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Moyen Orient et Monde - Syrie/Irak

Face à l’EI, les tribus sunnites plus divisées que jamais

Des jihadistes du groupe État islamique à Raqqa, en mars 2013. Archives AFP

Les tribus sunnites en Syrie et en Irak sont profondément divisées face au groupe État islamique (EI) qui s'efforce de les séduire ou de les soumettre en maniant la carotte et le bâton, selon des analystes. La guerre dans ces deux pays a mis à mal la légendaire solidarité tribale, et désormais c'est à l'échelle du clan que s'opère le choix. Il arrive ainsi que des clans s'affrontent, même s'ils appartiennent à la même tribu.
Pour l'EI, gagner les tribus est fondamental afin de s'assurer le contrôle d'un territoire. Aussi, après une victoire, il diffuse une vidéo exhibant l'allégeance de gré ou de force des chefs tribaux. « Nous sommes tous sur le même bateau, l'État (islamique) est notre État », proclame ainsi un cheikh le 30 mai à Ramadi, où la majorité des tribus a résisté pendant un an et demi à l'EI avant d'être trahie par la capitulation de l'armée irakienne. La scène d'allégeance se répète à Fallouja en Irak et elle avait déjà eu lieu en Syrie, à Raqqa en mars 2013 puis à Deir ez-Zor. Ces régions sont proches, et souvent les tribus s'étendent des deux côtés de la frontière.

Allégeance contre avantages

Haïan Dukhan et Sinan Hawat, auteurs d'une étude intitulée « L'État islamique et les tribus arabes de l'est de la Syrie », avancent trois raisons au ralliement de chefs tribaux à Daech, l'acronyme arabe de l'EI. « Ce qui fait accepter l'EI, c'est d'abord le bénéfice économique et la protection, puis la peur et l'intimidation, et enfin les griefs contre le régime », expliquent-ils.

(Lire aussi : « Beaucoup de Syriens ont déjà intégré l'idée d'une partition du pays »)

À l'époque de Hafez el-Assad, l'ancien chef d'État syrien, les chefs tribaux bénéficiaient « des postes officiels et des subsides », et combattaient en échange les Frères musulmans et les autonomistes kurdes, ennemis du régime. « Ils faisaient partie du mouvement qui appuyait le régime », assurent-ils. Avec l'ouverture économique impulsée par son fils Bachar el-Assad, « l'idéologie baassiste a perdu de sa force et les services offerts par l'État » ont diminué dans ces régions désertiques et pauvres. « L'EI en a profité en leur offrant une parcelle de pouvoir, et les chefs tribaux, auparavant loyaux au régime, lui ont fait allégeance », poursuivent les experts. Gare à ceux qui résistent, comme la tribu des Chaitat, dont 900 membres ont été massacrés par les jihadistes.

En Irak, le rapprochement avec l'EI est également motivé par la frustration vécue après l'invasion par les États-Unis en 2003. « Les désastreuses décisions de l'administrateur américain Paul Bremer (2003-2004), accentuées par les gouvernements sous domination des partis religieux chiites, ont abouti à chasser les anciens militaires issus des tribus favorisées par Saddam, les désigner comme ennemis, les priver de statut, de salaire et de rang social », explique à l'AFP Hosham Dawod, anthropologue français spécialiste des tribus en Irak. Ces groupes ont glissé du baassisme au jihadisme radical et constituent le socle militaire, sécuritaire et politique de Daech. » C'est notamment le cas des Albou Ajil, accusés d'avoir perpétré un massacre contre les soldats chiites dans le camp Speicher, près de Tikrit, ou de la confédération tribale Obaid autour de Mossoul.

(Lire aussi : L’EI appelle les « sunnites libanais, saoudiens et jordaniens à se révolter contre leurs gouvernants mécréants »)

Des tribus résistent

À l'époque de l'ex-dictateur, les tribus sunnites formaient la clé de voûte de l'appareil sécuritaire. À l'inverse, certaines tribus comme les Jughaifa ont refusé de livrer 150 personnes que l'EI considérait comme des ennemis. Ce refus a été perçu comme une déclaration de guerre par les jihadistes. Leur fief, Haditha, est donc l'une des seules localités de la province d'Anbar qui résiste à l'EI, bien qu'elle soit assiégée et menacée d'extermination par le porte-parole de l'EI Abou Mohammad al-Adnani.

En Syrie aussi, où la quinzaine de tribus représentent 15 % de la population et s'étendent sur la moitié du territoire, la division est la règle, selon Haian Dukhan. « Je vous mets au défi de trouver un clan ou une tribu qui ait fait allégeance dans sa totalité à Daech, au Front al-Nosra (branche syrienne d'el-Qaëda) ou aux rebelles. Il existe des individus qui les soutiennent, mais ceux-ci ne représentent pas toute la tribu, tout au plus 20 % d'un clan », assure à l'AFP le cheikh Nawaf al-Moulhem, un chef tribal de la région de Homs et député au Parlement syrien.

Même la tribu des Albou Nasser, celle de Saddam Hussein, a des dissidents. Pour le cheikh Salah Hasan al-Nada, qui s'est réfugié à Erbil au Kurdistan, « jamais une tribu ne pourra rejoindre dans sa totalité Daech. Si toutes les tribus (sunnites) l'avaient rejoint, elles auraient fait basculer l'équilibre des forces en Irak ».


Reportage

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