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Lifestyle - Tous les chats sont gris

Tout feu, tout flamme, tout «fer2e3»

Nous, Libanais, sommes de dangereux pyromanes hilares. La guerre et les bombes ? Nous leur rions au nez avec des « fer2e3 », ces feux d'artifice locaux que nous prenons un malin plaisir à catapulter dans le ciel de nos nuits. Que l'occasion soit bonne ou pas.

Photo Michel Sayegh

C'est surtout une tradition d'été. Adieu les pénitences, les cahiers au feu et les livres au milieu. L'appartement de ville emmailloté dans des housses veinées d'humidité, toute la fratrie s'attelle à gaver la voiture comme une oie sauvage. Des emplettes en prévision d'une guerre mondiale, les malles d'un long périple, des vélos en apesanteur, ballons de foot pris dans des filets, une table de trictrac éclopée, un barbecue rongé, on prévoit tout. Tous ces objets aujourd'hui désuets, à l'heure des manettes qui coûtent un bras, suffisaient à meubler nos heures perdues, lorsque nous n'étions pas suspendus à des arbres fruitiers ou gambadant sur une marelle improvisée avec des débris de craie rose, unique et jovial souvenir d'école.

En chemin, tandis que les montagnes grignotent les lumières du littoral et que l'air gifle nos faces d'enfants à coups de plus en plus frais, on traçait l'autoroute de nos vacances. On y prédisait les virages sinueux, y comptait les « mazar », jalousait les joues couleur marshmallow des gamins de la montagne et enviait moins leurs villas montées en forêts blanches. Mais l'étape que l'on espérait follement, pour laquelle on quémandait et trépignait, c'est le stop chez le vendeur ambulant à l'entrée du village, à la recherche de « fer2e3 ». On s'empressait alors d'ouvrir la portière, avant même que la voiture ne s'arrête, quitte à s'attirer les foudres des parents. Et là, face à un stand multicolore made in China, les yeux truffés d'étoiles, on négociait un « jabal nar », une boîte de pétards en forme de bébé grenade ou de minables tiges scintillantes. Parfois même papa et oncles s'y mettaient aussi. Car les feux d'artifice sont au Liban ce qu'est l'apéro à la France ou l'Italie, la bière-pop-corn aux États-Unis : un loisir explosif, voire un véritable phénomène sociologique, sans lequel les nuits (d'été) n'auraient pas la même saveur.

Des « oh » et des « waw »
Les jours de fête, et on en connaît une pléiade dans ce pays, les 14 août, puis ceux qui célèbrent les Mar Élias, Charbel, Hardini, les saintes Rita, Rafka, Takla, l'armée ou Monsieur tout-le-monde, on agence ces batteries de mortier sous un soleil fascinant qu'on ressuscite la nuit venue. Et nous, gamins, toisions de loin cet alignement parfait sans jamais s'en approcher, traumatisés par les racontars de membres éclatés et de forêts carbonisées que nos parents ne nous épargnaient pas. Dans la pénombre du bois avoisinant, sous les pins tendant leurs bras à un ciel imbibé de noir, l'un des hommes, même pas peur, se réjouit d'enflammer la mèche de ces bombes divertissantes. Un essaim de bourdons bruyants surgit alors dans un éclair. Déchiré, le ciel. Frissons sur les épaules de papa, histoire de gagner quelques centimètres au spectacle. Le nez scotché à l'au-delà, pris dans ces géométries très variables et ces scoubidous aériens, nos esprits d'enfants se laissent totalement aller, sans résistance, sans même savoir où. Nos bouches se dessinaient spontanément en forme de « oh ! » et de « waw ! ». À la fin de la représentation, nous délaissions le « herch » pour s'installer au haut de la vallée, et assister à la suite qui se passait sur les collines d'en face ou sur le littoral.

Décrocher les étoiles
Des festivités loin de cet esprit bon enfant, dans le genre tape à l'œil, spécialité de la maison. On dépense des fortunes un soir de noces, des milliers de dollars qui partent en fumée, alors que la jeune mariée a loué sa robe pour la soirée. On torsade les têtes des gens comme des derviches tourneurs, en croyant dissimuler la baie gruyère de Jounieh en sept minutes de pétards et d'artifice. On assourdit tout le voisinage, pour crier haut (et c'est le cas de le dire) que le petit a empoché son brevet. Quel exploit. On ameute la ville en entier, ravive toute une armée de peurs, au cas où le discours de quelque leader barbu n'aurait pas suffi. Un étalage de muscles grandeur nature, échelle cieux. Propulser nos pétards mouillés dans un sprint effréné vers l'au-delà, dans le but de faire grimper notre tour un peu plus que celle des voisins.

Tout cela est-il bien raisonnable, cette pétarade bling-bling à l'heure où la rigueur serait sans doute plus appropriée? C'est à se demander pourquoi, dans un pays qui a inlassablement connu les frissons lugubres des obus et les sciantes déflagrations des bombes, le peuple jouit littéralement à l'idée, au son et à la vue de ces pseudofusées catapultées dans des firmaments encrés ? Peut-être pour assouvir cette envie monomaniaque de décrocher les étoiles. Ou sans doute pour avoir l'impression de jouer dans le ciel des grands?

 

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C'est surtout une tradition d'été. Adieu les pénitences, les cahiers au feu et les livres au milieu. L'appartement de ville emmailloté dans des housses veinées d'humidité, toute la fratrie s'attelle à gaver la voiture comme une oie sauvage. Des emplettes en prévision d'une guerre mondiale, les malles d'un long périple, des vélos en apesanteur, ballons de foot pris dans des filets, une...

commentaires (4)

Les feux d'artifice c'est toujours beau à regarder!

Dounia Mansour Abdelnour

11 h 01, le 04 juillet 2015

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Commentaires (4)

  • Les feux d'artifice c'est toujours beau à regarder!

    Dounia Mansour Abdelnour

    11 h 01, le 04 juillet 2015

  • Tres sympa, :)

    Christine KHALIL

    09 h 34, le 04 juillet 2015

  • les papistes sont très festifs et frivoles ...Est-ce un signe d'anti-maturité chronique ...?

    M.V.

    08 h 27, le 04 juillet 2015

  • domage pour ces paroles aigries et subjectives,par in si joli matin. Joanna Rbeiz

    Geha bel Day3a

    07 h 02, le 04 juillet 2015

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