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Nos Lecteurs ont la Parole - Carine CHAMOUN CHAMMAS

Drame en cinq actes

Le Liban est un drôle de pays. Plus que partout ailleurs, l'actualité s'y déroule à la vitesse de la journée, un fait en chassant un autre. En cette ère du multimédia, des connexions tous azimuts tout un chacun peut s'exprimer sur tout et n'importe quoi. Aptitude largement développée par le Libanais depuis la nuit des temps, tant ce qui se passe dans la cour du voisin lui a toujours paru plus palpitant que son morne quotidien. Cette aptitude s'est déchaînée récemment sur les écrans, les réseaux sociaux et les salons.Tout le monde s'est découvert une vocation de justicier, de médecin, de scientifique, etc. Alors qu'en fait, ce que nous avons vu n'était rien d'autre qu'une tragédie.
Acte I : un nourrisson tombe malade. Soigné par son médecin, veillé par ses parents. Sa situation se dégrade. Il est hospitalisé pour surveillance. Déja l'ombre du malheur plane. Mais personne ne la voit. Les parents la ressentent avec leurs tripes. Le chœur des résidents, infirmières et autre personnel médical est focalisé sur des analyses. Un traitement est débuté. Qui soulage momentanément les blouses blanches. Les parents eux qui ont leurs yeux sur leur enfant sentent venir la catastrophe. Mais ils sont bien les seuls. Toujours les tripes.
Acte II : le médecin relativement tranquillisé par les rapports parvenant de l'hôpital arrive au matin. Il n'est plus question de tripes. Vite il faut agir. Mais vite est un adverbe qui n'existe pas au Liban. Rien ne va vite. Ni les routes, ni les administrations, ni les procédures. Au bout du parcours, pour sauver le nourrisson, il n'y a plus que la solution extrême. Et des chirurgiens de l'extrême. Au bout de leurs bistouris, il n'y a que deux voies. La mort ou la vie. La vie sans tout ce qui la fait bouger, sauter, courir, danser, avancer. À la seconde du choix, je ne sais ce qui leur a traversé l'esprit. Hommage leur soit rendu, parce qu'une vie avance aussi en esprit, en rires, en amour, en rêves.
Acte III : l'enfant se rétablit. Son corps cicatrise. Son rire illumine son entourage. Le cœur des parents saigne. À vif. Les « si » viennent les hanter. Ils ont échoué à protéger leur enfant, croient-ils. Le médecin a failli à son devoir. Pourquoi ne les a-t-il pas cru quand ils lui disaient sentir et voir le malheur ? Comment faire maintenant pour que leur fille ait une vie dans un pays où les gens munis de tous leurs membres peinent à avancer ?
Acte IV : voici venir les charognards. Ceux qui se repaissent du malheur d'autrui. Le chœur lugubre des Cassandre. C'est l'hallali sur le médecin. Sur tous les médecins accusés de tous les maux. Qu'ils pourrissent en prison. Eux qui ne voient dans le malheur des autres que matière à remplir leurs poches. Eux qui tarifent leur science même pas exacte. Eux qui font partie d'une confrérie opaque aux règles ésotériques qui leur permet d'échapper à la justice et de briguer des postes d'honneur.
Acte V : sur scène, Ella et son sourire innocent. Qui ne sait pas qu'elle n'a plus ni mains, ni jambes. Qui va devoir apprendre à vivre sans.
Ses parents qui vont devoir chercher aux 4 coins du globe de quoi rendre à leur fille ses mouvements. Aux 4 coins du globe et à prix d'or. D'où ? Le médecin qui jour et nuit vivra avec Ella. Il sait qu'il n'a pas fauté. Mais il pense qu'il a failli. À sa promesse, à sa vocation. Ella restera jusqu'à son dernier soupir la preuve que sa science n'est pas infuse. Ella qui, à elle seule, a effacé des années d'abnégation et de dévouement, de vies sauvées et de sourires rendus. Ella qui le soir, quand il se couche, lui murmure à l'oreille : à quoi bon ?
Le juge qui va devoir trancher. En vérité, même Salomon a eu la tâche plus facile. Tant il est vrai qu'il n'y a pas de coupable dans ce procès. Il n'y a que des victimes. Ou si coupable il y a, il n'est pas justiciable, car c'est le temps. Le temps qui a été plus vite que la science et plus vite que l'amour.
Le chœur qui s'éloigne vers d'autres malheurs et d'autres scandales.Vite. Avant de se faire dépasser.

Le Liban est un drôle de pays. Plus que partout ailleurs, l'actualité s'y déroule à la vitesse de la journée, un fait en chassant un autre. En cette ère du multimédia, des connexions tous azimuts tout un chacun peut s'exprimer sur tout et n'importe quoi. Aptitude largement développée par le Libanais depuis la nuit des temps, tant ce qui se passe dans la cour du voisin lui a toujours paru...

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