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Économie - Billet

L’offrande des voleurs de feu

« Oxi ! » À une nette majorité, les Grecs ont tranché : après cinq années de séisme économique ayant amputé leur richesse nationale d'un quart ; après l'injection stérile de plusieurs centaines de milliards d'euros en plans de sauvetage et les effets procycliques de leurs austères corollaires ; ils ont refusé la dernière mouture des propositions de la troïka pour sortir de l'ornière. Au-delà de ce résultat qui marque le début d'une odyssée dont la fin reste à écrire, le référendum d'hier a déjà, en soi, une portée historique.
Certes, les conditions dans lesquelles le gouvernement grec l'a organisé – ne laissant que huit jours de débat sur des textes extrêmement techniques et donnant l'impression d'être prêt à le brader au premier fléchissement adverse – n'ont guère été à la hauteur. Certes, la tentative des médias privés grecs et des créanciers européens de transformer la question posée en consultation sur un « Grexit » – non prévu par les traités – peut faire douter de la sincérité du scrutin. Certes, l'avatar financier de la « stratégie de la tension » menée par la BCE – dont la décision du 29 juin de ne pas relever le plafond des prêts Ela a conduit Athènes à imposer un contrôle des capitaux et entraîné une pénurie de liquidités dans le pays – n'a sans doute pas permis une expression sereine du suffrage universel...

Toujours est-il qu'en soumettant les injonctions du mémorandum à l'onction du référendum, Athènes a écrit un nouveau chapitre de la geste prométhéenne, arrachant le feu sacré de la souveraineté politique aux dieux de l'Olympe eurocrate. De fait, le message envoyé depuis le berceau de la démocratie résonne comme un rappel salutaire : l'administration du foyer (« oikonomía ») national relève par essence des affaires de la cité (« politikos »). Reste à en tirer les leçons.

D'abord à Athènes, où le gouvernement, renforcé à la table des négociations, ne saurait se dispenser de davantage de clarté sur les moyens à trouver pour redresser son pays. Il essaiera certainement d'obtenir une baisse du niveau exigé des excédents primaires, de sauver certaines dépenses sociales cruciales et d'exiger la restructuration d'une dette que la plupart des experts – FMI inclus – considèrent comme insoutenable. Mais il lui reste à démontrer sa capacité à transformer le pays en profondeur. En précisant notamment comment il compte réformer un État au bord de la faillite, en commençant par le volet fiscal puis, à bien plus long terme, en traçant le sentier qui mènera le pays vers une croissance durable, sans perfusion extérieure ni manipulation des comptes.

Ensuite à Bruxelles, où les institutions européennes pourraient commencer par cesser d'agir de facto en majordomes de l'ordolibéralisme allemand, imposant aux autres nations des solutions aussi impopulaires qu'inadaptées. Elles seraient en outre avisées de songer aux vices originels d'une monnaie unique qui chapeaute des pays aux réalités – économiques, sociales, culturelles – très hétérogènes et accentue leurs écarts de compétitivité. Elles gagneraient enfin à renoncer à une idéologie magistralement résumée par une récente sentence du président de la Commission, Jean-Claude Juncker : « Il n'y a pas de démocratie en Europe en dehors des traités. » Il confirmait ainsi une tradition aristocratique – au sens étymologique du terme – qui a bien souvent conduit à déjuger les citoyens, à l'instar des Irlandais – sommés de revoter en 2008 – ou des Français – désavoués par leurs représentants deux ans après leur « non » au référendum de 2005.

La leçon grecque mériterait enfin d'être entendue au Liban, où l'absence d'un véritable État produit des effets similaires – de la gabegie administrative et fiscale à l'érosion continue du tissu industriel, en passant par une fuite chronique des cerveaux – et ne trouve pour réponse qu'une impuissance politique savamment entretenue. Le temps n'est-il pas venu pour ses citoyens d'exiger également des comptes à ceux qui prétendent présider à leur destin ?

Prométhée de la souveraineté des peuples, la Grèce connaîtra-t-elle le sort du Titan en payant très cher son offrande ? Avec le risque que ce dénouement laisse deux cadavres : celui de la Grèce et celui de la primauté de la volonté politique en matière économique.


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commentaires (3)

La Grèce est bien le piège des européens qui croient pouvoir donner des leçons de démocraties au vieux singe à qui on n'apprendra pas à faire la grimace. L'Europe ne pourra pas non plus cacher son enfant mongolien au prétexte qu'il n'est pas beau à voir donc on s'en débarrasse. Et que alors la Grèce est ce qu'il y a de plus beau en Europe, en ce moment.

FRIK-A-FRAK

10 h 59, le 06 juillet 2015

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Commentaires (3)

  • La Grèce est bien le piège des européens qui croient pouvoir donner des leçons de démocraties au vieux singe à qui on n'apprendra pas à faire la grimace. L'Europe ne pourra pas non plus cacher son enfant mongolien au prétexte qu'il n'est pas beau à voir donc on s'en débarrasse. Et que alors la Grèce est ce qu'il y a de plus beau en Europe, en ce moment.

    FRIK-A-FRAK

    10 h 59, le 06 juillet 2015

  • J'ai trouve, merci. sculpture de Nicolas-Sébastien Adam, Prométhée enchaîné, 1762, musée du Louvre

    Christine KHALIL

    09 h 59, le 06 juillet 2015

  • Tres bon article, merci, Est-il possible de connaitre le crédit photographique de cette sublime statue?

    Christine KHALIL

    09 h 52, le 06 juillet 2015

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