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Liban - Réformes

Le paradoxe de la création d’un ministère des Droits de l’homme au Liban

Mme Sarkis s’entretenant avec M. Renaud à l’issue de la conférence.

La création d'un ministère des Droits de l'homme au Liban est-elle la solution adéquate aux nombreuses violations flagrantes qui ponctuent l'actualité libanaise ? Dans un système aussi dysfonctionnel que le nôtre, pouvons-nous espérer d'une nouvelle structure publique qui viendrait se greffer à un gouvernement déjà suffisamment ankylosé qu'elle puisse assumer sa mission comme attendu ?
Telle est la réflexion que poursuit, depuis un an exactement, Reina Sarkis, psychanalyste et professeure d'université, avec un groupe d'intellectuels assoiffés de réformes et déterminés à une action protectrice des droits du citoyen.


Quelques chiffres éloquents que l'on tend souvent à ignorer ou à occulter : selon plusieurs études compilées par Reina Sarkis, le Liban se trouve à la 106e place mondiale en matière de protection des droits de l'homme ; il se place au 86e rang sur le plan des pratiques démocratiques, avec près de 16 000 ONG dont l'efficacité est proportionnellement inverse au nombre de victimes d'abus et de violations au quotidien.
Lancé il y a un an, le projet de création d'un ministère des Droits de l'homme – « ou d'une autre métastructure » – fait son chemin, lentement mais sûrement, non sans buter au passage contre des obstacles de taille. Les porteurs du projet affirment ne pas vouloir faire de faux pas. Ils attendent les résultats des études budgétaires, de faisabilité, de positionnement stratégique et des fondements légaux et constitutionnels confiées à des experts pour décider de l'avenir d'un tel projet. L'important, assurent-ils, est d'ouvrir le débat et de rester à l'écoute, un peu comme en psychanalyse, sans rigidité aucune.
« La dynamique est encore un peu timide, précisément par mesure de précaution, affirme Reina Sarkis. D'abord, pour donner à la réflexion le temps de maturité nécessaire. Ensuite, pour rester conséquents avec nous-mêmes, à savoir que nous ne voulons arborer ou adopter aucune couleur politique. Le projet devra être national par excellence, sinon il ne sera rien du tout. »
Mais la fondatrice reconnaît d'emblée la difficulté de taille à laquelle ils font face : paradoxalement, alors que le projet est supposé être à l'abri des tiraillements politiques, il a besoin des chefs politiques en définitive. Et c'est précisément là où le bât blesse : comment un ministère des Droits de l'homme sera-t-il capable de dénoncer sévices et abus de tout calibre souvent commis par d'autres ministères et couverts ou occultés par le gouvernement dont il fait partie ?

 

(Lire aussi : Liban : Détenu et battu pendant trois semaines pour homosexualité et un test de drogue... négatif)


C'est un peu cette situation schizophrène que relève le vice-représentant régional du bureau du Haut-Commissariat des droits de l'homme, Renaud Detalle, qui rappelle à juste titre que les violations sont généralement commises par les États, et c'est donc contre l'État qu'il faut agir.
« En même temps, c'est toujours avec l'État qu'il faut coopérer pour améliorer la situation, un travail qui doit nécessairement passer par les trois pouvoirs judiciaire, exécutif et législatif. » Le diplomate tient à rappeler d'ailleurs que l'idée de la mise en place d'une structure de ce type n'est pas nouvelle dans le monde arabe qui, depuis longtemps, est familier avec la Cour pour les abus de pouvoir (Diwan al-Mazalem). « Il reste à savoir quel est le meilleur moyen à mettre en place pour la promotion des droits de l'homme », relève M. Detalle.


À ce paradoxe du « juge-criminel » viennent se greffer les constats d'échec faits par plusieurs journalistes et observateurs de la vie publique au Liban, ainsi qu'une amertume couplée de doute ressentie toutes les fois qu'un nouveau projet de réforme s'annonce.
Journaliste et homme de culture, Élias Khoury énumère la panoplie des violations commises au Liban – violence domestique, torture, droits bafoués à chaque coin de rue – dans un contexte où le « monde arabe est pris dans un cycle de barbarie jamais vu auparavant ».
Il résume la situation par ce constat-clé : « Au Liban, il n'y a aucun lien entre l'homme et les droits, parce qu'au Liban, il n'y a pas d'individus, il n'y pas de groupes ni de classes sociales, mais seulement des communautés. » « Nous sommes tous des étrangers dans notre propre pays. Des étrangers évoluant dans un système communautaire », dit-il. « Comment créer un ministère des Droits de l'homme dans un tel contexte ? » s'interroge le journaliste, avant de pousser jusqu'au bout la logique défaitiste : « Je considère que ce projet, tout comme le reste des projets de réforme qui sont par ailleurs nombreux, n'est autre qu'un exercice de plus qui nous permettra en définitive de constater que le régime actuellement en place ne peut être réformé. »

 

(Pour mémoire : Plus d'une femme sur deux arrêtées au Liban est torturée, révèle le CLDH)


C'est le même type d'interrogations sceptiques que soulève son collègue Hazem Amine, qui se demande si la création d'un ministère des Droits de l'homme dans un système corrompu peut réussir. Pour lui, si l'on est en présence de lois protégées par une justice indépendante, pas besoin d'un ministère des Droits de l'homme. Le journaliste reste toutefois convaincu de la nécessité d'aller de l'avant pour continuer à évoquer la question des droits de l'homme sur une large échelle et de poursuivre la lutte, quelle que soit la forme qu'elle prendra.
Parmi les structures de substitution à retenir en lieu et place d'un ministère spécialisé (dont les expériences n'ont d'ailleurs pas été concluantes partout dans le monde) : les institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l'homme, dont le cadre de référence est celui des « principes de Paris ». Plusieurs États arabes y ont déjà adhéré (l'Égypte, le Maroc, l'Algérie, le Qatar). Le Liban serait bien en retard pour rattraper le temps perdu.
Une chose reste cependant présente à l'esprit : une structure officielle pour la défense des droits de l'homme ne suffit pas pour amorcer des changements fondamentaux, si la volonté politique n'y est pas.

 

 

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La création d'un ministère des Droits de l'homme au Liban est-elle la solution adéquate aux nombreuses violations flagrantes qui ponctuent l'actualité libanaise ? Dans un système aussi dysfonctionnel que le nôtre, pouvons-nous espérer d'une nouvelle structure publique qui viendrait se greffer à un gouvernement déjà suffisamment ankylosé qu'elle puisse assumer sa mission comme attendu...

commentaires (3)

Il ne faut pas chercher midi à 14 heures, les droits de l'homme au Liban commencent par le droit d'accéder à la mer pour tous les citoyens du pays. Les droits de l'homme ne donnent pas le droit à qui que soit d'occuper le domaine public maritime. Il faudrait commencer par ces deux cas. Ce sont le A B de l'alphabet des droits de l'homme aussi bien au Liban qu'en Zoulouland. Commencez par Jounieh puis continuez jusqu'à Arida au nord et à Naqoura au sud.

Un Libanais

18 h 20, le 03 juillet 2015

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Commentaires (3)

  • Il ne faut pas chercher midi à 14 heures, les droits de l'homme au Liban commencent par le droit d'accéder à la mer pour tous les citoyens du pays. Les droits de l'homme ne donnent pas le droit à qui que soit d'occuper le domaine public maritime. Il faudrait commencer par ces deux cas. Ce sont le A B de l'alphabet des droits de l'homme aussi bien au Liban qu'en Zoulouland. Commencez par Jounieh puis continuez jusqu'à Arida au nord et à Naqoura au sud.

    Un Libanais

    18 h 20, le 03 juillet 2015

  • MINISTÈRE DES DROITS DE L'HOMME... DONC... DROITS DES FEMMES ! LES ENTURBANÉS SERAIENT LES PREMIERS À LE REFUSER !

    LA LIBRE EXPRESSION

    18 h 19, le 03 juillet 2015

  • Au Liban tout existe Madame Reina Sarkis ... même le code de la route ....! hélas ,jamais appliqué réellement...à part le jour de l'inauguration...! pour ce qui est , des droits de l'homme ...(pourquoi pas aussi de la femme) ...j'ai bien peur que le code de la route, sera plus performant en l'état, que les droits de l'homme.....

    M.V.

    12 h 04, le 03 juillet 2015

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