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Culture - Poésie

Actuel et retentissant reste le verbe d’Ounsi el-Hage

La poésie en ce siècle de rapidité de la lumière a mauvais vent. Mais les irréductibles du Parnasse savent entretenir la flamme, car la poésie, jalouse de son essence et variable dans sa formulation, est immortelle. Disparu en 2014, Ounsi el-Hage, le « voyant libanais du monde arabe », a toujours le verbe actuel, haut et retentissant.

Ounsi el-Hage, portraits par Paul Guiragossian et Pierre Sadek.

Une œuvre iconoclaste, tel un caillou jeté sur des ondes faussement lisses, qui fait toujours des remous dans la mare d'un monde arabe qui stagne. Celle d'Ounsi el-Hage, qui de sa plume affûtée, de par son journalisme à l'écoute du monde, de par sa culture immense qui tournait autour des littératures universelles (et qui a introduit les rêves d'André Breton et d'Antonin Artaud dans les lettres arabes) a bouleversé les données sur l'échiquier des valeurs levantines. Et a contribué aussi à faire évoluer les mentalités, dans cet Orient aujourd'hui plus que jamais à feu et à sang, plongé jusqu'au cou dans une barbarie sauvage, plus préoccupé à guerroyer qu'à « culturiser »...
Un an après sa mort, les éditions Sindbad - Actes Sud, qui ont toujours eu fenêtre sur les écrits de l'auteur de Lan (Jamais) en publiant déjà en 1997 une anthologie de ses poèmes en arabe traduits en français (Éternité volante), offrent aujourd'hui une sélection de sa poésie rebelle à tout traditionalisme, de pensée et d'expression. Libre comme le vent, ce coup de clairon, ce coup de fouet aux serviles défenseurs des traditions obsolètes.

Et on nomme La messagère aux cheveux longs jusqu'aux sources*, une traduction de Abdul Kader el-Janabi et Marie-Thérèse Huerta, revue et validée par l'auteur de son vivant et dont le titre initial, paru à Dar an-Nahar, est Al-Rasûla bi-sha'rihâ al-tawîl hattâ al-yanabâbî. C'est en fait un premier poème, percutant, d'un choix d'autres poèmes (au total dix-huit) qui composent un mince recueil, une sorte d'anthologie de 68 feuillets. Pour des mots et des phrases, largement mordus du blanc des pages, aux résonances qui vont très loin. Comme si le mot avait une teneur de pépite de métal rare et précieux et une portée de chevrotine. Une inspiration et une mesure libres, faites d'une musicalité singulière dans ses harmonies et ses stridences particulières, aux cadences, rythmes, absence ou présence de rimes imprévisibles. Mais une poésie cohérente qui parle au cœur, aux sens et à l'esprit.
Pour une lecture à la voix ample et prophétique qui oscille entre prémonition (aujourd'hui encore, hélas, plus que réalité), anathème, réflexion, méditation et bien sûr rêve et évasion.
Pour tous ceux qui ignorent la langue arabe, voilà une occasion en or pour découvrir celui qui fut le fer de lance de la revue Shi'r (Poésie).

Euphorie et éphémère
De la Genèse aux contes pour petits (et grands !) enfants inquiets devant la vie et ses aléas, en passant par les images les plus diverses surgies du fond de l'inconscient, le poète questionne pour ne jamais laisser s'assoupir le monde dans les bras de la résignation.
Un travail de constante création que ce verbe fouillé, ciselé. Comme une partition tissée des notes les plus simples mais laissées (par crainte, lâcheté, crasse ignorance) dans l'invisible, l'inaudible. Une création suscitée, stimulée, irriguée par l'histoire, la mémoire, les chocs entre tradition et modernité.

Dans ce flot à la fois tendre et impétueux de vocables crachés tels le cratère en colère d'un volcan, Ounsi el-Hage garde une place souveraine à la femme. La femme pivot central de son inspiration et guide pérenne de sa pensée.
Une pensée toujours aux aguets de la vie. La femme, partenaire, amante, mère ou Vierge Marie, y trône en une figure réhabilitée, royale, sensuelle, emblématique, sainte et rédemptrice. Les adjectifs et les attributs les plus chargés de louange, de mysticisme, de mystère, de vénération, de beauté et d'énergie salvatrice la couvrent telle une robe faite de toutes les saisons.
Par-delà une profusion de fleurs, de soleils, de lunes, de nuages, de rivières, de ces petits symboles de l'euphorie et de l'éphémère, bonheur et planche de salut des hommes, il y a aussi la dénonciation de la servitude, de l'ignorance, de la manipulation, de l'oppression.
De tout ce qui est noir et obscurantiste, et aujourd'hui hélas, on le touche du doigt plus que jamais, avec ces tristes événements qui ensanglantent les beautés silencieuses – soudain assourdissantes – des déserts !

C'est sans ménagement ni concession qu'Ounsi el-Hage interpelle aussi le monde arabe dont il a si «fervemment» et passionnément écouté les échos, tâté le pouls, scandé la pulsation, ausculté l'état de santé qui périclite de plus en plus. Et dénoncé ses aberrations, ses turpitudes, son conservatisme stérile et sa creuse léthargie.
En conclusion, c'est par la lettre de Jacques Berque, professeur au Collège de France, qui parle en épilogue du « sacre de la femme » et de «l'arabité révolutionnaire», que se clôt cette lecture certes riche mais qui n'a guère, malgré cette excellente traduction, ni l'ampleur ni la clameur de la rhétorique en arabe. Et encore moins la force ou les sonorités torrentielles et gutturales de son jet natif dans la langue de Gibran et de Mikhail Neaimé.
On emprunte cependant volontiers, en note d'orgue, ces trois phrases éclairantes et d'une brûlante actualité à cette note en épilogue de Jacques Berque, qui s'adresse en ces termes à Ounsi el-Hage (et aussi à tout lecteur): «Votre pays et les Arabes en général ont bien lieu d'écouter la voix du poète qui les convie à la réunification de ce qui avait été dissocié. Et au recours à l'unité contre le dédoublement. Puisse cette plaidoirie de la tendresse les convaincre, ou plutôt les soumettre à leur propre retour.»

*« La messagère aux cheveux longs jusqu'aux sources », d'Ounsi el-Hage (Sindbad-Actes Sud, 68 pages) est disponible à la librairie al-Bourj.

 

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L'hommage en la crypte...

La messagère aux cheveux longs jusqu'aux sources et autres poèmes d'Ounsi el-Hage aux éditions L'Orient des Livres/Actes Sud ont fait l'objet d'une lecture poétique bilingue par la poétesse Nada el-Hage et les acteurs Joseph et Yara Bou Nassar à la crypte de l'église Saint-Joseph des pères jésuites, devant un large public composé des amis du poète, d'artistes, d'intellectuels et de journalistes, tous conquis et touchés par la finesse de la prestation. Accompagnée à la clarinette et alternant des vers en français et en arabe, cette lecture a pris la forme d'un vibrant hommage au grand poète Ounsi el-Hage et à la poésie. Un CD édité par Mozart Chahine, intitulé Ounsi el-Hage écrit et lit, a également été lancé à cette occasion.

 

Pour mémoire
Les mots d'Ounsi el-Hage volent vers l'éternité...

Une œuvre iconoclaste, tel un caillou jeté sur des ondes faussement lisses, qui fait toujours des remous dans la mare d'un monde arabe qui stagne. Celle d'Ounsi el-Hage, qui de sa plume affûtée, de par son journalisme à l'écoute du monde, de par sa culture immense qui tournait autour des littératures universelles (et qui a introduit les rêves d'André Breton et d'Antonin Artaud dans les...

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