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Moyen Orient et Monde - Décryptage

Pourquoi les négociations sur le nucléaire iranien n’en finissent plus ?

François Nicoullaud et Thierry Coville répondent aux questions de « L'Orient-Le Jour ».

Le ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, parlant à un journaliste sur le balcon du palais Coburg, à Vienne. Carlos Barria/Reuters

Plus le temps passe, plus les négociations nucléaires entre l'Iran et les 5+1 ressemblent à une histoire de poupée russe. À chaque nouvelle étape, les parties butent sur un point de désaccord qu'elles présentent toutes deux comme non négociable, jusqu'à ce que l'une des deux se décide enfin à faire des concessions. Mais à ce moment-là, alors que l'accord final semble désormais être une formalité, un nouveau point de désaccord – certes moins important – fait son apparition. Et remet en question la totalité du processus.
Après des mois d'âpres négociations, l'Iran et les 5+1 s'étaient mis d'accord, le 2 avril 2015, sur un accord-cadre, qualifié d'« historique » par les deux parties. Le plus dur semblait être fait. Une nouvelle date butoir était fixée au 30 juin, le temps de rédiger le texte de l'accord définitif. Mais faute d'avoir pu finaliser l'accord avant le 30 juin, les diplomates réunis à Vienne ont décidé de prolonger, à deux reprises, le délai des négociations.

Quelques heures, quelques jours
Après 14 jours de débats acharnés, rythmés par les déclarations contradictoires des différents diplomates présents à Vienne, la perspective d'un accord semble plus proche que jamais. « Une question de quelques heures, ou de quelques jours », d'après François Nicoullaud, ancien ambassadeur de France à Téhéran et analyste spécialisé dans les questions de prolifération nucléaire et de désarmement. « Les parties viennent d'entamer le sprint final. Mais comme pendant le sprint final lors d'une étape du Tour de France, c'est un peu la pagaille et il y a des gens qui tombent. À Vienne, les 5+1 et l'Iran cherchent désormais à obtenir un dernier avantage, une dernière concession », explique M. Nicoullaud, ajoutant que « les Iraniens ont généralement du mal à conclure ».
Pour conclure justement, il faudra encore régler des questions « subsidiaires mais politiquement très sensibles » parmi lesquelles : la limitation du programme nucléaire iranien, le calendrier de la levée des sanctions et surtout l'épineuse problématique de la levée de l'embargo du Conseil de sécurité concernant les ventes d'armements militaires à l'Iran. Une question particulièrement délicate qui s'inscrit dans le cadre plus général de la politique régionale de Téhéran.

Le droit et le rapport de force
Du côté iranien, on considère que l'embargo, mis en place dans le cadre des sanctions adoptées depuis 2006 par le Conseil de sécurité de l'Onu, n'a rien à voir avec la question nucléaire. À ce titre, les Iraniens réclament la levée totale des sanctions. « D'un point de vue juridique, les Iraniens sont dans leurs droits, mais c'est plutôt le rapport de force politique qui compte à présent », analyse Thierry Coville, chercheur à l'Iris et spécialiste de l'Iran. À Oufa, en marge du sommet de l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS), le ministre des Affaires étrangères russe, Sergueï Lavrov, a clairement pris position : « Nous prônons en premier la levée de l'embargo sur les armes en Iran. » Une position, a priori, partagée par Pékin et qui démontre les dissensions au sein des 5+1. « Les Iraniens critiquent les désaccords au sein des 5+1, qui retardent les négociations selon eux », note M. Coville.
Du côté des Occidentaux, « il serait très gênant pour eux d'accepter une levée de l'embargo sur les ventes d'armements militaires à l'Iran vis-à-vis de leurs alliés régionaux : Israël et l'Arabie saoudite », poursuit M. Coville. Un avis partagé par M. Nicoullaud qui ajoute que « l'opposition américaine à cet accord dira qu'un cadeau a été fait à l'Iran. Une levée de l'embargo risquerait de fragiliser l'accord dans son ensemble. Mais, d'un autre côté, les opposants iraniens à l'accord critiqueront toute solution qui n'implique pas une levée totale des sanctions », argumente M. Nicoullaud. Autrement dit, les deux parties sont prises dans le piège d'une surenchère en politique interne. « Il est désormais plus facile pour les deux parties de s'entendre entre elles, que de s'entendre avec les opposants de leur propre camp », résume M. Nicoullaud.

Courage politique
Même si elle est particulièrement délicate, la question de l'embargo n'apparaît pas insurmontable. Les deux experts rejettent en tout cas l'idée d'un nouveau report des négociations et considèrent que les parties en présence prennent désormais leur temps pour finaliser un accord complet.
Une nouvelle fois, il faudra que les deux camps aient le courage politique de faire des concessions pour finaliser l'accord. « Ce serait extrêmement dommage qu'après tous ces efforts, les négociations n'aboutissent pas à cause de quelques petits détails », relève M. Nicoullaud. « La volonté politique est présente des deux côtés : le président américain, Barack Obama, tout comme le guide suprême iranien, Ali Khamenei, tiennent vraiment à cet accord. »
Au point d'en assumer toutes les conséquences politiques dans leurs pays respectifs ?

 

(Lire aussi  : Un accord historique conclu incessamment à Vienne, selon l'ambassade d'Iran à Paris)

 

En cas d'accord, plus de blocage possible aux USA

Les Américains voulaient conclure un accord avec l'Iran avant le 10 juillet. Au-delà, le Congrès a 60 jours pour examiner le texte au lieu des 30 jours habituels, en raison du début des vacances parlementaires. Cela dit, ce n'était pas un délai impératif.
Si l'accord est conclu entre l'Iran et les 5 1, le Congrès ne pourra pas ratifier formellement cet accord, qui n'est techniquement pas considéré aux États-Unis comme un traité international – mais aura la possibilité de donner un avis consultatif. En cas d'avis négatif, le président américain, Barack Obama, pourra utiliser son droit de veto. Pour effacer ce veto, les parlementaires des deux Chambres devraient réunir les deux tiers des voix, ce qui semble politiquement très improbable étant donné le rapport de force entre démocrates et républicains. En effet, même si les républicains sont majoritaires au Congrès, il faudrait que de nombreux démocrates fassent défection pour obtenir les deux tiers. Autrement dit, les opposants à l'accord ne disposeraient pas d'une réelle force de blocage a posteriori. Du moins, pas tant que Barack Obama sera président.

 

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Un feuilleton en images

 

 Après l'élection du président iranien Hassan Rohani, les Américains et les Iraniens se réunissent secrètement à Oman, en 2013, pour faire redémarrer les négociations nucléaires. Muscat/AFP

 

 


Les négociations entre l'Iran et les 5+1 débutent, en toute discrétion, le 15 octobre 2013 à l'hôtel InterContinental de Genève. Fabrice Coffrini/AFP

 

 

Tout au long des négociations nucléaires, Laurent Fabius, ministre français des Affaires étrangères, a incarné la ligne la plus dure vis-à vis de Téhéran. Le 9 novembre 2013, il provoquait un scandale en déclarant à son arrivée à Genève : « Il y a des points sur lesquels nous ne sommes pas satisfaits. »

 

 

Le 23 novembre 2013, les 5+1 et l'Iran s'entendent sur un premier compromis qui donne aux deux parties une année afin de conclure l'accord final. Un diplomate raconte au journal « Le Monde » qu'à cette occasion, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavorv, « a fait sauter le champagne, au grand dam de Zarif, qui ne pouvait évidemment pas le boire ». Photo AFP

 

 

Le ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, a dû effectuer plusieurs voyages à Téhéran, en pleines négociations, pour obtenir l'accord du guide suprême iranien, Ali Khamenei. Caren/Reuters

 

 

Le président américain, Barack Obama, semble avoir fait de l'accord avec l'Iran une de ses priorités dans sa politique étrangère. Brendan Smialowski/AFP

 

 

En juillet 2014, les deux parties ne parviennent pas à se mettre d'accord et les négociations sont prolongées jusqu'en novembre. En novembre, elles seront une nouvelle fois prolongées jusqu'en juin 2015, avec toutefois la prévision d'un accordcadre pour la fin mars. À chaque fois, des journalistes venus du monde entier ont attendu, en vain, pendant des heures, devant l'hôtel où se déroulaient les négociations. John Klamar/AFP

 

 

Pour se détendre, les diplomates ont eu recours à différentes méthodes. Le secrétaire d'État américain, John Kerry, a opté pour une sortie à vélo. Fabrice Coffrini/AFP

 

 

 À la suite d'une balade à vélo, le secrétaire d'État américain, John Kerry, tombe et se casse le fémur. Photo AFP

 

 

 Un formidable diplomate, d'après tous ses homologues. « À défaut d'un Nobel de la paix, il pourra au moins prétendre à un oscar », lâche un négociateur au journal « Le Monde ». L'homme en question est le ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif. Rick Wilking/Reuters

 

 

 

 Les deux visages de ces négociations nucléaires symbolisant le rapprochement entre Téhéran et Washington : John Kerry et Mohammad Javad Zarif. Reuters

 

 

 

 Le 2 avril 2015, l'Iran et les 5+1 signent un accordcadre présenté comme historique. Dans les rues de Téhéran, les jeunes célébreront ce moment jusqu'au bout de la nuit. Ebrahim Noroozi/AFP

 

 

 

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Plus le temps passe, plus les négociations nucléaires entre l'Iran et les 5+1 ressemblent à une histoire de poupée russe. À chaque nouvelle étape, les parties butent sur un point de désaccord qu'elles présentent toutes deux comme non négociable, jusqu'à ce que l'une des deux se décide enfin à faire des concessions. Mais à ce moment-là, alors que l'accord final semble désormais...

commentaires (2)

Pourquoi ? Mais parce que, qu'ils signent ou qu'ils ne signent pas, ces Per(s)cés sont coincés et cloués au pied du mur ; yâ hassértéééh !

ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

10 h 54, le 11 juillet 2015

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Commentaires (2)

  • Pourquoi ? Mais parce que, qu'ils signent ou qu'ils ne signent pas, ces Per(s)cés sont coincés et cloués au pied du mur ; yâ hassértéééh !

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    10 h 54, le 11 juillet 2015

  • UN MAUVAIS ACCORD ET LA LEVÉE DE L'EMBARGO SUR LES ARMES... SERAIENT UN MANDAT DE LIBRES MAINS DONNÉ À LA PERC(S)ÉE DANS LA RÉGION !

    LA LIBRE EXPRESSION

    10 h 44, le 11 juillet 2015

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