C'était un sale gosse. Un si beau sale gosse. Un brigand. Les femmes adorent les brigands. Avec une moustache de lion superbe et généreux. Ou une barbe de trois jours. Un brigand en smoking enflammant un casino en moins de trois minutes. Un brigand qui perd ses derniers dollars en souriant et en offrant à la croupière une rose jaune qu'il avait volée à un marchand ambulant. Un brigand qui donne des coups de boule à un policier avant de réconforter un pur-sang. Un brigand qui fait chavirer Catherine Deneuve et Ava Gardner dans un même Mayerling. Un brigand romantique comme elles aiment, capable de virer sa religion d'origine, grecque-catholique melkite, pour une autre, musulmane sunnite, passer de Michel Chalhoub à Omar Sharif, juste pour épouser cette femme, actrice icône, qui le rendait fou. Ce qui a dû faire plaisir à Youssef Chahine. Qui adorait, lui aussi, les brigands.
Même si certaines de ses scènes, parfois les plus courtes, comme ce doux naïf de Stepan, dostoïevskien comme rarement dans Les Possédés de Wajda, resteront inoubliables, Omar Sharif ne manquera pas forcément au cinéma. De (très) bons acteurs, il y en a eu, il y en a, il y en aura. C'est plutôt au monde (arabe) qu'il manquera. Cruellement. L'image, nécessaire mais éculée, du pont entre deux rives, aucun Arabe ne l'a incarnée aussi loyalement, aussi totalement : rien ne surpassera jamais la culture populaire dans l'imaginaire collectif d'une planète. Omar Sharif était l'antithèse du choc des cultures : il était le pur produit du métissage, l'épitomé de ce primoconcept de plus en plus foulé aux pieds, perverti, annihilé : l'arabité sereine, conquérante et follement humaniste.
Parce qu'il était d'abord et surtout cela, Omar Sharif : un Arabe fier et décomplexé ; imbibé d'Orient jusqu'aux os et amoureux éclairé d'un Occident qu'il a toujours voulu et vu lumineux ; agnostique autoproclamé, c'est-à-dire immunisé contre ce cytomégalovirus qui n'en finit plus de décimer le Proche et le Moyen-Orient : la religion transformée en arme de destruction massive ; juste dans l'âme, heureux de s'occuper d'un kid juif comme s'il était le sien, convaincu qu'il faut rejeter à la fois Hosni Moubarak et les Frères musulmans, et tellement, tellement poète, de sa capacité à faire se croiser Berdawné, Nil, Seine et Hudson, jusqu'à sa maîtrise du beau et du bon, en passant par sa manière de rendre folles les plus belles femmes du monde.
Divin brigand, atemporel et anachronique, l'Arabe splendide, du dehors comme du dedans, n'a pas de souci à se faire : il ne risque pas d'être remplacé de si tôt. C'est tranquillement, donc, qu'il posera, pour longtemps, sa tête sur l'épaule de Faten Hamama. Enfin heureuse. Enfin réunis. Dans un ciel de paradis. Entre une soupe aux lentilles et un paquet de cartes Fournier.
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commentaires (5)
Tout le charme Moyen Oriental! R.I.P. Cher Michel Omar, vous allez nous manquer!
Coeckelenbergh Cartenian
20 h 23, le 11 juillet 2015