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Culture - Table ronde

Le théâtre libanais à la recherche de lui-même

Réunis par la librairie el-Bourj et les éditions Arcane, Hala Moghanie, Maya Zbib et Roger Assaf ont réfléchi à voix haute à des propositions pour un théâtre libanais plus prospère. Vaste programme...

Roger Assaf entouré de Hala Moghanie et Maya Zbib.

Alors que nous avons de plus en plus l'impression (la conviction !) que la scène politique est devenue celle d'un théâtre de marionnettes, le théâtre – le vrai, celui qui rassemble et divertit, qui provoque et fait réfléchir, qui titille et émeut, qui révolte ou rallie – semble, malgré quelques essais réussis, dans de piètres draps.

« Peu de salles ; peu, presque pas, de publications ; un métier souvent précaire ; un public réduit », tel nous apparaît l'état des lieux rachitique, comme l'a si bien esquissé Rita Husseini, animatrice du débat. Avant de le lancer, en citant Meyerhold dans une lettre à Techkhov, qui sonne aujourd'hui d'une justesse presque ironique tellement elle est flagrante.
« Le théâtre peut jouer un rôle immense dans la transformation de ce qui existe ! » écrivait Meyerhold. « Pendant qu'à l'église et sur la place on frappe cruellement et cyniquement la jeunesse avec des knouts et des sabres, cette même jeunesse peut, au théâtre, donner libre cours à des protestations contre l'arbitraire policier, en détachant du Docteur Stockmann de Ibsen des phrases qui n'ont rien à voir avec l'idée de la pièce, mais que cette jeunesse applaudit frénétiquement : des phrases comme " Est-il juste que des imbéciles gouvernent des gens instruits ? " » ou encore « Lorsqu'on va défendre la liberté ou la vérité, il ne faut pas mettre ses meilleurs vêtements. » « Le théâtre a fait comprendre qu'un jour viendra où ses murs défendront contre le knout ceux qui chercheront à gouverner le pays au nom de la liberté de tous. »

Il serait bien temps que le théâtre libanais puisse, lui aussi, défendre la liberté de tous. Afin que ce théâtre actuellement en mode léthargie devienne plus prospère, que proposent Hala Moghanie, Maya Zbib et Roger Assaf?
Hala Moghanie est l'auteure d'une pièce, Tais-toi et creuse, écrite en 2008 et publiée en 2013 aux éditions Arcane, qui n'a jamais été mise en scène. L'action principale se passe autour d'un trou qui sert de décharge. Cette pièce interroge la mémoire et les relations sociales et familiales dans un univers de guerre. Elle a été mise en lecture à Paris et Montréal, mais jamais à Beyrouth.
L'ancienne journaliste, auteure de nouvelles, a ressenti le besoin irrésistible de retranscrire sur le papier « beaucoup de choses qui se fracassaient » dans sa tête et le format du texte théâtral s'est imposé comme une évidence. Mais de là à le porter sur les planches, il y a tout un fossé, jamais franchi. Parce qu'il est en français et donc peu accessible ? Parce que l'auteure est un électron libre ne faisant pas partie d'une structure qui soutienne les démarches théâtrales ?
Sans doute les deux. Reste la frustration de l'auteure « de voir qu'il y a des représentations mais qu'il n'y a pas de texte derrière ». « En écrivant, j'ai besoin de construire une mémoire », dit encore la jeune femme, en regrettant que celle-ci s'émiette aussi facilement dans la nuée du brouhaha ambiant.

En collectivité
Maya Zbib, auteure, actrice, metteur en scène et productrice de spectacles artistiques et théâtraux, affirme pour sa part porter tous les chapeaux susmentionnés par nécessité et non par choix initial. « Si l'on veut faire du théâtre aujourd'hui au Liban, il faut être prêt à faire tout soi-même, et cela va de l'écriture aux costumes en passant par le nettoyage du plateau », dit-elle.
Maya Zbib a démarré, au sein de Zoukak, une démarche d'écriture collective il y a des années. « Nous avons plusieurs textes. Mais ils ne sont pas écrits de manière à être publiés. Il faudrait le faire, reconnaît-elle. Pour pouvoir garder une trace pour la postérité. Pour que d'autres artistes puissent également s'en emparer à leur tour. »
Le collectif Zoukak est né en 2006 de la volonté de s'impliquer à travers le théâtre dans la vie sociale en restant extérieur aux discours politiques dominants. « Nous nous sommes mis à l'écriture car nous n'avons pas trouvé de textes contemporains qui nous parlaient, explique-t-elle. On est toujours à la recherche de fonds. Alors tout le travail se fait avec un tri des priorités. On envisage de faire un recueil de nos pièces et de notre démarche dramaturgique. » Pour Zbib, il y a nécessité de travailler en groupe, en collectivité, sinon cela serait impossible.

Que demande le peuple ?
Le point de départ d'un projet théâtral est clair, selon Roger Assaf. C'est la nécessité qui engendre le théâtre. « Mais le théâtre est-il nécessaire ? » s'interroge l'auteur, le comédien, le metteur en scène et l'enseignant rompu aux pirouettes du langage.
« Tout le monde sait que j'ai participé à ce qu'on appelle l'âge d'or du théâtre libanais entre 1960 et 1975, quand Beyrouth était une capitale à dimension universelle, raconte le ténor des planches. En 1975, la guerre est entrée dans notre quotidien. Elle a complètement bouleversé le paysage humain de Beyrouth. Il nous a semblé que le théâtre était devenu complètement inutile, et même futile. Il y avait d'autres urgences. D'autres préoccupations. Et sur le plan idéologique, le théâtre a pris la signification d'un produit de colonialisme culturel, un objet étranger et même nocif, lié à l'impérialisme, au capitalisme, etc. »
« Et puis le démenti nous est venu, étonnamment, de la part du public, ajoute Roger Assaf. Qui a réclamé que l'on fasse du théâtre. J'étais interloqué. Pourquoi le peuple demandait-il du théâtre ? Était-ce le besoin de distraction, de divertissement ? Mais il y a des moyens plus faciles. Il y a eu donc nécessité de faire du théâtre. Certainement pas le théâtre imité. Il fallait inventer un théâtre lié à la douleur des gens, leurs rêves, leurs attentes, leur quotidien. Transformer cela en représentation dynamisée, qui provoque questions, débats, rires et émotions. D'où la naissance du théâtre Hakawati. »
Pourquoi la situation de guerre a-t-elle provoqué cette nécessité ? « Il nous semble que le peuple avait besoin d'un espace de liberté pour se rencontrer d'une façon non réglée, non systématique. » Et c'est justement ce besoin-là qui manque aujourd'hui, selon Roger Assaf. Pour un théâtre prospère, il faudrait d'abord regarder vers le public et voir si ce dernier manifeste l'envie de se retrouver, d'avoir des expériences communes.

L'un des acteurs principaux du théâtre libanais depuis les années soixante définit lui-même son théâtre comme étant « ... au service d'une pensée axée sur la démocratie, la tolérance et la diversité ».
Rappelons que, depuis le début des années 2000, Roger Assaf s'est attelé à un travail unique et titanesque, une histoire universelle du théâtre, depuis l'Antiquité jusqu'à nos jours, dont quatre tomes sont déjà en librairie.
Comment faire en sorte, alors, de rendre le théâtre plus prospère à travers la formation, la production, l'écriture et la publication ? Quel est l'état des lieux en matière de formation ?
Avec quels moyens produit-on aujourd'hui des pièces de théâtre ? Comment passer de l'écriture de plateau à la publication ? Qu'est-ce qu'un théâtre populaire ? Comment diversifier les genres au théâtre ? L'écriture est-elle un besoin ? Une nécessité ? Autant de questions qui restent en suspens et dont cette rencontre, la première d'une série autour du genre théâtral, promettent les organisateurs, pour arriver du stade du questionnement à celui de la concrétisation. La suite devrait avoir lieu au prochain Salon du livre.

 

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