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Moyen Orient et Monde - Analyse

La barbarie de l’EI, un moyen de terroriser et de soumettre

Le psychiatre libanais Chawki Azouri analyse la fonction des châtiments extrêmes dans la psychologie collective des sociétés.

Capture d’image d’une vidéo du 16 novembre 2014 diffusé par le site de propagande de l’EI, al-Furqan Média, qui montre les membres du groupe jihadiste mettre en scène les préparatifs des décapitations d’une quinzaine de militaires syriens. Photo / AFP

Les membres de l'État islamique (EI) ont franchi, hier, un nouveau stade dans les atrocités commises en Syrie en procédant à la décapitation, pour la première fois, de deux femmes, accusées de sorcellerie. L'an dernier, le groupe avait exécuté par balles plusieurs militantes sunnites irakiennes qui avaient dans un premier temps soutenu l'insurrection avant de s'opposer à l'ordre imposé par l'EI. La méconnaissance du patrimoine juridico-théologique de l'islam et la confusion entretenue par des groupes terroristes faisant référence à la tradition musulmane font oublier les origines de la barbarie et sa fonction. Ces décapitations qui peuvent sembler un retour brutal au Moyen Âge ne sont en réalité qu'un moyen de « recycler » des pratiques modernes de la terreur au service d'une stratégie politique de contrôle.

Filiation historique
Pour rappel, les pratiques de décapitation ont été systématisées sous le système colonial, comme instrument de gouvernabilité et contrôle des populations. Le livre L'honneur de Saint-Arnaud réédité en 2012 par François Maspero est une autobiographie du maréchal qui retrace la conquête coloniale en Algérie, la pacification dans le sang, les actes de barbarie du boucher français. Ces pratiques seront ensuite reprises durant la guerre d'Indochine et dans le cadre de la théorie contre-insurrectionnelle dont le continent latino-américain deviendra le principal laboratoire d'essai.

 

(Dossier : « Califat » de l'Etat islamique, an I : et maintenant, le monde va où ?)

 

C'est ce que démontre Marie Monique Robin à travers son enquête (Escadrons de la mort à l'école française, 2008) réalisée à partir de nombreux entretiens avec des militaires français, américains et latino-américains. Ce livre éclaire de quelle manière les méthodes employées pendant la guerre d'Algérie ont ensuite été enseignées aux États-Unis et en Amérique latine. L'officier militaire français David Galula, théoricien de la contre-insurrection, avait lui-même joué un rôle de premier plan dans l'École militaire des Amériques au Panama. Par la suite, ce seront les moujahidines formés par les services secrets saoudiens et pakistanais avec l'aide de la CIA qui bénéficieront de cette formation et se livreront à des actes barbares durant la guerre d'Afghanistan de 1979, et parmi eux les futurs dirigeants d'el-Qaëda. Ces techniques seront également importées à partir de 2003 en Irak. John Negroponte, ambassadeur des États-Unis à Bagdad, qui avait lui-même était l'artisan de coups d'État et dirigé les guerres contre – insurrectionnelles en Amérique latine, appliquera ces méthodes contre la guérilla sunnite. La fonction sociale de ces « châtiments » est expliquée chez le philosophe Michel Foucault qui, dans son livre Surveiller et punir, articule la relation entre la punition et le pouvoir et montre que la punition sert un objectif politique. Il développe l'importance du rôle du peuple comme « spectateur » et témoin de la punition, pour terroriser les esprits.

C'est également ce qu'explique le psychiatre libanais Chawki Azouri qui rappelle l'importance de la fonction punitive dont l'ultime finalité serait de terroriser, mais insiste sur la nouveauté induite par l'État islamique, c'est-à-dire « la mise en scène et le développement d'une industrie médiatique pour semer la terreur, provoquer la soumission et assigner un statut de dominé ».


(Lire aussi : La décapitation, arme psychologique des islamistes)

 

La psychanalyse explique le « succès »
Si cette stratégie fonctionne, c'est d'un point de vue psychanalytique. « Dans l'inconscient de chacun d'entre nous, il y a les fantasmes et les pulsions meurtrières qui remontent à l'enfance. Dans les pulsions meurtrières de l'enfant de 3 ans, on retrouve les décapitations, les mutilations, les castrations ; ce que nous donne à voir Daech (acronyme arabe de l'EI), c'est ce que nous avons déjà vécu dans nos fantasmes, mais qui a été refoulé. »

Selon M. Azouri, la décapitation des femmes participe de cette stratégie de terreur, mais si l'effet est plus marquant dans la psychologie collective, c'est parce qu'elle sous-tend l'idée qu'il n'y a plus de limites à l'horreur. « Les lois internationales qui régissent le droit de la guerre, comme la convention de Genève, jouent le rôle de surmoi. Elles posent des contraintes morales pour traiter humainement les prisonniers de guerre, interdire la torture et assurer la protection des personnes âgées, des femmes et des enfants. Or le fait de décapiter des femmes signifie que viendra le tour des enfants, nous avons atteint le stade suprême de l'horreur puisqu'il n'y a plus de limites. » M. Azouri insiste également sur un nouvel aspect dans l'exercice de ces méthodes. « La pratique coloniale avait recours à ces méthodes contre ceux qui étaient perçus comme des ennemis, à qui l'on fait subir des châtiments corporels et des actes de tortures. Daech inflige des châtiments collectifs gratuits aux gens de l'intérieur, à ceux de la communauté qu'il s'est rallié et qu'il gouverne », précise-t-il.

 

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