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Lifestyle - Tous les chats sont gris

Jeûner, manger, dormir et recommencer

Le cœur de Beyrouth bat au rythme du mois du ramadan. Tout est ouaté avant le tant attendu iftar. Ambiance(s).

Photo G.K.

De sa terrasse, Tarek jouit d'un panorama qui, des rares appartements du quartier de Hamra, met à portée de vue l'une des parties les plus séduisantes de Beyrouth : ses camaïeux bleu océan se profilant entre les immeubles en zigzag. Bien qu'il ne puisse y risquer trop souvent le regard sans finir par outrager la bienséance musulmane interdisant à quiconque de toiser son voisinage immédiat et, fût-ce accidentellement, d'apercevoir les femmes qui y résident, le jeune homme se plaît à embrasser ce point de vue sur une ville qui vit au gré des allers-retours de la lumière épicée de juin. Car, comme la plupart de ses compatriotes musulmans, Tarek jeûne pendant le mois du ramadan. En fin de journée, cheveux en bataille et estomac gargouillant, suite à de longues heures d'abstinence alimentaire, il traque le dernier sprint du soleil dans la mer, indiquant l'heure du iftar. Et en cas de doute, il y a son téléphone pour confirmer cet horaire grâce à un muezzin numérique, ingénieux produit de l'application iPray.

Sur le boulevard Mazraa
En chemin vers l'appartement de ses parents où se tient le festin de rupture du jeûne, Tarek branche la radio. Possédé par sa voix de muezzin, un cheikh déploie un chant d'un lyrisme presque mystique. Dans les rues enfarinées par les derniers rayons cuivrés, le silence fantomatique fait place à des vies qui fourmillent dans tous les sens. De celles qui s'agitent en complétant leurs emplettes de dernière minute, juste avant le repas. Un sachet de riz, des dattes, un bouillon de poulet, des amandes, du sirop d'abricots. D'autres qui stationnent en quadruple file afin de récupérer un Everest de douceurs orientales – pour le moins sucrées – de chez l'historique pâtissier du boulevard Mazraa. Et enfin, les aficionados de halls d'hôtels austères, qui proposent des formules pour un public crevé et affalé sur des chaises emmitouflées de draps couleur ocre. Mais dans le cas de Tarek, pour les femmes de la famille, il n'est pas question de s'abandonner aux cuisines industrielles de ces établissements, quitte à devoir organiser un dîner pantagruélique jusque dans ses moindres détails, sirop de rose et pâte des rouleaux de fromage inclus. C'est une question de principes.

Arbre généalogique
À peine l'inoubliable entremêlement du chant des muezzins noyé dans l'encre de la nuit, débarque Tarek et commencent à se présenter les invités, conviés à partager ce genre de iftars, devenu denrée recherchée de la vie beyrouthine où l'on préfère davantage les mains des livreurs et restaurants à celles des mamas pures et dures. Signes d'une sociabilité bien cultivée, il y a une assistance d'environ trente âmes d'une communauté qui s'attache au rituel de ces veillées d'un autre âge. Les amis et toutes les branches de l'arbre généalogique de Tarek se retrouvent coincés dans ce salon aux dorures pseudo Louis XIV, où se sont glissées quelques chaises en plastique louées pour l'occasion. Ici, on perpétue à la lettre la tradition. D'une volonté de fer, les femmes sont en cuisine depuis midi. La plus jeune de la fratrie commence par présenter à l'assemblée un plateau de dattes séchées, suivi d'une soupe. Lentilles ou maïs de préférence, histoire de ne pas agresser les estomacs vides et affamés. « Prends ton temps en mangeant ta soupe », répètent sans cesse les seniors à ceux qui jeûnent pour la première fois.

La suite est plus dynamique, malgré la faim et la fatigue. Toute l'attente et la privation sont là récompensées en volutes tournoyantes et hypnotiques de plats aux effluves brûlantes. Les rires éclaboussent les murs au gré du tintement des assiettes de riz, de ragoûts, de rouleaux de vignes farcies, de fattouches, de fritures et des verres de thé, de limonade ou de jellab. Les enfants courent dans tous les sens, les hommes se détendent, les bedons bien ronds et les femmes, comme il se doit dans toute société orientale qui se respecte, réinvestissent marmites et poêles en prévision de la deuxième mi-temps de cette soirée du ramadan. La grand-mère aux mains tremblotantes garnit la table de ces douceurs dont elle seule détient la recette, pendant que les papilles rassasiées salivent à l'idée du kellej ramadan qui frit dans l'huile frétillante.
Et là, le grand-père centenaire, religieusement entouré de tous ses descendants, pose sa voix limpide et profonde sur les mélodies géométriques de son qanun. Comme pour clore la soirée d'un mois tout en sucre et poésie...

 

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De sa terrasse, Tarek jouit d'un panorama qui, des rares appartements du quartier de Hamra, met à portée de vue l'une des parties les plus séduisantes de Beyrouth : ses camaïeux bleu océan se profilant entre les immeubles en zigzag. Bien qu'il ne puisse y risquer trop souvent le regard sans finir par outrager la bienséance musulmane interdisant à quiconque de toiser son voisinage...

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