Chers Général et Hakim,
C'est avec beaucoup d'émotion que j'ai reçu, en tant que citoyen libanais d'abord, chrétien ensuite, cette déclaration officielle d'intentions qui marque le couronnement des négociations entre vos deux formations, couronnement qui vient remplacer cette couronne d'épines longtemps enfoncée dans le crâne de la population libanaise, et sa communauté chrétienne en particulier.
Cette déclaration d'intentions est perçue par moi (et je suppose par beaucoup d'autres) comme les prémices de réunification du corps chrétien libanais, longtemps déchiré, écartelé et crucifié sur le Golgotha des tribulations temporelles et des ambitions personnelles. Les épreuves de ce corps chrétien, au Liban et dans la région, ne sont pas sans rappeler celles du corps du Christ, livré aux tourments, dans l'espoir de voir ce corps chrétien ressusciter par le corps du Christ, même s'il lui aura fallu non pas trois jours pour le faire, mais environ trois décennies.
Je vous conjure, par la présente lettre, de transformer les « intentions » en une « promesse », promesse d'une « bonne nouvelle » sur notre terre, dans l'esprit de la bonne nouvelle qui nous est venue du Ciel.
Je vous appelle à compléter votre rédemption et à sceller cette union entre frères dans la même foi, à mettre de côté les rivalités issues des considérations politiques, aussi déterminantes soient-elles, à jeter mutuellement du lest et à vous livrer à la sagesse christique en véritables chrétiens, à vous départir des luttes partisanes au profit de la lutte pour le bien de la patrie et de toutes ses communautés, en commençant par ressouder la vôtre, par recoudre, ensemble, le tissu chrétien réduit en lambeaux. S'il nous est demandé, dans l'Évangile, d'aimer nos ennemis, combien, à plus forte raison, l'amour des gens de notre propre maison devient-il impératif ; s'il nous est demandé de secourir l'étranger, selon la parabole du Bon Samaritain, combien, à plus forte raison, le secours de nos propres frères et sœurs va-t-il de soi, et ceci afin de mieux aimer l'ennemi et mieux secourir l'étranger. S'aimer et se secourir soi-même d'abord n'est-il pas le passage obligé pour l'amour et le secours d'autrui ? Charité bien ordonnée ne commence-t-elle pas par soi-même ?
Je vous appelle à vous inspirer de Lui et considérer, vous aussi, que votre royaume n'est pas de ce monde. C'est ainsi que vous pourrez instaurer un royaume de paix sur ce morceau de terre martyrisée, de sorte à ce qu'il serve d'exemple et rayonne dans toute cette région livrée aux forces du mal.
Afin de vous faciliter la tâche que vous avez déjà courageusement entreprise, faut-il vous rappeler que vous avez partagé – à travers vos partisans respectifs – les souffrances et le martyre des persécutions durant la période dite de « la tutelle » ? Que vous avez partagé un même combat ? Une même résistance ? Les mêmes tortures ? Un même deuil ? Que vous avez partagé un même rêve ? Un même rassemblement un certain 14 mars 2005 ? Que vous avez réalisé les mêmes objectifs ? Avant de vous (re)séparer pour cause de rivalités, de luttes de pouvoir, d'erreurs de jugement, de part et d'autre, et vous faire « récupérer » par les autres partis politiques, de sorte à servir les agendas idéologiques de leurs gourous régionaux ? Et ceci sans vouloir, ici, délimiter les responsabilités de chacun, qui ne sont certes pas égales, le moment étant à la concrétisation des bonnes intentions, à la préparation d'un meilleur avenir, et non à la répartition des fautes et à la rumination du passé.
Et parlant d'intentions, cette déclaration ne vient-elle pas démontrer que vous partagez, aussi, les mêmes principes ? La même souveraineté nationale ? Le même respect des institutions ? Les mêmes valeurs démocratiques adaptées à la spécificité libanaise ? La même soif d'un vivre-ensemble ? N'est-il pas dommage que cette plateforme commune ne vous ait pas réunis plus tôt ? Mais mieux vaut tard que jamais... ou que trop tard. Car la situation du pays ne peut plus souffrir les rivalités personnelles, partisanes, idéologiques, sectaires... Et le corps chrétien ne peut plus rester ainsi démembré. Il vous appartient, en tant que leaders chrétiens, de réunir tous les membres de ce corps afin qu'il reflète le corps du Christ. Il vous appartient de purifier et unifier la conscience de notre communauté, de lui faire transcender ses blessures, ses rancœurs, son amertume, afin qu'elle puisse s'harmoniser avec elle-même puis avec son environnement, et lui inoculer les valeurs chrétiennes. Afin que tous les corps communautaires s'assemblent en un corps national.
Il vous appartient donc de poursuivre le chemin de rédemption jusqu'à la résurrection du corps chrétien, avec tous ses membres, y compris ceux qui, encore, ne vous ont pas rejoints, tels que le leader chrétien des Marada, qui est attendu dans ce processus de réconciliation, à qui il est demandé de faire preuve de la même transcendance dans une même démarche rédemptrice. Il vous incombe aussi de convaincre vos alliés respectifs des autres communautés du bienfait national de votre « alliance » et de vous soustraire à leurs influences, car il n'est pas dit que cette « bonne nouvelle » intentionnelle en est une pour eux également.
Il vous est demandé d'user de tous vos pouvoirs charismatiques de persuasion pour convaincre les récalcitrants de vos propres partis, ainsi que vos partisans habitués à se nourrir de rivalités, d'embarquer dans cette belle croisière qui verra flotter, au-dessus des pavillons communautaires légitimes, le pavillon national pour arriver à bon port où il fera bon vivre dans la paix, la convivialité et la fraternité.
Ronald BARAKAT
Nos Lecteurs ont la Parole - Ronald BARAKAT
Lettre ouverte au général et au hakim
OLJ / le 04 juillet 2015 à 00h00
commentaires (5)
Soyons lucides, avec les naturalisations de syriens, d'iraqiens, de palestiniens etc... qui vont tomber immanquablement comme au temps de Elias Hraoui, les chrétiens ne seront bientôt que 10% de la population libanaise. Pendant ce temps, laissez les Aoun, Geagea, Frangié et consorts danser leur dabké jusqu'au jour, plus proche qu'on ne le croit, sera transformé en danse macabre devant des villes et villages vidés de leur substance chrétienne. Merci de me lire.
Un Libanais
16 h 39, le 06 juillet 2015