Les sondages sont à la mode on le sait. On peut en organiser sur pratiquement n'importe quoi allant des questions importantes aux plus futiles. Il existe de grands instituts en la matière qui sont en mesure de donner une estimation très proche de la réalité en organisant des sondages à la sortie des bureaux de vote lors d'un processus électoral. L'intérêt de ces méthodes est double.
S'ils sont mis en œuvre avant un scrutin, ils permettent aux appareils politiques d'adapter leur stratégie afin d'espérer convaincre plus de citoyens. Ils peuvent donc influencer la tranche des indécis dans un sens ou dans l'autre. C'est pourquoi, dans les pays qui se respectent et qui respectent le libre choix de l'électeur, les sondages sont interdits de publication dans la semaine qui précède tout scrutin.
Si, par contre, les sondages sont réalisés à la sortie des urnes, ils permettent de connaître et/ou d'avoir une idée approximative des pourcentages qu'ont pu obtenir les différents camps en compétition. Dans ce cas, les chiffres constituent l'aliment de base des talk-shows médiatiques en attendant les résultats du décompte réel des voix.
Comment, dès lors, comprendre la toute dernière toupie que le général Michel Aoun a lancé aux citoyens libanais qui sont tombés dans le piège infernal : jouer avec la toupie, regarder tourner la toupie, apprécier le mouvement de la toupie, tourner autour de la toupie qui tourne sans pouvoir tenir la toupie en main et la faire tourner comme on veut. Cette toupie folichonne s'appelle pompeusement « sondage intrachrétien ».
Dans tout sondage, on commence par choisir un échantillon de personnes qu'on déclare être représentatif d'un groupe social. Dans le cas qui nous occupe, le groupe qu'on ne peut pas interroger dans son entièreté, un par un, s'appelle « collège électoral ». Ce dernier est supposé, depuis plus de 400 jours, élire un nouveau président de la république libanaise. On pourrait penser qu'il suffirait de sonder les intentions de vote de 128 parlementaires libanais, de manière anonyme. Jusqu'à présent, nous connaissons les noms de messieurs Geagea et Hélou comme candidats. Le citoyen Michel Aoun n'a pas déclaré, par les voies officielles, sa candidature. Donc, on ne peut pas sonder les députés sur la popularité du général de Rabieh parmi eux.
On détourne la question en jetant en pâture à l'opinion publique l'idée imbécile, antidémocratique et non-citoyenne, de ce grotesque sondage de la population chrétienne quant au pourcentage de popularité, en son sein, de Michel Aoun et de Samir Geagea. Comme si l'ensemble de la société chrétienne de ce pays se résumait à ces deux hommes. On ne prend même pas la peine d'établir une liste de personnalités et de sonder un échantillon représentatif de tous les Libanais, et pas seulement des chrétiens, quant à leur préférence. Cela montre à quel point le camp d'où a jailli cette idée est absolument réfractaire à l'unité du peuple libanais et lui préfère l'atomisation identitaire. On impose à l'opinion publique de se prononcer entre les deux protagonistes de la phase la plus cruelle, la plus destructrice et la plus sanglante de la guerre civile libanaise, celle du conflit interchrétien Aoun vs Geagea. Ce sondage, s'il a lieu, serait l'équivalent statistique du combat que ces deux chefs maronites se livrent depuis 1989. Ses résultats ne seraient qu'un enjeu d'un passé qu'il faudra bien enterrer un jour.
Le sondage avec lequel on tente d'amuser les citoyens est une duperie perverse, une de plus, du coup d'État permanent que nous fait vivre le binôme Nasrallah-Aoun depuis 2006. Tout est bon pour court-circuiter les procédures constitutionnelles : table du dialogue, document d'entente, compromis verbaux, loi électorale orthodoxe, campagne en faveur d'une tripartite, viol flagrant de la Constitution, etc. Tout cela, y compris la toupie du sondage actuel, converge vers un seul but : la paralysie criminelle de l'État libanais avant sa mise à mort définitive par le Hezbollah pour le compte de l'hégémonie iranienne.
La seule, l'unique réaction saine et citoyenne face à cette manœuvre méprisable est de dire au général Aoun et à son groupe de députés de mauvaise foi : vous avez été élus par le peuple pour exécuter un mandat que le peuple vous a confié. Allez, toutes affaires cessantes, au Parlement et élisez un
président.
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commentaires (8)
Merci pour cet article qui met les points sur les "i"
Soeur Yvette
12 h 23, le 03 juillet 2015