieux nucléaire iranien.

Sur ces différents et nombreux dossiers, l'ambassadeur Paoli a beaucoup de choses à dire, à la lumière de l'expérience qu'il a vécue au cours de sa mission libanaise qui vient à son terme. Il souligne d'emblée, en guise d'entrée en matière, que « le Liban est un pays très particulier ». « Pour tout ambassadeur de France, c'est un honneur, un privilège bien particulier de servir au Liban, affirme M. Paoli. Quelque chose de très fort lie chaque Français au Liban. Il existe une histoire d'amour entre la France et le Liban. »
Évoquant, d'une manière plus précise, son expérience libanaise, il déclare notamment : « Durant mon mandat au Liban, qui s'est prolongé plus de trois ans, j'ai tenu à engager un débat très ouvert avec toutes les parties locales, y compris avec ceux avec qui nous sommes en désaccord. En définitive, c'est surtout avec les factions avec lesquelles nous sommes en désaccord qu'il faut dialoguer. J'ai entretenu des relations très fortes à tous les niveaux. Dans ce cadre, nous avons essayé de jouer un rôle de facilitateur entre les parties. »
À la lumière de cette expérience à la chancellerie de Beyrouth, quels conseils pourrait-il donner, le cas échéant, à son successeur : « Si je peux me permettre de donner quelques conseils au nouvel ambassadeur, je lui dirais qu'il serait utile de dialoguer avec toutes les parties, même celles avec lesquelles nous sommes en désaccord. Un ambassadeur doit pouvoir proposer des idées pour faire avancer les choses. Il ne doit pas rester spectateur. Mais mon successeur sait tout cela. »


(Lire aussi : Emmanuel Bonne : Comptez sur moi et sur la France pour rester aux côtés du Liban)

Le dysfonctionnement du système politique
Il reste que l'aspect le plus important qui ressort de la réflexion de M. Paoli concernant son expérience libanaise porte sur le procès, sévère mais lucide et percutant, qu'il fait du système politique libanais. Un procès que peu d'ambassadeurs ont sans doute fait avant lui, du moins d'une manière aussi explicite. « Le système politique n'est pas bâti pour dégager des consensus mais il est conçu plutôt dans un esprit de contrôle du centre de décision par les communautés ou les factions politiques, déclare l'ambassadeur de France. On peut déplorer l'incapacité du système politique à générer des décisions, à prendre des décisions. Il existe au niveau du système politique un dysfonctionnement qui empêche la prise de décisions. »
Et de poursuivre à cet égard : « Le système est fait non pas pour prendre des décisions mais plutôt pour donner des garanties aux composantes politico-communautaires. Je n'ai jamais vu autant de calculs numériques, arithmétiques, pour donner des garanties aux communautés et non pas pour gérer les affaires publiques. Il est ainsi constamment question de tiers de blocage, de majorité absolue, de majorité des deux tiers dans le but de donner des garanties aux communautés et aux factions politiques, et non pas pour faciliter la gestion de la chose publique. Il existe un manque de confiance entre les acteurs politico-communautaires, de même qu'il y a un manque de connections, de liens, entre la classe politique et les citoyens qui se sentent quelque peu marginalisés et tenus à l'écart. »

L'ambassadeur Paoli relève à ce sujet, fort à propos, que ce dysfonctionnement du système politique libanais est d'autant plus déplorable qu'il a de fâcheuses répercussions au niveau socio-économique et du développement. « Pour pouvoir soutenir et aider le Liban, indique-t-il, il faut que les institutions fonctionnent. Si les institutions ne fonctionnent pas, nous ne pouvons pas agir. À titre d'exemple, plusieurs projets d'aide de la France ont été annulés en raison du dysfonctionnement du système politique. Un prêt de 46,5 millions d'euros pour la construction d'écoles a notamment été récemment annulé car l'État n'est pas en mesure de prendre des décisions. En novembre 2014, un prêt de 70 millions d'euros destiné au secteur de l'électricité a également été annulé. De même, un prêt de 125 millions d'euros, consacré au secteur des télécommunications, a été annulé en 2013. Ces projets d'aide ont été signés avec le gouvernement, mais pour qu'ils se concrétisent, il faut qu'il y ait un vote au Parlement, que les cahiers des charges soient établis, etc. »
Et de relever dans ce cadre, comme pour suggérer une approche à suivre pour sortir du cercle vicieux de la paralysie institutionnelle, que « la recette de la stabilité interne et d'un bon fonctionnement des institutions est un accord entre les trois communautés libanaises, lesquelles sont condamnées à s'entendre ».

Le Hezbollah et le nucléaire iranien
L'un des dossiers que M. Paoli a dû traiter avec sagesse et réalisme est, sans conteste, celui de la ligne de conduite du Hezbollah. « Nous sommes contre l'intervention du Hezbollah en Syrie, souligne clairement l'ambassadeur de France. De même, nous sommes opposés au fait que le Hezbollah ait un arsenal militaire parallèle à celui de l'État et indépendant de l'État. L'usage de la force doit être du seul ressort de l'État et dans le cadre des institutions, plus précisément l'armée et les Forces de sécurité intérieure. Il reste que nous dialoguons avec le Hezbollah, comme nous le faisons avec tous les partis représentés au Parlement. »
Abordant dans ce contexte le programme d'aide à l'armée, M. Paoli apporte un démenti catégorique à toutes les rumeurs colportées à ce sujet : « L'accord avec l'Arabie saoudite sur l'aide à l'armée libanaise n'est nullement compromis ou même retardé comme l'ont prétendu certaines sources. L'accord fonctionne donc normalement, sans retard. La prochaine livraison d'équipement militaire aura lieu dans quelques semaines. Sur ce plan, le programme d'aide à l'armée change sensiblement la donne sur le plan interne. La stabilité interne est garantie par l'armée, ce qui est un fait nouveau. »

Au sujet de la vacance au niveau de la magistrature suprême, M. Paoli souligne que « le blocage de la présidentielle est lié essentiellement à des facteurs internes ». « Les facteurs régionaux compliquent, certes, la situation, mais la clé de la solution se trouve au Liban, affirme-t-il. Le facteur régional est en quelque sorte un alibi. Qu'est-ce qui empêche, en effet, les leaders chrétiens de se réunir et de s'entendre. Pourquoi les députés ne vont-ils pas voter ? La clé de la solution est entre les mains des Libanais. »
Le blocage de l'élection présidentielle amène M. Paoli à évoquer, par ricochet, la question épineuse du sort des chrétiens d'Orient et des minorités, en général. « La France est bien sûre préoccupée par le sort et la situation des chrétiens d'Orient, et des minorités en général, dont notamment les yazidis, souligne-t-il. Les chrétiens font partie de l'identité des pays dans lesquels ils vivent. Leur place est dans leur pays d'origine. Les États qui sont en mesure de fonctionner se doivent de protéger les minorités et de garantir la sécurité et les libertés de leurs citoyens, dont la liberté de croyance. » Et d'ajouter, dans le cas spécifique du Liban : « Le Liban a la clé de son propre avenir car il n'y a pas de majorité dans ce pays, mais plusieurs groupes qui sont condamnés, si j'ose dire, à s'entendre. »
Sortant, enfin, du cadre de la politique libanaise, M. Paoli a commenté les perspectives d'un accord sur le nucléaire iranien. « La France, a-t-il relevé, a toujours été pour un accord solide qui empêche la prolifération de l'arme nucléaire. Un accord implique certains engagements, ce qui aura un impact en Iran même et au niveau de la détente entre l'Iran et la communauté internationale. Au plan régional, il n'y aura pas nécessairement des résultats immédiats. »
Les dossiers sont ainsi aussi bien nombreux que complexes. Le nouvel ambassadeur de France, attendu sous peu, aura, à n'en point douter, beaucoup de pain sur la planche.

 

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commentaires (4)

C'EST LE SYSTÈME DE LA PARALYSIE... CAR IL EST À LA MERCI DE LA BONNE VOLONTÉ ET DE LA BONNE FOI DE TOUT CHACUN... MARCHANDISES TRÈS TRÈS RARES... PRATIQUEMENT INEXISTANTES DANS L'ATOLL CRABIEN !!!

LA LIBRE EXPRESSION

09 h 30, le 14 juillet 2015

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Commentaires (4)

  • C'EST LE SYSTÈME DE LA PARALYSIE... CAR IL EST À LA MERCI DE LA BONNE VOLONTÉ ET DE LA BONNE FOI DE TOUT CHACUN... MARCHANDISES TRÈS TRÈS RARES... PRATIQUEMENT INEXISTANTES DANS L'ATOLL CRABIEN !!!

    LA LIBRE EXPRESSION

    09 h 30, le 14 juillet 2015

  • Même si, comme le souligne l'ambassadeur, "les facteurs régionaux compliquent la situation", de tous temps,la solution des problèmes du Liban a été entre les mains des libanais. Mais pourquoi faut-il qu'ils se remettent toujours entre des mains étrangères?

    Yves Prevost

    08 h 41, le 14 juillet 2015

  • L'ambassadeur de France, M Patrice Paoli ne le dit pas, par courtoisie sûrement. "Le système libanais ne fontionne pas" parce qu'une décadence a envahi le Liban à tous les niveaux, les Libanais en sont conscients mais ne font rien pour en sortir.

    Halim Abou Chacra

    06 h 06, le 14 juillet 2015

  • comme le système de la nomenklatura au pouvoir en France quoi..., F.Hollande ne prend pas de décision , mais donne des garanties aux factions politiques de gauche......

    M.V.

    05 h 56, le 14 juillet 2015

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