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Liban - Biens-fonds maritimes

À Enfeh, la « petite Grèce » pourrait disparaître

Les propriétaires des chalets pittoresques construits sur d'anciens marais salants ont déjà reçu un avis pour démolir leurs constructions. Leurs propriétaires craignent de faire seuls – ou presque – les frais de l'application de la loi.

Une zone appréciée par un public de plus en plus vaste. Photo Suzanne Baaklini

Sur les routes côtières du Liban, rares sont les endroits à partir desquels on peut avoir un libre accès à la plage, un droit pourtant consacré par la Constitution. Aujourd'hui, il semble que des avis aient été envoyés à l'ensemble des responsables d'empiètements sur les biens-fonds maritimes, par décision du procureur général financier, pour démolir les installations qui se trouvent sur les biens-fonds publics – ce qui correspond à une revendication sociale et environnementale de longue date –, mais des observateurs se demandent déjà sur quels types de construction la loi sera effectivement appliquée.

À Enfeh, au Liban-Nord, les propriétaires de charmants petits chalets bleus et blancs ont reçu, comme d'autres, des avis de démolition. Ils seront convoqués une nouvelle fois à la gendarmerie le 15 juillet, pour entendre la décision finale du juge. Ce n'est pas la première fois que cela se produit, au fil des ans, mais les propriétaires n'en sont pas moins inquiets. Ils lancent un cri d'alarme : « Serons-nous les seuls sur qui s'appliquera la loi ? Au vu de l'ampleur des empiètements sur toute la côte, est-il possible que la démolition soit généralisée, ou bien les plus puissants seront-ils épargnés ? »
D'un point de vue juridique, il est indéniable que ces chalets sont construits illégalement sur des biens-fonds publics maritimes. Certains l'ont été dans les années 80, c'est-à-dire en pleine guerre, d'autres dans la première partie des années 90. Leur histoire diffère cependant de celle d'autres établissements sur la côte, et nombreux sont ceux qui en regretteraient le charme pittoresque et unique.
Sur un plan social, les familles qui les possèdent sont les mêmes qui extrayaient le sel des marais salants d'Enfeh jusqu'aux années 80, avant que ces entreprises traditionnelles familiales ne disparaissent, terrassées par la concurrence du sel industriel importé. Après l'arrêt de cette activité axée sur le sel, une grande partie des marais salants ont servi de fondations à ces petites baraques d'un étage. Sur place, on peut constater que les constructions épousent la forme des rochers et des anciens marais, sans en altérer la nature, du moins en apparence.

En 2008, grâce à un financement de la Banque mondiale (BM), les chalets ont été peints en blanc et bleu, de manière à revêtir un aspect uniforme. Les visiteurs tombent littéralement sous le charme de l'endroit qui a des airs de « petite Grèce », comme l'indique son surnom. Il est tout à fait possible de débarquer à Enfeh et de profiter d'un petit coin de mer, dans l'un des endroits les moins pollués de la côte, selon les divers rapports annuels sur la pollution côtière publiés par le Conseil national de la recherche scientifique (CNRS). L'eau y est d'ailleurs claire, et l'atmosphère dégage une paix palpable. Un pêcheur attend patiemment d'attraper un poisson grâce à sa canne à pêche. Deux hommes jouent au trictrac. Quelques femmes bronzent sur des chaises longues. Le temps semble suspendu dans cet univers antique, ce promontoire archéologique qui a vu passer de multiples civilisations.

« Nous n'empêchons personne d'arriver à l'eau »
Devant son petit chalet où il dit venir se ressourcer, Nazih Darrak raconte que le marais salant appartenait à son grand-père. « Nous avons construit le chalet après la fermeture de notre exploitation familiale dans les années 80, dit-il. Nous étions alors en pleine guerre, aucune autorité n'a exigé de permis. C'est en 2000 que nous avons été convoqués pour la première fois à la gendarmerie. On nous a notifiés d'une plainte officielle contre nous, parce que nous avons bâti nos chalets sur des biens-fonds de l'État. La première décision de démolition qui nous est parvenue date des années 2007-2008. »
Il est cependant irréfutable que les chalets sont bien construits sur des biens-fonds maritimes. « Cela est vrai, mais les empiètements sur la côte sont très nombreux, dit-il. S'il est vrai que nous n'avons légalement pas le droit d'être là, que fait-on d'un autre principe juridique, celui de l'égalité devant la loi ? Est-ce que l'on va démolir tous les grands complexes en béton, qui ont défiguré la côte et empêché l'accès du public à la mer ? Nous n'accepterons pas d'être les seuls sur lesquels s'applique cette loi. »

Dany Jawhar, un de ses voisins, habitant d'Enfeh comme lui, explique que tous les propriétaires des chalets sont plus ou moins parents. « Nous considérons que nous offrons un service touristique à notre village, dit-il. Les habitants fréquentent cette plage tout l'été. Et ils ne sont plus les seuls : les amateurs de ce coin viennent dorénavant de la capitale et d'ailleurs, ils sont attirés par le pittoresque de l'endroit. Nous n'empêchons personne d'arriver à l'eau, sans compter que nous nettoyons et entretenons les lieux. »

S'ils refusent d'être les seuls à démolir leurs constructions, accepteraient-ils de se plier à une sorte de règlement qui les conduirait à payer des taxes conséquentes à leur occupation de la côte ? « Si c'est ce qui va être imposé, nous voudrions bien nous y conformer, mais cela dépendra du contexte, disent les deux hommes. Mais nous ne pourrons plus offrir autant de services gratuitement, c'est la seule chose qui changera », dit-il.

Même écho auprès du président du conseil municipal d'Enfeh, Makarem Makari. « Les FSI m'ont déjà appelé pour m'avertir de la démarche, dit-il à L'Orient-Le Jour. Je leur ai répondu que nous n'aurons pas d'objection à l'application de la loi, si tant est qu'elle s'applique sur tous les autres empiètements. » Il fait valoir que « ce petit coin a acquis une réelle renommée auprès d'une clientèle venue de tout le pays, pas seulement du village lui-même ».
M. Makari nous assure que son conseil municipal compte s'opposer à une éventuelle décision de démolition par tous les moyens légaux, surtout s'il s'avère que la loi n'est pas appliquée de manière uniforme dans toutes les régions. « Il faut préciser toutefois que ce n'est pas la première fois que de tels avertissements sont envoyés aux propriétaires, un nouveau report n'est pas à exclure », dit-il.
À noter que nous avons tenté hier d'obtenir le point de vue du ministre des Travaux publics, Ghazi Zeaïter, mais en vain.

 

(Pour mémoire : «Des terrains publics, d'une valeur de 500 millions de dollars, menacés de privatisation à Beyrouth»)

Un promontoire archéologique
Il convient de relever dans ce cadre que le promontoire d'Enfeh est bien connu pour son importance historique et archéologique, où de nombreuses civilisations ont laissé leurs marques. La zone des chalets, appelée « sous le vent » car elle est relativement abritée des vents forts qui secouent cette côte habituellement, est surplombée par un chantier de fouilles menées par l'Université de Balamand, qui a permis de faire ressortir de nombreuses couches superposées, témoins d'époques historiques diverses.

Près des fouilles, nous rencontrons Nadine Haroun, directrice du département d'archéologie et de muséologie de l'Université de Balamand. Elle nous apprend que l'intégralité du promontoire, les chalets inclus, a été placée en 1998 sur la liste de l'Observatoire des monuments mondiaux (dressée par l'ONG internationale du Fonds mondial pour les monuments, afin de mettre en relief le danger qui guette certains monuments mondiaux). « À la base, ce classement a été provoqué par un projet de port moderne près de la zone des chalets, dit-elle. En conséquence, cela a mis un terme à une quelconque expansion de ces chalets ou de toute autre activité. »
Concernant les chalets eux-mêmes, l'archéologue reconnaît qu'« ils sont construits illégalement ».
« Mais il y a de nombreuses constructions illégales sur la côte, pourquoi s'acharner à raser ces chalets qui ont un charme fou ? se demande-t-elle. Ils sont nettoyés et repeints à neuf chaque année. Il suffit de demander à la municipalité de gérer cela. D'ailleurs, pour moi, le seul fait que ces gens-là se suffisent de petits chalets en bleu et blanc, sans avoir l'ambition de monopoliser la côte, est une contribution en soi. »

Mais n'y a-t-il pas de risques pour les vestiges archéologiques ?
« Va-t-on démolir ces chalets pour laisser la place à l'archéologie ? J'en doute fort, répond Nadine Haroun. Il faut tout d'abord préciser que ces chalets sont construits sur des marais salants qui, eux, avaient été à la base établis sur des vestiges. Sur un autre plan, nous avons le permis de mener des prospections sur treize kilomètres carrés à Enfeh, dont le promontoire. Les terrains occupés par les chalets ne retarderont ni n'avanceront pas les recherches. Nous effectuons des fouilles actuellement sur le promontoire, et d'autres fouilles sous-marines, pour découvrir des ports antiques s'il en existe. Nous suspectons, à titre d'exemple, la présence d'un port antique sous un grand complexe balnéaire voisin qui occupe la côte. Pourquoi cela ne mobilise-t-il personne ? »

Racha Daaboul, du Comité du patrimoine d'Enfeh et des environs, donne un point de vue similaire. « Il est vrai que les chalets se trouvent dans une zone archéologiquement riche, mais c'est tout le promontoire qui est concerné, pas seulement la zone des chalets, dit-elle. Ces chalets sont bien entretenus, ils suscitent l'admiration de tous les visiteurs, libanais et étrangers. Pourquoi commencer les démolitions à Enfeh alors qu'il y a tant de chaos sur toute la côte ? »
Elle confirme que la plage est ouverte au public, et que seuls « ceux qui dépassent les limites de la bienséance sont priés de quitter les lieux ». « De plus, cette plage, l'un des points les moins pollués de la côte, est devenue un exutoire pour les habitants de la région, ajoute Racha Daaboul. Les familles peuvent s'y rendre facilement et profiter de l'ambiance conviviale, à un moment où les complexes balnéaires sont hors de portée du commun des mortels. »
Il est toutefois légitime que l'État aspire à appliquer la loi... « Si la loi portant sur la restitution des biens-fonds maritimes est appliquée partout sur la côte de manière équitable, il faudra s'y plier, dit-elle. Mais, dans la configuration actuelle, qui me garantit que la démolition de ces chalets ne serait pas le prélude à la construction d'un projet plus vaste, réellement destructeur, appuyé par des personnes influentes ? »

 

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commentaires (6)

Bien sur la loi et rien que la loi ! sans passe droit quel beau rêve pour le Liban ou tout est corruption et clientélisme. Pour preuve les relations élus avec le électeurs ! Oui à la destruction de tout ce qui est construit sur le littoral et si on commençait par la baie de Jounieh ? Le pire c'est certains viennent encore d'empiéter sur le littoral mais voilà ce sont des gentils restaurateurs ou doivent se gaver nos brillants élus

yves kerlidou

18 h 41, le 02 juillet 2015

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Commentaires (6)

  • Bien sur la loi et rien que la loi ! sans passe droit quel beau rêve pour le Liban ou tout est corruption et clientélisme. Pour preuve les relations élus avec le électeurs ! Oui à la destruction de tout ce qui est construit sur le littoral et si on commençait par la baie de Jounieh ? Le pire c'est certains viennent encore d'empiéter sur le littoral mais voilà ce sont des gentils restaurateurs ou doivent se gaver nos brillants élus

    yves kerlidou

    18 h 41, le 02 juillet 2015

  • Le premier ministre grec, Alexis Tsipras, a donné une interview à la télévision publique grecque – ERT. En voilà les points principaux: Les Grecs survivront même sans programme* et ils iront voter. Nous n’abandonnerons pas la démocratie. Nous ferons notre possible pour parvenir à un accord. L’objectif de l’autre camp était de nous forcer à adopter toutes leurs conditions, sans négociation possible. Je suis sûr qu’ils ne nous forceront pas à sortir de l’euro parce que cela coûterait trop cher. Leur objectif était de mettre fin à l’espoir qu’il pourrait y avoir une politique différente en Europe. Ils nous ont donné un ultimatum de 48 heures, cela nous oblige à demander son avis au peuple. C’est la population qui doit décider. Leur décision d’empêcher le référendum en interrompant brutalement le programme sera inscrite dans les pages sombres de l’histoire. Le référendum est la poursuite des négociations à un autre niveau. Nous attendons surtout des dirigeants européens qu’ils respectent le droit démocratique du peuple de voter. Le FMI n’a pas fourni de liquidités à la Grèce depuis l’été 2014, mais il veut qu’on lui rendre tout l’argent. C’est au peuple grec de décider s’il veut un président humilié. Il y a beaucoup de présidents humiliés dans le monde, mais je ne veux pas en être un de mon fait. Les créanciers battront en retraite si le peuple l’exige avec force.

    FRIK-A-FRAK

    16 h 00, le 02 juillet 2015

  • Les Chalets peuvent être sauver puisqu'ils sont jugés plutôt bénéfique pour la région, mais il faudra que la municipalité les reprennent en charge et ceux qui les utilisent doivent payer le loyer ou les taxes y relatifs. A partir de la, il faudra aussi s'attaquer aux requins qui ont détruit la cote en la bétonnant et empêcher les exploitants d'interdire l’accès a la mer a qui que ce soit. Il ne faut pas toujours dire pourquoi nous et pas les autres. Il faut commencer quelque part. Mais après il faut aller jusqu'au bout afin de satisfaire le sentiment de justice au sein de la société.

    Pierre Hadjigeorgiou

    10 h 40, le 01 juillet 2015

  • LES PLUS FAIBLES PAYENT TOUJOURS LE PRIX ! DANS CET ATOLL CRABIEN...

    LA LIBRE EXPRESSION

    08 h 50, le 01 juillet 2015

  • ici, on commence toujours par les petits et on oublie les grands......

    Tabet Karim

    08 h 42, le 01 juillet 2015

  • wow de tout cœur avec ces personnes ces chalets ont un charme fou !! pq commencer par eux? heheh messieurs les élus regarder vers Beyrouth et vous verrez les empietements sur les bien fonds public commencer par la et ensuite on verra ... que vaut le metre a enfeh par rapport au metre a Beyrouth alors vous attendez quoi?

    Bery tus

    06 h 16, le 01 juillet 2015

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